Il y a des jours où on s'ennuie presque de Bernard Landry. Soit, l'ancien premier ministre avait ses défauts, mais il n'aurait jamais laissé le gouvernement Harper détourner le sens des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec sans réagir vigoureusement.
S'il a pu faire une colère noire parce qu'Ottawa conditionnait l'octroi d'une subvention au jardin zoologique de Québec à la présence du drapeau canadien, M. Landry n'aurait certainement pas toléré que Champlain soit travesti en père fondateur du Canada, précisément au moment où la cité qu'il a fondée sera l'hôte du sommet de la Francophonie.
La conclusion du message de M. Harper qui apparaît sur le site Internet du gouvernement fédéral (www.quebec400.gc.ca) est d'un cynisme rare: «On dit chez nous que chaque être doit avoir deux villes dans son coeur, la sienne et Québec.»
Sans blague, c'est ce qu'on dit en Alberta? Je veux bien croire que le stampede de Calgary et le carnaval de Québec sont jumelés, mais en dehors des périodes référendaires, cette grande affection que nous porte l'Ouest canadien est difficilement perceptible.
C'est le message du ministre fédéral de l'Environnement, John Baird, qui exprime le mieux le sens qu'Ottawa entend donner à la fête. M. Baird invite tout le monde à se rendre à Québec afin de «découvrir l'histoire sous un jour nouveau». C'est exactement ce dont il s'agit.
Après une analyse sémantique du contenu de l'ensemble du site fédéral, deux chercheurs de l'Université Laval y ont vu une tentative évidente de «réappropriation des faits historiques pour servir l'idéologie de la nation canadienne».
Faut-il vraiment s'en surprendre? Même en temps normal, un touriste qui se promène dans les rues de Québec ne peut douter un seul instant qu'il se trouve dans un haut lieu de l'histoire canadienne. On peut comprendre que Bernard Landry ait fait une indigestion d'unifoliés.
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«Il n'y a pas vraiment de chicane de visibilité. L'important, comme le répétait souvent M. Couillard, c'est qu'on en parle, du 400e», a déclaré au Devoir l'attachée de presse du ministre responsable de la Capitale nationale. En effet, il ne peut y avoir de chicane quand un des protagonistes choisit lui-même de s'éclipser.
Du moment que le gouvernement fédéral investit dans les célébrations, il peut dire ce qu'il veut, estime la ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay. On sait depuis longtemps que Mme Gagnon-Tremblay est une Canadienne exemplaire, mais il est pour le moins étonnant d'entendre la chef de la diplomatie québécoise reconnaître au gouvernement fédéral le droit d'imposer son interprétation de notre histoire à la communauté internationale à l'occasion d'une fête qui aura lieu chez nous.
De deux choses l'une: ou bien le gouvernement Charest a été d'une naïveté inqualifiable en s'imaginant qu'Ottawa allait laisser passer une telle occasion, ou bien il lui a sciemment laissé le champ libre. À entendre les propos du premier ministre Charest, hier à l'Assemblée nationale, la deuxième hypothèse semble être la bonne. «Je suis fier que le Québec ait fondé le Canada», a-t-il déclaré.
Autrement dit, la Conquête, le rapport Durham et le reste n'ont été que de malheureux incidents de parcours, qu'il ne faut pas laisser assombrir la joie que doit nous inspirer cette réussite. Imaginez tout ce qu'on aurait manqué s'il avait fallu que Montcalm l'emporte sur les plaines d'Abraham!
Même si elle a été annoncée en catastrophe après l'accueil princier réservé à la gouverneure générale, Michaëlle Jean, la visite éclair que M. Charest effectuera en France du 16 au 19 mai était prévue depuis plusieurs semaines, assure-t-on. Précisément, il avait tout le temps d'organiser son emploi pour assister au lancement des célébrations du 400e.
Assez curieusement, alors qu'il répète depuis des mois son désir d'aménager un «nouvel espace de prospérité», il manquera l'importante rencontre économique de la Francophonie qui se tiendra à Québec sous la présidence du secrétaire général, Abdou Diouf.
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En diplomatie, les apparences sont de la plus haute importance. Après le passage triomphal de Mme Jean, M. Charest donnera l'impression d'être reçu comme un simple quidam. Certes, le maire de Bordeaux, Alain Juppé, est un ami du Québec, et il pourrait très bien revenir à l'avant-plan de la politique française, mais aucun premier ministre québécois en visite en France n'aura eu un programme aussi modeste. Encore une fois, la délégation générale du Québec à Paris semble assister en spectatrice à l'offensive fédérale.
Tout ce que dit la gouverneure générale du Canada quand elle voyage à l'étranger doit être approuvé au préalable par le gouvernement canadien, même si M. Harper lui-même aurait peut-être été un peu gêné de déclarer à un magazine français que le Canada ne constitue pas une «authentique nation».
Quand Mme Jean annonce son intention de demander au président Sarkozy de regarder «au-delà du Québec» et de se préoccuper de «l'ensemble des communautés francophones à travers le Canada», il ne fait aucun doute qu'elle traduit fidèlement la pensée du gouvernement canadien et la direction que le gouvernement Harper souhaite imprimer aux relations entre Paris, Ottawa et Québec.
À quelque mois du sommet de la Francophonie et de la visite du président Sarkozy à Québec, on ne peut pas dire que le message fédéral manque de clarté. Depuis plus de 40 ans, tous les efforts de la diplomatie québécoise en France ont précisément visé à éviter que le Québec soit considéré comme une communauté francophone canadienne parmi les autres. On s'attendrait à ce que M. Charest le répète haut et fort. À moins qu'il ne juge la cause perdue d'avance.
Tant mieux si la visite de M. Sarkozy donne lieu à la signature d'une entente France-Québec en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, mais il est vital pour le Québec de maintenir une relation politique privilégiée avec la France, quel que soit son statut constitutionnel.
Bernard Landry avait peut-être mauvais caractère, mais il avait très bien compris que les querelles de chiffons rouges n'étaient pas simplement une affaire de fric.
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mdavid@ledevoir.com
Les chiffons rouges
Du moment que le gouvernement fédéral investit dans les célébrations, il peut dire ce qu'il veut, estime la ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay.
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2008Dans votre commentaire vous répétez souvent Bernard Landry aurait fait ceci ou cela, mais.
Où est Pauline dans la défense du 400e?
Sa colère noire elle la mit dans sa garde-robe.
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2008Est-ce bien ce qui est en train de se passer ? Comme l'écrivait Hubert Aquin « Vient un temps où la fatigue effrite les projets pourtant irréductible » Et Jean-Jacques Rousseau de son côté faisait remarquer que « Les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s’en passer».
La perfide offensive fédérale et l'absence de réactios structurée de la part du seul gouvernement que nous avons m'incline à penser que ces derniers ont malheureusement raison.
Peuple mou avec à sa tête un canadian bien content de manger son plat de lentilles, et à la tête de sa diplomation l'inepte tantine Monique, cela n'augure rien de bon pour les prochaines années. Non, vraiment, on ne peut tomber plus bas qu'au fond du baril.
Et grand merci à Michel David, l'un des seuls, capable de mettre les point sur les i et les barres sur les t. Ça ne changera rien peut-être, la situation nous dépasse et nous échappe. Mais ça fait du bien à lire. Et surtout de se sentir moins seul dans l'appréciation de la situation...
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2008C'est tout simplement lamentable, ce gouvernement molusque et
sans fierté capitule devant Ottawa l'héritage de la nation Québécoise.Comme dirait Gilles Proulx, :envoye moé ça en bas des escaliers:.