La stratégie dépasse la tactique

Tribune libre 2008




Je viens de lire dans Le Devoir de ce matin l'article d'Alec Castonguay au sujet du guide à l'intention des terroristes préparé par Al-Quaida, une sorte de mode d'emploi pour préparer des coups qui vont "terroriser " les populations.

C'est de la petite tactique de tout petit monde très petit, tellement petits qu'ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ce petit monde se laisse prendre aux livres. Ils ont toujours un livre, généralement un seul, pour leur servir de régulateur et de guide. Que ce soit la Bible, chez les fanatiques chrétiens, ou le Coran chez les Musulmans. Je crains l'homme d'un livre avait dit S Thomas d'Aquin.

Et si au lieu de "terroriser" le monde comme ils le pensent, ils provoquaient la colère de leurs victimes, colère qui se retournera contre eux à long terme, comme celà est arrivé tant de fois au cours de l'histoire, lorsqu'une guerre, ce qui veut dire par définition une volonté opposée à une autre volonté, a été tentativement résolue par des tactiques délétères?

En bombardant l'Angleterre comme ils l'ont fait, les Nazis se sont crus très intelligents. Ils étaient sûrs et certains d'avoir semé la terreur chez les Anglais et les avoir poussés à se rendre sans combat. C'est le contraire qui s'est produit. Les Anglais ont réagi avec fureur. Ils ont mobilisé toutes leurs forces et ont fait appel à tout l'Empire Britannique pour agir d'un bloc. Leur campagne d'Afrique du Nord, contre le célèbre maréchal Rommel, a été un de leurs grands succès, de même que la campagne de Birmanie sous le non moins célèbre maréchal William Slim, lorsque l'armée Britannique désavantagée a battu les Japonais, au prix de lourds sacrifices, certes, mais au moins, ils ont chassé l'armée japonaise de Birmanie.

Si Al-Quaida pense qu'il va terroriser le monde, il sera surpris de constater l'effet contraire. Comme dit Nietzsche, ce qui ne tue pas rend plus fort. En géopolitique et en stratégie d'État, c'est ce qu'on appelle le service de l'adversité. En fait, l'ennemi est tellement important que s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer. Autrement, les peuples vont mourir de torpeur.

La tactique vise l'effet immédiat mais la stratégie, qui vise le long terme, vise les communications. Comparez ce qui serait arrivé si les Allemands avaient été assez habiles et connaissants en stratégie d'État pour se contenter de saisir Gibraltar, le canal de Suez et le détroit de Malacca, puis faire jonction avec les Japonais qui se seraient eux aussi contentés de saisir les passages maritimes et les détroits stratégiques. De telles saisies se font d'un coup, sans tirer un seul coup de canon. La surprise peut être totale, Dans le cas du canal de Suez, les Allemands auraient pu facilement obtenir la complicité des Égyptiens, qui voulaient leur indépendance, comme les populations Arabes du Golfe Persique. Pour réussir en stratégie, il faut voir loin en avant et prévoir des années d'avance ce qui peut arriver.

C'est ce que les m...Anglais, qui ont compris la stratégie à long terme, à coups d'erreurs et de catastrophes, ont fini par apprendre.

Eux aussi ont eu des tacticiens bornés qui ont provoqué des catastrophes. Je pense à cet imbécile de Field Marshal Kitchener à la guerre des Boers et à la première Guerre mondiale, avec la catastrophe de Gallipolli et le sacrifice inutile des Australiens et des Néo-Zélandais.


Je pense à cet idiot de Lord Louis Mountbatten, qui a ordonné le raid malheureux sur Dieppe et plus tard, le raid sur Suez alors que les conditions géopolitiques avaient radicalement changé.

Je pense également à Winston Churchill, responsable de centaines de milliers de morts à la première et la seconde Guerre mondiales, quoiqu'il faut aussi comprendre qu'il n'était pas seul. Lorsque je suis allé prendre des cours de géopolitique chez les Anglais, ils avaient de dures leçons à me communiquer et ils l'ont fait tout en sachant que je n'attendais rien d'autre qu'apprendre par l'expérience des autres.

Je le sais pour avoir étudié dans leurs écoles. La stratégie vise toujours les communications, qu'on finira bien par contrôler, avec ou sans recours aux armes, mais d'abord sans recours aux armes parce que le succès dure plus longtemps étant donné que l'absence de lutte armée ne provoque pas de réaction violente et furieuse chez l'adversaire.

Est-ce que nous savons au moins que cette stratégie a joué en notre faveur au Québec. Grâce aux guerres qui ont opposé l'Angleterre aux Treize Colonies, puis aux États Unis, les Américains ont aménagé leurs canaux et chemins de fer en fonction des communications entre l'Atlantique, les Grands Lacs et l'Ouest sans passer par le St Laurent. Ce faisant, ils ont obligé les Britanniques à déplacer leurs effectifs militaires et civils vers l'Ontario Méridional et vers l'Ouest de l'Amérique Britannique du Nord, ce qui a eu pour effet de dégager le Québec de la présence directe des Anglais, des Loyalistes et des Orangistes. Nous avons donc été en mesure de saisir tout le Québec qui est devenu notre fief, notre foyer national et l'assise de notre État.

