Coude à coude... à coude

De la certitude à l'inquiétude

Québec 2007 - Parti libéral du Québec

Le premier ministre Jean Charest a entamé hier le sprint final pour convaincre les électeurs après une campagne en demi-teintes, sans grande passion et avec une seule audace: la promesse de baisses d'impôt à même la correction du déséquilibre fiscal.

Un événement impromptu, un discours enflammé ou un débat des chefs énergique peuvent modifier le cours d'une campagne électorale. Mais cette fois-ci, ce tournant ne s'est pas produit d'un seul coup. Il a pris l'allure d'un courant de sympathie pour Mario Dumont, qui s'est tranquillement incrusté dans la campagne libérale. «L'ADQ a atteint la stature de cause et Mario Dumont d'icône», analyse Michel Fréchette, communicateur-conseil.
Selon ce vieux routier des communications politiques, qui a notamment travaillé auprès du maire de Laval et conseillé Paul Martin, cette situation a déboussolé le chef libéral, dont le plan de campagne visait d'abord et avant tout le Parti québécois. «Personne n'a de prise contre une vague», a dit M. Fréchette. C'est d'autant plus vrai à ses yeux qu'on peut y décoder le message du «nous, les gens du peuple, contre eux, les "big shots"».
Cela n'a pas empêché Jean Charest de s'en prendre à Mario Dumont hier, dont le parti, a-t-il dit, est «l'antichambre de la souveraineté», alors qu'en comparaison, le Parti libéral est le «lobby de la classe moyenne».
Mais la certitude du début de la campagne a cédé le pas à une certaine inquiétude dans les rangs libéraux. Le scénario d'un gouvernement minoritaire devient de plus en plus plausible. Même Jean Charest a failli faire un lapsus à ce sujet jeudi. «Je suis confiant. Moi, je sais que nous formerons un gouvernement min... majoritaire», a-t-il laissé tomber.
Hier, la nouvelle charge de Jean Charest est survenue alors que de nouveaux sondages suggéraient encore une montée de l'ADQ, qui semble déborder la grande région de Québec. «C'est un appel à tous les citoyens», a déclaré M. Charest, invitant ceux qui ne veulent pas d'un référendum à voter pour le PLQ lundi.
Devant des partisans réunis tôt hier matin à Thetford Mines, dans le comté de Frontenac, Jean Charest avait d'abord déclaré que le Parti québécois chante «la même chanson depuis 30 ans» alors que le Québec a changé. «J'en connais plein, des souverainistes qui ne veulent pas de référendum», a-t-il lancé. Aux journalistes, il a ensuite expliqué que les «souverainistes sont ailleurs». Et si des souverainistes se tournent vers l'ADQ, c'est que Mario Dumont entretient une certaine ambiguïté sur la question nationale, croit-il.
«C'est vrai qu'il y a des gens qui voient l'ADQ comme un véhicule pour faire avancer la souveraineté. [...] Il y a des souverainistes qui se disent: "Dans le fond, Mario Dumont et l'ADQ, c'est l'antichambre de la souveraineté"», a affirmé le chef libéral. Il se référait entre autres à l'appui public à l'ADQ du dramaturge Victor-Lévy Beaulieu, un souverainiste de longue date.
Mais comme l'a soutenu M. Charest, le Québec n'a pas besoin d'un référendum qui «va nous faire reculer». «Après avoir fait un redressement pendant quatre ans dans tous les domaines où l'État a une mission, [...] même ceux qui sont souverainistes voient ça et se disent que ce n'est pas le temps d'arrêter», estime le chef libéral.
M. Charest a également attaqué son adversaire adéquiste à propos de la «confusion» qu'il entretient, a-t-il dit, en ce qui concerne les finances publiques. L'ADQ n'explique pas où elle va faire des compressions pour atteindre la réduction de 1 % de la croissance des dépenses du gouvernement dans les services comme la santé et l'éducation. «Essayer de comprendre le cadre financier de l'ADQ, c'est bonne chance. Si vous aimez les cubes Rubik, vous allez avoir du plaisir», s'est-il moqué.
Une mission sacrée
Sa tournée l'a ensuite conduit dans sa circonscription, où il a pris la parole devant la Chambre de commerce de Sherbrooke. Comme il l'a fait au cours des derniers jours, M. Charest a donné des accents nationalistes à son discours. Il s'est engagé à prendre fait et cause pour le Québec dans le cadre fédéral. «Vous pouvez compter sur une chose: ma mission de défendre les intérêts du Québec est sacrée», a-t-il affirmé.
M. Charest a rappelé que le Québec a dû se battre tout au long de son histoire et que cela continue aujourd'hui sur le plan politique. «Les succès que nous avons dans la société québécoise ne viennent pas tout seuls. Il y a 400 ans d'histoire dans chacune de nos familles, 400 ans de détermination, de persévérance pour préserver notre langue, notre culture, pour être ce que nous sommes aujourd'hui», a-t-il affirmé.
À ceux qui le critiquent d'avoir choisi de s'engager à diminuer les impôts grâce au transfert de péréquation annoncé plus tôt cette semaine par le gouvernement fédéral, M. Charest a répété que la classe moyenne mérite que son fardeau fiscal soit allégé. «Le lobby de la classe moyenne, c'est le Parti libéral du Québec», a-t-il lancé.
Cette expression n'est pas sans rappeler qu'en tout début de campagne, Mario Dumont avait soutenu que l'ADQ était le parti de la classe moyenne. D'ailleurs, les plus récents sondages tendent à montrer des intentions de vote de plus en plus favorables à l'ADQ. S'agit-il d'un geste de contestation ou d'un espoir de la population?, a-t-on demandé au chef libéral. Visiblement agacé, M. Charest a affirmé ne pas croire aux sondages, lui que les sondeurs ont plusieurs fois donné perdant au cours de sa carrière. Il a déploré «l'accoutumance» des médias à se nourrir de ces enquêtes.
