Voilà ce que je me disais au milieu de cette entrevue avec un Gilles Duceppe égal à lui-même, c'est-à-dire très bon. Ce n'était pourtant pas le plus doué ou le plus charismatique. Il semblait à l'origine plutôt dépourvu de talent brut. Rappelez-vous ses débuts, cette raideur de dialecticien et surtout cette cruelle comparaison avec le père fondateur du Bloc, Lucien Bouchard.
Tout cela appartient à un autre siècle. On peut dire de Gilles Duceppe le politicien ce qu'on dit de certains hommes d'affaires que rien ne paraissait prédestiner au succès: il s'est fait lui-même, contre toute attente. Il maîtrise ses dossiers à la perfection, il connaît tous les pièges, il sait jusqu'où aller trop loin et, quand il le fait, il plaide pour le parler vrai...
Mais surtout, il a su mine de rien moderniser le discours souverainiste. Tandis que Pauline Marois ridiculisait (avant réception) le rapport Bouchard-Taylor en le comparant à Elvis Gratton, Gilles Duceppe adoptait un ton ouvert, résolument moderne. Il rejette plusieurs des vieux ressorts de l'indépendantisme. «Je n'ai jamais utilisé le mot humiliation en parlant du Québec», insiste-t-il. À long terme, le Québec ne donne pas plus au fédéral qu'il n'en reçoit, concède-t-il, s'appuyant sur le rapport Bélanger-Campeau. Il dénonce le discours antiaméricain -notamment du NPD, un parti «qui ressemble aux travaillistes (britanniques) des années 60» (d'un ancien marxiste, l'accusation ne manque pas de piquant). Et puis, toujours, cette insistance: le Québec n'est ni meilleur ni pire que le Canada, seulement différent.
Le Bloc est-il devenu un parti fédéral permanent? Est-il devenu à ce point efficace en comités, en Chambre, qu'il fait partie des meubles - mieux, des rouages du gouvernement fédéral? Gilles Duceppe esquive. Il n'est pas à Ottawa pour faire du sabotage. La politique du pire est la pire des politiques, dit-il.
Les adversaires n'ont qu'à se forcer: «Je ne suis toujours bien pas responsable de l'impuissance des autres!»
Quand on lui demande si les sorties de Jean Charest contre le gouvernement Harper l'ont aidé, il répond que le premier ministre du Québec n'a fait que «refléter le consensus québécois».
Le consensus québécois. Voilà bien ce qu'a été l'idée maîtresse du Bloc pendant cette campagne. Se présenter comme le dépositaire de l'identité québécoise, quel que soit le sujet. Tout ramener à ça. Les idées de Stephen Harper sont attaquées par le Bloc non pas tant parce qu'elles sont mauvaises que parce qu'elles sont antiquébécoises.
Qu'il s'agisse de culture, de lutte contre la criminalité, des jeunes contrevenants, d'aide aux manufacturiers, d'environnement ou de fiscalité, tout se ramène au nationalisme québécois. C'est plus qu'un débat idéologique, c'est un débat existentiel. C'est des «valeurs» du Québec qu'il est question.
Il est allé, pendant le débat, jusqu'à tout résumer à cette vision binaire du monde: d'un côté, il y a le monde selon Harper-Bush, de l'autre... le Québec. Et ça tombe bien, c'est lui qui a décidé d'en être le porte-parole.
C'est grossier, évidemment, puisque le Bloc n'a le monopole ni de la représentation du Québec, ni de l'opposition aux conservateurs (loin d'être majoritaires hors Québec). Mais ça fonctionne à merveille. Le Bloc a réussi à devenir un refuge anticonservateur. Et puis, fédéralistes, n'ayez crainte, dit Gilles Duceppe: ce n'est pas un référendum et «je n'ai jamais prétendu que les Québécois avaient voté pour la souveraineté en élisant une majorité de bloquistes».
Certes, l'objectif demeure la souveraineté. Mais comme il n'est là qu'en l'attendant et que l'attente dure, Gilles Duceppe s'occupe de tout le reste avec le plus grand sérieux. Il a inventé le souverainisme fédéral. C'est une posture improbable, mais il l'incarne avec tant de sérénité, de permanence et de naturel qu'elle rallie encore la pluralité des Québécois.
Il avait plus de talent qu'il ne le montrait.
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