Les carpettes anglaises

PQ et bilinguisme

En politique, le sens du timing est une qualité essentielle. Une bonne idée émise au mauvais moment peut devenir une très mauvaise idée. Pauline Marois ne mesure peut-être pas l'étendue des dommages causés par son plaidoyer en faveur du bilinguisme dans l'entrevue qu'elle a accordée au Devoir en début de semaine.
Depuis qu'elle est devenue chef du PQ, Mme Marois en a irrité plusieurs, que ce soit en renvoyant le référendum aux calendes grecques, en affirmant la nécessité d'une «modernisation» de la social-démocratie ou en intimant les militants péquistes, petits et grands, de ne plus débattre sur la place publique.
Tout cela a bien provoqué quelques grognements, mais les réactions aux propos qu'elle a tenus cette semaine sont nettement plus hargneuses que tout ce qu'on avait entendu jusqu'à présent.
Ainsi, on propose sa candidature au prix de la «carpette anglaise», un «prix d'indignité civique» que l'association Défense de la langue française décerne depuis 1999 à «un membre des élites françaises qui s'est particulièrement distingué par son acharnement à promouvoir la domination de l'anglo-américain en France et dans les institutions européennes, au détriment de la langue française». Depuis 2001, un prix est également décerné à un ressortissant étranger, mais il n'y a eu aucun lauréat québécois à ce jour.
Il ne serait venu à l'esprit de personne d'accabler ainsi Jacques Parizeau. Pourtant, lui aussi était d'avis que tous les Québécois devraient être bilingues, à la condition qu'il s'agisse d'un bilinguisme individuel et non pas institutionnel. D'ailleurs, l'immersion anglaise au troisième cycle du primaire existe déjà dans plusieurs écoles publiques et personne n'a crié à l'assimilation.
Soit, M. Parizeau n'aurait jamais proposé de donner des cours d'histoire en anglais à des élèves du primaire. Le bon mot de la semaine revient indiscutablement au président de la CSQ, Réjean Parent: «Soyons sérieux. Qu'est-ce que ce sera tantôt, on va enseigner le français en anglais?»
La grande différence, c'est que personne ne doutait de la détermination de M. Parizeau à foncer vers l'indépendance. Mme Marois aurait dû penser qu'à défaut d'un référendum, la question linguistique allait canaliser les énergies nationalistes. Parler de bilinguisme maintenant, alors que tout le monde s'inquiète de l'avenir du français, équivaut à agiter un chiffon rouge devant un taureau. Même d'authentiques fédéralistes ont tiqué. Bernard Landry doit bouillir.
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Au Québec, il faut toujours tourner sa langue sept fois avant d'en parler. Depuis un mois, la ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, multiplie les énormités.
Comment peut-elle affirmer que la directrice et membre du conseil du Quebec Community Group Network, Sylvia Martin-Laforge, «a le droit d'être contre la loi 101 et [...] a une place au Conseil supérieur de la langue française»?
La question n'est pas tellement de savoir si Mme Martin-Laforge est pour ou contre la Charte de la langue française. L'inquiétant, c'est que la ministre ne voit aucun problème à ce que quelqu'un, francophone ou anglophone, puisse s'y opposer et siéger malgré tout au sein d'un conseil chargé de conseiller le gouvernement à propos de la meilleure façon de l'appliquer. Mme. Marois risque d'avoir de la concurrence pour le prix de la carpette anglaise.
Il est vrai que Mme St-Pierre ne semble pas très bien comprendre le fonctionnement des organismes créés par la loi 101. Jeudi, elle a réitéré que «l'Office québécois de la langue française est un organisme autonome» qui peut décider du moment où il veut publier ses études.
En vertu de la loi, l'OQLF ne doit faire rapport qu'au ministre. Si Mme St-Pierre juge qu'une étude doit être rendue publique, elle a tout le loisir de l'exiger. Libre à elle de s'en remettre au bon plaisir de l'OQLF, qui préfère publier ses études en même temps que son bilan quinquennal, mais elle ne peut pas prétexter une autonomie factice.
À en juger par son humeur maussade jeudi, elle commence à trouver la pression difficile à supporter. Maintenant qu'elle a été désignée comme le maillon faible, elle doit s'attendre à ce que les attaques se multiplient.
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Remarquez, Mme St-Pierre n'est pas la seule à mal connaître les dispositions de la loi 101. Le groupe de travail sur l'identité et le fédéralisme, chargé de formuler les propositions qui seront soumises au congrès libéral des 7, 8 et 9 mars, recommande «une hausse significative des amendes pour les commerces qui ne se conformeront pas à la loi après avertissement», sans modifier la loi elle-même. Le problème, c'est que le montant des amendes est inscrit dans la loi. S'il veut les augmenter, le gouvernement devra obligatoirement présenter un projet de loi à l'Assemblée nationale.
Une application plus rigoureuse de la loi actuelle risque également de donner des résultats mitigés en ce qui concerne la langue de service dans les commerces. L'article 5 de la loi 101 prévoit bien que «les consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être informés en français», mais il s'agit d'un article déclaratoire qui ne permet pas d'imposer des sanctions aux contrevenants.
Accroître le budget de l'OQLF donnerait sans doute meilleure conscience au gouvernement, mais cela permettrait simplement aux enquêteurs de distribuer plus souvent des pamphlets explicatifs dans les commerces.
De toute manière, on ne sait plus trop si l'OQLF a vraiment besoin de nouvelles ressources. Mardi, son porte-parole officiel, Gérald Paquette, déclarait à La Presse que les enquêteurs étaient débordés et que les objectifs fixés ne pourraient pas être atteints. Le lendemain, M. Paquette a émis un communiqué de presse emberlificoté qui semblait moins viser à éclaircir les choses qu'à le tirer lui-même d'une situation embarrassante à l'interne. Si le but était de faire en sorte que ce communiqué passe inaperçu, il faut reconnaître que c'était très réussi.
mdavid@ledevoir.com


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