Autopsie d'une visite

Même s'ils n'ont pas le même éclat -- n'est pas de Gaulle qui veut! -- ses propos à la citadelle de Québec représentent à leur manière une copie en négatif du célèbre «Vive le Québec libre!».

France-Québec : fin du "ni-ni"?

-- «Inacceptable!» (Lester B. Pearson, le 24 juillet 1967 après le «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle)
Il n'est pas facile de parler calmement de la France au Québec. Et pour cause, le sujet est émotif depuis bientôt 250 ans. J'en veux pour preuve ce sketch grinçant où Gérard D. Laflaque disait récemment à Nicolas Sarkozy qui s'était mis dans la tête de récupérer des otages français au Québec: «Servez-vous. Ça tombe bien. Y'a plein de Français qu'on aimerait bien qu'ils repartent.» Imagine-t-on la même réplique concernant des Noirs ou des Juifs? Le sujet est si sensible que, pour peu qu'on s'y intéresse, on est vite taxé d'être colonisé, vieux, aigri ou exalté.
Convenons donc que, même si ces questions n'empêchent pas la terre de tourner, nos rapports avec la France demeurent dignes d'intérêt et, qu'avant de grimper dans les rideaux ou de ne pas y grimper, il importe de mesurer ce qui s'est véritablement passé la semaine dernière lors de la visite de Nicolas Sarkozy. Or, pour cela, il faut un peu de recul.
Les plus jeunes ne se souviennent peut-être pas qu'avant cette ingérence dans la politique canadienne qu'a représenté le «Vive le Québec libre!», le Québec devait passer par Ottawa chaque fois qu'il voulait discuter avec les Français. Depuis, les premiers ministres québécois n'ont plus eu de permission à demander pour être reçus à l'Élysée et y signer des ententes dans leurs domaines de compétence. Même s'il s'agit d'une entorse aux règles diplomatiques, la délégation du Québec à Paris a gagné un statut de quasi-ambassade. Voilà qui permet à Québec de coopérer avec la France sans voir son action censurée selon l'humeur changeante des gouvernements d'Ottawa.
Qu'on parle de liens «privilégiés» ou «entre frères», selon les mots habilement soufflés par Alain Juppé à Nicolas Sarkozy et repris à l'Assemblée nationale, cela ne change rien à une relation qui a plus de 40 ans. On pourrait même dire que cette relation directe a atteint une reconnaissance nouvelle. Stephen Harper est en effet le second premier ministre canadien, après Brian Mulroney, à admettre publiquement son bien-fondé. Ce qui n'avait jamais été le cas de Pierre Trudeau et de Jean Chrétien.
Bref, pour ceux que cela inquiétait, la France nous aime toujours! Mais il faudrait être aveugle pour en rester là et conclure, comme l'ineffable secrétaire d'État à la Francophonie Alain Joyandet, qu'il ne s'est rien passé lors de la visite de Nicolas Sarkozy.
***
Après le tremblement de terre provoqué par de Gaulle, il avait bien fallu trouver un accommodement, disons raisonnable. Il se matérialisa dans la formule dite de la «non-ingérence et non indifférence», imaginée par le regretté Alain Peyrefitte. La France affirmait ainsi que, tout en préservant une relation privilégiée avec le Québec, et même si celle-ci ne plaisait pas à Ottawa, elle s'engageait à ne plus s'ingérer dans la politique canadienne. De Gaulle n'a pas eu de successeur. Quelques hommes politiques ont bien pris position pour ou contre l'indépendance, mais ni Pompidou, ni Giscard d'Estaing, ni Mitterrand, ni Chirac ne l'ont fait.
À l'aube du référendum de 1995, Jacques Chirac reformula cette politique en affirmant que la France «accompagnerait» le Québec. Contrairement à Bill Clinton, qui nous disait comment voter et quoi penser, Jacques Chirac s'engagea à soutenir la volonté démocratique des Québécois quelle qu'elle soit. Des mots que Robert Bourassa n'aurait pas reniés. Rien n'était plus éloigné du paternalisme dont on accuse si facilement les Français. Avec les années, cette neutralité permit par ailleurs à la France de rebâtir une relation plus étroite que jamais avec le Canada.
En prenant solennellement position pour l'unité du Canada, Nicolas Sarkozy a rompu pour la première fois le pacte de non-ingérence formulé par Alain Peyrefitte. Même s'ils n'ont pas le même éclat -- n'est pas de Gaulle qui veut! -- ses propos à la citadelle de Québec représentent à leur manière une copie en négatif du célèbre «Vive le Québec libre!».
Si la mémoire historique ne nous avait pas fait défaut, vendredi, il aurait donc fallu rappeler au président français la réponse que le premier ministre canadien Lester B. Pearson avait adressée à son prédécesseur en 1967. Car, si l'ingérence en faveur d'un petit peuple qui cherchait à s'émanciper était pour certains «inacceptable» en 1967, on ne voit pas pourquoi celle en faveur d'un riche pays du G8, allié des États-Unis et dont l'unité n'est guère menacée le serait moins en 2008.
***
La France n'est pas un pur esprit et Nicolas Sarkozy encore moins. Cette ingérence empreinte d'un paternalisme que l'on croyait disparu prend évidemment acte du recul du mouvement souverainiste. Mais elle annonce surtout que la politique de la France oscillera dorénavant en fonction des sondages, des pressions et des opportunités. Paris prêchera-t-elle demain l'autonomisme parce que la popularité de Mario Dumont est à la hausse ou qu'elle convoite un alléchant contrat à Rivière-du-Loup?
Le geste n'est pas exempt de maladresse. Ces propos sont d'ailleurs loin de refléter l'opinion majoritaire. Il n'est même pas sûr qu'ils fassent l'unanimité dans l'entourage du président. En 2008, la plupart des dirigeants politiques français ne sont évidemment pas des chevaliers de l'indépendance du Québec. Mais ils se sont pas non plus métamorphosés en grands prêtres de l'unité canadienne. C'était toute l'intelligence de cette «non-ingérence» que l'on vient de mettre au panier.
Il se pourrait d'ailleurs qu'en cherchant à se rapprocher à tout prix des États-Unis et du Canada, le président ait confondu la proie pour l'ombre. À une autre époque, la France vendit le Canada pour un plat de lentilles. Il a fallu quelques siècles pour s'en rendre compte. Cette fois, Stephen Harper n'a pas attendu 24 heures pour virer capot et avouer que les pompeuses envolées sarkoziennes en faveur de la «refondation» du capitalisme ne lui disaient rien qui vaille. Par contre, Nicolas Sarkozy pourrait avoir heurté durablement quelques-uns des plus fidèles amis de la France en Amérique du nord. Demandez-le à Gérard D.
***
crioux@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->