André Boisclair a raison de trouver un peu cheap l'insistance du premier ministre Charest sur son immaturité et son manque de jugement. Hier, M. Charest n'a d'ailleurs manifesté aucun regret. Au contraire, il en a rajouté en déplorant les «enfantillages» du chef péquiste. Encore un peu et il va lui reprocher son babillage.
L'élégance n'est malheureusement pas la qualité la plus répandue, ni la plus rentable en politique. Si M. Charest lui-même se sent libre d'exprimer ouvertement un tel mépris pour son homologue, on n'ose imaginer à quoi se laisseront aller les candidats libéraux dans le feu de la campagne électorale, quand ils seront loin des caméras.
Au lendemain de l'élection de M. Boisclair, l'ancien ministre Thomas Mulcair, qui s'y connaissait en matière de dénigrement, avait expliqué qu'il ne serait pas nécessaire de trouver un nouveau squelette dans les placards de son chef pour détourner les électeurs du PQ. Il suffirait de «promener le cercueil».
Les libéraux n'ont même pas eu à fournir le corbillard. Avec son pastiche de Brokeback Mountain, d'un mauvais goût inespéré, M. Boisclair s'est lui-même chargé de confirmer tous les doutes. Les seuls de ses députés ou de ses ex-collègues qui ont accepté de commenter publiquement cette bourde étaient les rares encore capables de contenir leur exaspération.
Bien plus qu'un programme ou une équipe, la population élit un homme ou une femme qu'elle croit le plus apte à gouverner. Elle n'a pas été impressionnée par M. Charest, mais elle connaît au moins ses limites. Dans le cas de M. Boisclair, on ne sait pas encore jusqu'où il peut descendre.
Peu importe ce que prévoit le programme de son parti, il est clair que le chef du PQ n'entend conférer aucun caractère référendaire aux prochaines élections. À le voir s'enfoncer, cela aurait peut-être été préférable à un référendum sur André Boisclair lui-même.
D'une certaine façon, Mario Dumont a souffert de la même personnalisation du débat en 2003. Quand l'ADQ s'est retrouvée en tête des sondages, les Québécois ont commencé à se poser la question cruciale: pouvaient-ils lui confier leur destinée?
C'est un lieu commun de dire que l'on vote plus souvent contre un gouvernement que pour l'opposition. Encore faut-il qu'elle n'inquiète pas davantage qu'il ne déçoit. Cette fois-ci, les libéraux ont toutes les apparences du moindre mal.
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Personne ne demandait à M. Boisclair de se couvrir la tête d'un sac brun, mais de là à s'autogratifier d'un B+... Il est vrai que le rôle de chef de l'opposition est ingrat, mais il n'y avait certainement pas lieu de pavoiser après des débuts aussi laborieux.
Il y a beaucoup de théâtre dans les débats parlementaires, mais M. Charest lui a témoigné un manque de respect sans commune mesure avec ce qu'il avait lui-même enduré de la part de Lucien Bouchard quand il a débarqué à Québec. Robert Bourassa n'avait pas non plus une très haute idée des capacités de Pierre-Marc Johnson, mais il avait au moins de l'égard pour l'institution.
Même dans l'entourage du premier ministre, certains se demandent s'il ne devrait pas ménager un peu le chef du PQ. On se souvient de l'exemple de Daniel Johnson. Après deux années de douloureuses compressions budgétaires pour atteindre le déficit zéro, le remarquable leadership dont M. Bouchard avait fait preuve durant la crise du verglas lui avait donné un deuxième souffle et, au début de 1998, il semblait propulsé vers une réélection triomphale.
La démission-surprise de M. Johnson l'avait stoppé en plein envol. Certes, le PQ avait fini par l'emporter l'automne suivant, mais avec moins de voix que les libéraux. Du coup, tous les espoirs d'un nouveau match référendaire s'étaient envolés. Deux ans plus tard, M. Bouchard annonçait sa démission.
M. Charest peut cependant dormir sur ses deux oreilles. Une répétition du scénario de 1998 est totalement exclue. À l'époque, M. Johnson avait déjà une défaite électorale dans le corps et M. Charest offrait une solution de rechange qui paraissait très avantageuse, même s'il aurait préféré rester à Ottawa.
