Par le ton, par le style, par les propos surtout, Nicolas Sarkozy a inauguré hier, mine de rien, une nouvelle ère dans les rapports entre la France et le Québec. Ou peut-être a-t-il mis fin à un chapitre commencé il y a près de 50 ans.
Pour une fois, un président français parlait au peuple québécois sans paternalisme.
Dans ce discours, le premier prononcé par un président français à l'Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy ne s'adressait pas, comme le général de Gaulle, à des Français d'outre-mer qu'il restait à libérer. Il s'adressait à un peuple frère.
Peuple avec lequel l'alliance n'est possible que si elle est «tournée vers l'avenir», a-t-il précisé.
C'est en quelque sorte un renversement de la proposition de Charles de Gaulle, à moins que ce ne soit son aboutissement logique.
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La visite du président français au Québec en 1967 était un acte de réparation historique envers ce «rameau de vieille souche française». Pour de Gaulle, les «Français canadiens» étaient «un morceau de notre peuple», et «la souveraineté inconsolable de la France» avait été arrachée du sol canadien par la Conquête britannique.
De Gaulle reconnaissait la modernité, le dynamisme nouveau du Québec de la Révolution tranquille et entendait «contribuer à l'élan» d'émancipation nationale.
Mais cet homme imprégné profondément de l'histoire de la France et «féru de continuité et d'unité nationale» vivait «comme une honte incurable» l'abandon du Canada par la mère patrie, comme l'écrit son biographe Jean Lacouture.
Quand de Gaulle s'est présenté au Québec, donc, quand il a lancé son «Vive le Québec libre» et quand il a fait tous ces discours historiques, il venait payer la dette de Louis XV -roi de France lors de la bataille des plaines d'Abraham.
Il y avait dans toute la démarche, on s'en rend compte en relisant ses discours et ses confidences, un évident relent de colonialisme.
Qu'importe: entre deux colonialismes, les nationalistes québécois ont choisi le moindre, c'est-à-dire celui-là, d'autant plus qu'il était une arme formidable pour combattre le colonialisme anglo-saxon.
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De Gaulle fut le dernier président de l'ère coloniale française. Ses successeurs, quelle qu'ait été leur manière d'exprimer leur attachement au Québec, n'ont jamais pu se défaire totalement d'une forme plus ou moins larvée de paternalisme, sans doute inévitable pour mille raisons historiques et culturelles.
L'effet provoqué par Nicolas Sarkozy hier est en partie générationnel. Sarkozy a 53 ans. Il avait 15 ans quand de Gaulle est mort. Il est le premier président né après la Seconde Guerre mondiale -Chirac est né en 1932, Mitterrand en 1916, Giscard en 1926. Il a vécu dans un monde où le rapport de la France au monde est devenu plus modeste -le rapport de force, pas nécessairement le discours.
Il y a aussi la personnalité de l'homme, consumé par l'action, porté vers le changement, excité par le mouvement en toutes choses.
Toujours est-il qu'il ne s'est pas contenté, pour l'occasion francophone, de souligner l'apport du Québec aux choses de la langue et de la culture. Il a appelé les législateurs québécois à contribuer à «refonder le capitalisme mondial», à le «moraliser».
«On ne peut pas continuer au XXIe siècle avec les institutions du siècle passé», a-t-il dit, avant d'ajouter que la France avait «besoin du Québec» et de son esprit de conquête.
Ce ne sont que des mots, direz-vous. Mais il se trouve qu'ils ont été prononcés par le chef de l'État français, comme il se serait adressé au Congrès américain ou à la Chambre des communes à Londres. Il y avait là, pour ceux que ça intéresse, une sorte d'audace protocolaire et constitutionnelle considérable.
Pourtant, Nicolas Sarkozy est le président français le plus ouvertement fédéraliste des 50 dernières années.
Comment réconcilier ce discours de nation à nation et cette préférence affirmée sans gêne du maintien du lien fédéral canadien?
Peut-être justement par une volonté de passer à autre chose. C'est-à-dire jouer sur tous les tableaux, en bousculant les vieilles références. Quelle belle occasion, pour les amateurs de guerres protocolaires, de se libérer de l'obsession française, de cette juvénile recherche d'approbation. Ni le salut du Canada, ni l'avenir du projet souverainiste ne passent par la France ou les préférences de son président.
Aurions-nous assisté à un acte de décolonisation mentale?
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