Et maintenant, les mêmes principes de stratégie d'État, ou stratégie à long terme, ce qui revient au même, jouent encore en notre faveur et voilà que nous faisons des dépressions parce que le "succès", entendez succès tactique, ne vient pas tout de suite immédiatement et préférablement hier.

Le succès tactique, laissez-le à nos adversaires de Gesca, La Presse, Desmarais et Cie, ainsi qu'à la bureaucratie d'Ottawa. Voyez comment ils échouent à long terme et provoquent des réactions furieuses chez beaucoup de gens ordinaires. Nous avons et allons avoir encore plus d'emprise sur les nouvelles communications, notamment l'Internet. Alors nous avons déjà la partie belle mais à la condition de ne pas ignorer nos principes de stratégie d'État. Je crains que les Libéraux de Jean Charest ne s'en servent avant nous.

Toute stratégie s'inscrit dans les continuités qui ont déjà fait leurs preuves.

Dans notre cas, voyez comment les erreurs graves des "grands" pouvoirs en place provoquent maintenant aux États Unis et au Canada de fortes tendances vers les déplacements de pouvoirs des États centraux et centralisateurs (Ottawa et Washington) vers les États américains et les provinces canadiennes.

Tout cela fait et va continuer de faire notre jeu. Suivez de près les gouvernements d'Ottawa et de Québec au cours de l'année qui vient. Ils feront notre jeu, soyez-en certains. Ottawa est en train de devenir ingouvernable et les Libéraux de Québec vont être acculés (excusez ma vulgarité) à des expédients ou encore pire, à adopter des politiques proposées par les "séparatisses" et les "indépendantistes" ce qui veut dire transférer tous les pouvoirs aux provinces, qui attendent leur heure.

En 400 ans d'histoire, nos ennemis ont presque toujours fait notre jeu. Nous aurions tort de nous énervouiller lorsqu'ils cherchent des petites tactiques, qu'au Québec, on appelle une "p'tite vite". Vous savez comme moi que c'est la meilleure manière de tout perdre à long terme. Les grandes réussites exigent du temps, de la patience et de la détermination; patience et détermination sont les deux faces d'une seule et même vertu. On est patient parce qu'on est déterminé et inversement.

Depuis que je suis revenu au Québec, j'ai travaillé à convaincre ceux et celles qui pensent que le terrorisme est la solution pour accéder à l'indépendance du Québec, alors qu'elle n'est qu'un pis aller.

Voyez comment la Norvège et la Finlande ont réussi à prendre leur indépendance sans tirer un seul coup de fusil et sans mesure délétère.

Ne faites pas le jeu de nos ennemis par des dépressions inutiles.

Salutations et Joyeux Noël à tous.

JRMS

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2009

    Mais n'est il pas de la stratégie fine et déguisé de faire les erreurs de ses ennemis en son nom ?
    Les attentats attribué à Al Qaeda ne profite ils pas au Américains (9/11) en trouvant une excuse toute faite ouvrant ainsi une voie rapide et légitime pour attaquer l'Afghanistan ? Avec si le besoin se fait ressentir inventer d'autres "stratégies du mensonges" comme pour le cas des soit disante armes de destruction massives présente en Irak.
    Je pense qu'une personne éclairé en ces temps troubles doit penser avec une règle simple : A qui profite le crime ? Surtout lorsque que l'on étudie les mensonges utilisés par les États unis et Israël au cours de leurs histoires pour parvenir a leurs fins.
    Le mensonge est aux démocraties ce que le bâton est aux dictatures. Mais dans ce cas la sont elles réellement des démocraties ?

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2008

        L'attaque et l'effondrement de l'Hôtel King David faisait   partie d'une guerre de guérilla qui vise l'ennemi de  l'intérieur.  De même pour l'EOKA à Chypre, que j'ai bien  connu et aussi le FLN en Algérie et la guérilla de Malaisie   qui a suivi la seconde Guerre mondiale. La guérilla fait   partie des guerres de libération des peuples et vise à   l'interne, de manière à chasser l'ennemi du territoire.   Le terrorisme frappe pour frapper et blesser, sans   objectif politique apparent.   En guérilla, il faut se rappeler que chaque situation   diffère par rapport aux autres. La guérilla ne s'exporte   pas et Mao Tsé Toung le savait. Fidel Castro aussi le sait   mais Ché Guévara ne le savait pas et a tenté d'exporter ce   qui ne s'exporte pas puisque le contexte et la situation  varient dans l'espace et le temps et une solution applicable  et réussie pour l'un peut provoquer le désastre chez l'autre.   Le terrorisme des Talibans vise trop haut et ignore les   principes élémentaires de stratégie.  Il se condamne   lui-même mais s'obstine à frapper les États Unis et les  Américains vont finir par réagir furieusement et les Talibans   vont s'en mordre les doigts.  Tout va mal aux États Unis  présentement. Ce n'est pas le temps de s'exposer à devenir   bouc émissaire.   JRMS

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2008

    Je suis contre le terrorisme, mais faut reconnaître que l'attaque et l'effondrement du King David Hôtel (Palestine) par la cellule terroriste Irgun dont les membres juifs étaient déguisés en arabes et qui a fait des centaines de victimes britanniques n'a pas empêché l'Angleterre de leur accorder la Palestine pour pays.