Pauv’z’enfants

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Report de l'Halloween : « Cette lamentable moumounerie ne serait que comique si elle ne témoignait pas de l’air frileux de notre temps. »


Je venais tout juste de me procurer la décoration d’Halloween dont je rêvais : une affiche électorale de Maxime Bernier.


Certes, j’ai dû l’arracher à un poteau. Mais le Code civil prévoit que les objets « de peu de valeur ou très détériorés laissés en des lieux publics » sont réputés sans maître.


Toujours est-il que j’étais fin prêt pour le jour H quand j’apprends quoi ?


Dans toute la région de Montréal, on « invite » les citoyens à reporter l’Halloween.


 

Parce que, voyez-vous, il va pleuvoir. Fera-t-il froid ? Pas du tout, on promet un des 31 octobre les plus chauds qu’on ait vus : 15-16 °C.


Mais, terrible nouvelle, on va battre un record ! Un record de pluie pour Montréal ? Non, non, un record pour un 31 octobre… Le fameux record de pluie du 31 octobre 1919 !


Aussi, il y aura du vent.


Si tels étaient les critères pour annuler l’Halloween, on ne fêterait pas souvent dans le Bas-du-Fleuve ou aux Îles-de-la-Madeleine…


Que dites-vous ? Les tits-nenfants seront apeurés ?


Hooooon… pauv’, pauv’, pauvres tits-nenfants !


C’était pas ça, l’idée, de faire peur un peu ? Du gros vent, de la pluie battante, c’est évidemment parfait comme Halloween.


Mais voilà, avant d’être éco-anxieux, le citoyen de 2019 est météo-anxieux. Il se raconte des peurs à grands coups de facteurs dans le front nuageux. Facteur humidex ! Facteur éolien ! Facteur de refroidissement ! Sortez pas de chez vous !


Avez-vous remarqué que les météorologues médiatiques ont recommencé ces dernières années à parler de « normale » pour un 7 juillet, ou de « normale » pour un 8 février ?


C’est frauduleux sur le plan scientifique. Il n’y a pas une telle chose que la température normale. Il y a des moyennes. Nuance sémantique ? Pas du tout. Une moyenne est un facteur entre diverses données éparpillées. On est rarement dans la moyenne, pour ne pas dire jamais. Mais si, jour après jour, on vous balance la distance qui vous sépare de ce qui est « normal », vous vivez avec le sentiment permanent de l’anormalité météorologique.


Une autre journée anormale !


On est toujours en train de battre un foutu record quelque part. Et après, on se demande pourquoi les ados refusent de sortir des sous-sols. On les y envoie !


Et vous, sortez-vous tant que ça ?


J’ai l’air de déconner, mais je suis on ne peut plus sérieux.


On nous serine avec les « villes actives », mais à la moindre menace, les autorités hurlent : aux abris !


Pourtant, notre ouvrage collectif est de répéter inlassablement le vieil adage selon lequel il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements. C’est une question de santé publique. Dans un endroit comme le Québec, si on se laisse impressionner par les dépressions, on est perdus.


***


L’élément le plus déprimant de cette annulation ridicule, c’est le message qu’il envoie aux enfants. Ayez peur ! Pas des morts-vivants, des fantômes ou des sorcières. Ayez peur pour vrai. C’est dangereux dehors ! On va vous surprotéger, imaginez, vous pourriez être mouillés ! Il va venter ! On va voir des cortèges d’enfants voler dans les nuages, mesdames et messieurs, ça va revoler comme des feuilles, et on va les retrouver comment après, hein ? Éparpillés qu’ils seront dans des pays avec toutes sortes de valeurs… Non, non, strappons-les bien comme il faut dans leur chaise.


Après on se demande comment il se fait que l’anxiété monte en flèche.


J’avance au milieu de cette tempête bidon qu’une des causes sociales de l’anxiété est la surprotection, d’où qu’elle vienne. On envoie le message très officiel des dangers d’une chose aussi banale qu’une grosse, grosse chute de pluie et de sacrés vents.


C’était pourtant une occasion formidable de rigoler dans cette minuscule adversité. Ben oui, il y aura des flaques d’eau, de la boue et des masques envolés. Et alors ? Ce serait mémorable ! Ils en parleraient pendant 50 ans !


Ben non, ayons peur d’avoir peur du Bonhomme Météo.


Déjà que chaque enfant est pris en filature par des parents, eux-mêmes encadrés de pompiers et policiers… Pas grave, tous ces gens sont incapables, en pleine fête, de décider s’il est temps de rentrer. Protégeons les protecteurs ! C’est trop dangereux !


Cette lamentable moumounerie ne serait que comique si elle ne témoignait pas de l’air frileux de notre temps.




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