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La situation est très différente au PQ. Sauf pour une poignée de «purs et durs», plus critiques envers M. Boisclair que ne le sera jamais le premier ministre, personne n'envisage la possibilité qu'il imite M. Johnson, encore moins qu'il soit l'objet d'un putsch.
Tout le monde sait que Bernard Landry regrette son départ précipité de juin 2005, mais il doit se faire une raison. Soit, il a eu tort de partir, mais son retour plongerait le PQ dans le ridicule et la division. Gilles Duceppe se retrouve exactement dans la même situation qu'il y a dix-huit mois: il ne peut pas abandonner le Bloc avant les prochaines élections fédérales.
Quant à Pauline Marois, elle demeure suffisamment présente pour qu'on ne l'oublie pas, mais elle a encore besoin de temps pour panser ses blessures. Il sera toujours temps d'envisager un retour, si une deuxième défaite de suite faisait redécouvrir aux militants péquistes les mérites de l'expérience. Pour le meilleur ou pour le pire, ils doivent maintenant vivre avec leur choix de l'an dernier.
Hier, M. Charest a élargi le traditionnel bilan législatif de fin de session à l'ensemble des réalisations de son gouvernement durant toute l'année 2006, sinon durant la totalité de son mandat. On n'organise pas un spectacle comme celui-là pour faire un simple rapport d'étape. Manifestement, le premier ministre ne prévoit pas attendre la rentrée parlementaire de la mi-mars avant de déclencher les élections.
Curieusement, dans son discours fleuve, il n'a parlé ni des baisses d'impôt que l'on attend depuis quatre ans ni des urgences toujours aussi débordées que sous le PQ. C'étaient pourtant là les deux engagements les plus importants du PLQ. Quelle importance, n'est-ce pas, si André Boisclair doit être le principal enjeu des élections?
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1 commentaire
Luc Bertrand Répondre
19 décembre 2006Il n'y a plus aucun doute à mon avis, si rien ne change, les carottes sont cuites pour le Parti Québécois. À moins d'un miracle de dernière minute ou d'une démission incessamment d'André Boisclair, Gesca aura réussi son pari d'induire le choix des membres du PQ afin de saboter le parti de l'intérieur.
Puisque l'état major du Parti ne semble pas ou refuse de reconnaître la gravité de la situation et du peu de temps disponible pour donner le coup de barre vigoureux nécessaire pour réduire aux moins l'impact et les conséquences, les électeurs indépendantistes n'auront pas d'autre choix que de répéter la leçon du 14 avril 2003 ou de jeter leur dévolu sur Québec Solidaire. J'ai été assez naïf pour croire que le Parti finirait par se réveiller et au moins commencer à admettre ses erreurs lui ayant coûté la perte du pouvoir. En s'accrochant à son poste illégitime, André Boisclair confirme la perception des gens qu'ou bien il veut faire passer ses intérêts personnels avant ceux du peuple québécois ou bien il a été "appointé" là en mission spéciale commandée.
Il s'agit sans aucun doute d'une triste période pour la démocratie québécoise. Malgré le travail colossal abattu par les militant(e)s d'un parti aux idéaux nobles et exigeants pour revoir le programme en vue de l'actualiser à la conjoncture du 21e siècle, ces mêmes militant(e)s (et le peuple québécois en général qu'ils (elles) espéraient représenter les aspirations) n'auront pu empêcher la dictature médiatique d'atteindre son but visé. En être rendu à ce constat pourrait annoncer le commencement d'une longue période de déprime pire que le choc post-référendaire de 1980. À l'époque au moins pouvait-on se consoler à l'idée d'avoir perdu une bataille inégale sans sacrifier le respect de la démocratie. Perdre une bataille avant même de l'avoir commencée est éminemment davantage frustrant quand on sait que "the working of the natural forces" de Lord Durham est sur le point de venir à bout de la capacité de résistance de ce qu'est devenu la "nation" (imaginaire?) québécoise.