À deux jours du scrutin, M. Charest a expliqué à quel point il aime la politique et faire campagne. Et tant pis s'il apparaît comme le «négligé» de cette course. «J'aime les défis. Ça ne m'a jamais intimidé, le fait de devoir me battre en campagne. J'ai toujours conçu la politique comme une bataille, mais une bataille qu'on ne fait pas seul», a-t-il dit.
La confiance du début
Mais la confiance qu'il dit l'habiter n'avait rien à voir avec celle qu'il affichait au déclenchement des élections. Les semaines précédentes avaient été nourries de plusieurs annonces. La machine libérale huilait ses rouages, prenant les adversaires de court.
Par la suite, la faiblesse du leadership du chef péquiste, André Boisclair, contesté dans ses propres rangs, a accentué l'assurance de Jean Charest. Et rien ne laissait entrevoir que Mario Dumont remonterait la pente au bas de laquelle il avait glissé au scrutin de 2003. Le chef libéral a donc mis en avant son bilan ainsi que la nécessité de ne pas laisser en plan le travail amorcé. M. Charest avait revêtu ses habits de chef d'État, laissant les gants de boxe au vestiaire.
Du coup, la campagne libérale a semblé manquer de vigueur. Par exemple, le chef libéral a été lent à réagir à la disparition du mot «référendum» au PQ. Mais quelques jours plus tard, Jean Charest s'est lancé dans une campagne quasi référendaire. Ce fut une erreur, estime le communicateur-conseil Michel Fréchette. «Jean Charest s'est enfargé dans les pensions de vieillesse et la partition. Cela a entaché l'image de premier ministre qui devait rester au-dessus de la mêlée. Dès lors, il a perdu son élan», fait-il valoir.
Dans cette mouvance, l'affaire d'Option Canada a resurgi. Jean Charest a été contraint de reconnaître qu'il a été appelé à témoigner. Devant les questions pressantes des journalistes, l'attaché de presse du premier ministre, Hugo D'Amours, s'est rendu à bord de l'autobus des journalistes pour préciser certaines choses. Dès lors, M. D'Amours devait diriger les points de presse. Des règles strictes ont aussi été établies (maximum de deux questions par journaliste), ce qui a créé des tensions supplémentaires.
Les premiers sondages ont alors montré que l'ADQ devenait un adversaire sérieux. Jean Charest a tourné ses canons vers Mario Dumont et ignoré le PQ. Il a montré les dents en tentant de mettre en lumière les aspérités de l'équipe adéquiste. Il a attaqué nommément dix candidats de l'ADQ lors d'un discours à Gatineau. La faiblesse de l'adversaire semblait le conforter.
Mais le chef libéral a eu beaucoup de mal à se dépêtrer de son bilan dans le domaine de la santé, dont les aspects les moins reluisants l'ont rattrapé. Il a clamé ne pas avoir violé le «pacte» qu'il avait proposé aux Québécois en 2003. Et il a répété avoir fait tout ce qui était humainement possible pour résoudre les problèmes en santé.
Arrive alors le débat des chefs. Les partis politiques et le consortium des médias s'entendent pour qu'il ait lieu à Québec. Les trois partis veulent ainsi séduire une région où l'ADQ semble s'enraciner.
En attendant le budget fédéral
Jean Charest ne gagne aucun point au débat. Il apparaît amorphe. Il se retrouve sur la défensive pendant quelques jours, notamment à cause de la note de service du ministère des Transports sur le viaduc de la Concorde, qui s'est effondré en septembre dernier, document que Mario Dumont a brandi lors du débats.
Jean Charest tente alors de redonner du souffle à sa campagne en recyclant des annonces. C'est le cas de projets de développement hydroélectrique. Mais c'est compter sans une visite d'usine liée à sa stratégie énergétique, qui tourne mal pour lui. Un travailleur l'apostrophe, déversant toute la grogne d'une classe moyenne malmenée par les hausses de tarifs et qui n'a pas reçu les baisses d'impôt promises. Ce travailleur s'identifie de surcroît comme un souverainiste aujourd'hui sympathisant de l'ADQ.
«Mario Dumont n'a pas participé au même concours que Jean Charest et André Boisclair puisqu'il vise non pas le pouvoir mais le fauteuil de chef de l'opposition. Il était donc beaucoup plus difficile à attaquer», croit Michel Fréchette.
Mais les libéraux s'accrochent au dernier atout qu'ils conservaient dans leur manche: la correction du déséquilibre fiscal contenue dans le budget fédéral. Le Québec obtient 905 millions de dollars en nouveaux fonds, dont 700 millions liés aux transferts de péréquation. Le lendemain, Jean Charest s'engage à redonner cet argent aux contribuables de la classe moyenne sous forme d'une réduction d'impôts.
«Pour diriger le Québec, il faut être capable de nommer la destination où nous allons», a dit Jean Charest hier.
Il aura fallu le budget Flaherty pour connaître cette destination, qui a par ailleurs soulevé de nombreuses critiques. Cela a donné des munitions à M. Charest qui, tout à coup, s'est mis à défendre l'autonomie du Québec. «Je n'ai pas de comptes à rendre à Ottawa et aux autres provinces», a tranché M. Charest d'un ton passionné.
Mais peut-être était-ce trop peu trop tard pour les grands élans d'affirmation nationale?
Avec la collaboration d'Antoine Robitaille


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