La quadrature du cercle

PQ - stratégie revue et corrigée

Pour les médecins de la politique, l'état du Parti québécois constitue un remarquable cas d'étude. La plupart proposent des remèdes ou des traitements qui s'attaquent aux symptômes immédiats. Rares sont ceux qui veulent confronter la maladie de crainte qu'une thérapie de choc ne terrasse le malade déjà affaibli.
Jusqu'ici, seul Louis Bernard a reconnu la gravité de l'état du malade et a proposé un traitement qu'on pourrait qualifier de celui de la dernière chance. Que dit l'ancien maître d'oeuvre de René Lévesque? Nous souffrons d'une maladie de l'identité. À force de vouloir être tout et rien, gouvernement de province, mouvement progressiste, refuge des nationalistes mous, parti de la classe moyenne ou des familles, gestionnaire sévère, copain des syndicats et ami des PME, le parti a dilué sa marque de commerce et sa raison d'être. C'est l'histoire du retour du Coke classique. Le PQ soutient cet homme rigoureux et passionné tout à la fois ne possède qu'une raison d'être: la réalisation de l'indépendance. L'indépendance pour qui, pour quel genre de pays, pour quel type de société, cela importe peu. Nous verrons après. Cette proposition condamne, il le sait, le PQ à une sorte de longue marche patiente et à transformer un parti, qui se veut de gouvernement, en un mouvement idéologique radical qui devra espérer que son prosélytisme le mène à long terme au sommet. À court terme, cette option condamne le parti à se satisfaire de sa base irréductible, celle qui a voté pour lui le 26 mars, soit environ 30 %. Cette thérapie a le mérite de l'audace et de la franchise.
Dans l'autre camp, qui semble majoritaire dans les instances du parti, on semble vouloir adopter une approche de médecine douce, sinon holistique, qui voudrait traiter les symptômes en pensant que la maladie s'éteindra d'elle-même. Jusqu'ici, le diagnostic se fait prudent: changer le messager et changer le message. Notez que je n'ai pas écrit changer «de» messager et «de» message. La question qu'on se pose pourrait se formuler ainsi: «Comment changer beaucoup en apparence sans trop changer dans la réalité?» Les instances directrices du parti et les principaux militants semblent avoir décidé de trouver les premiers une solution au problème éternel de la quadrature du cercle. Comment transformer un cercle en carré.
Voilà tout un défi, car le PQ d'aujourd'hui constitue un drôle d'amalgame. À sa tête, un chef qui de toute évidence est le mauvais messager, mais qui tient, si on lui en donne la chance, à changer le message. Puis, un parti qui ne sait plus trop quel message il doit porter, celui du chef ou celui du programme auquel le chef n'adhère pas. Pour compliquer cette mayonnaise qui décidément semble de plus en plus difficile à faire monter, le chef doit tenir compte de l'influence disproportionnée d'une gauche aussi nationaliste que Lionel Groulx et aussi sclérosée que le Parti communiste français.
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Pour le moment, la majorité semble pencher pour un refus de l'affrontement en espérant que l'abcès se résorbera de lui-même. Ces députés qui veulent revenir aux affaires et aux limousines, ces présidents de comté surtout dans les régions prient tous les saints pour que le chef comprenne sans qu'on lui dise que, peu importe le message, il ne sera jamais pour une majorité de Québécois l'homme de la situation. En même temps, ils se refusent à poser la question fondamentale que soulève Louis Bernard: quelle est LA raison d'être de ce parti, quel est son projet fondamental? Ils se demandent comment demeurer un parti indépendantiste sans proposer l'indépendance ou un référendum. En fait, ces gens, qui disent avec raison que vouloir gouverner n'est pas un péché, se nourrissent encore de l'illusion du «bon gouvernement». Selon cette théorie qui est plus un rêve qu'une théorie éprouvée, le fait de bien gouverner comporte un effet d'exemplarité et constitue une sorte d'exercice pédagogique. Un bon gouvernement formé d'indépendantistes constituerait la preuve irréfutable que l'indépendance est souhaitable et attirerait vers le PQ tous ceux qui craignent les turbulences évoquées courageusement par Pauline Marois. Pour parvenir à former un bon gouvernement, la tentation sera grande de repousser l'échéance de l'indépendance et ce référendum dont la majorité des Québécois ne veut pas aujourd'hui. «Cachez ce sein que je ne saurais voir.»
Mais le problème fondamental ne disparaîtra pas comme par magie, celui auquel le PQ refuse de se confronter: l'idée d'indépendance est-elle toujours actuelle, fait-elle vraiment partie des solutions souhaitées par la majorité des Québécois? Ils seront nombreux à répondre, offusqués, qu'on ne peut ainsi trahir une cause sacrée, qu'un tel renoncement serait trahir le peuple. Et si au contraire, précisément pour ne pas trahir le peuple, c'était la première question qu'il fallait poser? La révision toujours déchirante d'une grande idée ne transforme pas en traîtres ceux qui ont le courage et l'honnêteté de la faire. C'est ce qu'avait compris un certain Enrico Berlinguer, chef du Parti communiste italien, qui, au début des années 1970, abandonna le credo de la lutte des classes et du centralisme démocratique pour choisir la voie du socialisme démocratique. Les communistes italiens rénovateurs forment aujourd'hui le coeur de la coalition de gauche qui gouverne l'Italie. Quant à eux, les communistes français, qui furent les derniers en Europe à effectuer cette remise en question, recueillent maintenant moins de 5 % des voix.
Collaborateur du Devoir


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