Il a suffi d'un petit mois après la percée fulgurante de l'ADQ pour faire naître chez les deux autres partis représentés à l'Assemblée nationale une furieuse envie de doter le Québec d'une constitution.
Cela donne la mesure de la recomposition du paysage politique québécois depuis le 26 mars. Après avoir été l'instigateur du «partenariat», Mario Dumont avait été complètement marginalisé après le référendum de 1995. Aujourd'hui, c'est lui qui redéfinit le cadre du débat sur la question nationale.
Le député péquiste de Mercier, Daniel Turp, avait été mortifié de voir André Boisclair ranger sur les tablettes le projet de constitution initiale d'un Québec souverain sur lequel il planchait depuis des années et que prévoyait le programme adopté au congrès péquiste de juin 2005.
Il lui a fallu à peine trois semaines pour rédiger un projet de constitution d'un Québec faisant toujours partie de la fédération canadienne. Le virage est pour le moins abrupt, mais il n'est jamais trop tôt «pour affirmer notre identité et nos valeurs», n'est-ce pas? Bien entendu, sa démarche n'a pas fait l'unanimité parmi ses collègues, mais le PQ devra bien prendre acte de la nouvelle réalité d'une manière ou d'une autre.
L'intérêt nouveau du ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier, est tout aussi révélateur. M. Pelletier, qui n'avait encore jamais trouvé le projet aussi «porteur». Cette fois, ça y est: «Le Québec est mûr» pour une constitution.
Le PLQ y aura mis le temps. Le rapport Gérin-Lajoie, adopté par la Fédération libérale du Québec en octobre 1967, en faisait déjà la proposition. «On peut difficilement mettre en doute la nécessité de réunir dans un document strictement québécois les règles fondamentales devant régir l'organisation et le fonctionnement de l'État du Québec», pouvait-on y lire. «Petit à petit, le ruisseau perce le rocher», se plaisait à répéter Claude Ryan. Sauf que c'est long.
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En toute justice pour M. Pelletier, son rapport de 2001 évoquait implicitement la possibilité de rédiger une constitution. «Il pourrait être opportun qu'un prochain gouvernement libéral procède à une mise à jour ou à une consolidation des principes tirés ou inspirés de certains documents constitutionnels, législatifs et jurisprudentiels jugés fondamentaux pour la société québécoise.»
Cette «consolidation des valeurs québécoises» devrait faire l'objet d'une commission parlementaire où la société civile pourrait se faire entendre, précisait le rapport. On n'utilisait pas le mot «constitution», mais le PLQ a généralement peur des mots. De toute manière, le projet est demeuré lettre morte. M. Pelletier se plaint aujourd'hui que Mario Dumont lui ait volé son concept d'autonomie, mais à qui la faute si rien n'a été fait pour la concrétiser?
Maintenant que l'ADQ n'est plus une quantité négligeable, on comprend très bien que le gouvernement Charest ne peut pas se permettre de lui abandonner le terrain de l'affirmation sans séparation, mais M. Pelletier a été très clair sur un point: cela devra se faire sans heurter Ottawa.
Selon lui, le projet présenté par Daniel Turp est inacceptable parce qu'il suppose le rapatriement de certains pouvoirs, donc une réouverture de la Constitution canadienne. «C'est une démarche qui est viciée à la base parce qu'elle repose sur une réforme du fédéralisme canadien», a-t-il expliqué dans une entrevue au Soleil.
On peut se demander dans quelle mesure M. Pelletier était bien conscient de la portée de ce qu'il disait. Il est inacceptable de tabler sur une possibilité de réforme du fédéralisme! Autrement dit, tout est permis à la condition de ne rien changer. Voilà un remarquable résumé de la politique constitutionnelle du PLQ depuis les échecs de Meech et de Charlottetown.
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Remarquez, on ne sait pas encore à quelle hauteur Mario Dumont va placer la barre. La plate-forme électorale de l'ADQ parlait simplement d'une démarche visant à «affirmer notre identité et nos valeurs dans une démarche non partisane». M. Pelletier n'aurait pas dit autrement.
Le projet de constitution adopté par le conseil général de l'ADQ en 2001 allait cependant beaucoup plus loin, reprenant intégralement les recommandations du rapport Allaire, qui ne laissait au gouvernement fédéral que cinq domaines de compétence exclusive: la défense, les douanes, la gestion de la dette commune, la monnaie et la péréquation.
Au congrès de Drummondville, en septembre 2004, il était encore question de «récupérer tous les leviers politiques, économiques, culturels et sociaux» nécessaires à l'épanouissement des Québécois. «Cette vision est en cela fidèle à la recherche d'autonomie qui est au coeur du rapport Allaire», pouvait-on lire dans les documents remis aux congressistes.
Où en est aujourd'hui la réflexion parfois sinueuse de Mario Dumont qui, en 2002, avait carrément chassé la question constitutionnelle de son écran radar? Les propos que le nouveau leader parlementaire de l'ADQ, Sébastien Proulx, a tenus à ma collègue Kathleen Lévesque donnent clairement à penser que la perspective du pouvoir l'incitera à réduire ses demandes d'antan. Certes, le rapport Allaire est redevenu une source d'inspiration, mais de plus en plus lointaine.
«Le rapport Allaire, c'est d'où on vient. Mais aujourd'hui, le Québec a changé. Le Canada aussi. Il y a des pans de notre activité qu'on contrôle complètement. Il y a plein de choses qu'on peut faire à l'intérieur de la Constitution canadienne», estime M. Proulx. Quels sont les secteurs dont la nouvelle ADQ renoncera à réclamer l'exclusivité? La langue? La culture? Les communications? La santé?
Les résultats du 26 mars ont permis à M. Dumont de déterminer sur quel terrain va se jouer la partie au cours des prochaines années, mais il reste à en déterminer les limites. Une démarche comme celle de Daniel Turp vise manifestement à l'empêcher de le réduire à un simple carré de sable. Le chef de l'ADQ ne devrait cependant pas trop s'en faire: après avoir liquidé André Boisclair, le PQ préférera sans doute continuer à jouer tout seul dans son coin.
mdavid@ledevoir.com
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