À Ottawa et à Québec, on se méfiait de l'homme. On le trouvait imbu de lui-même et légèrement mégalomane. Dans sa manière d'administrer et de gouverner, il rappelait plus l'autoritarisme de Duplessis que le Québec moderne qui se construisait. Mais voilà, Jean Drapeau était l'homme politique le plus populaire du Québec, sa popularité n'étant surpassée que par celle du cardinal Léger et celle de Maurice Richard. Alors, on faisait avec et, bien souvent, on s'inclinait ou on se pliait à ses exigences même en craignant les pires conséquences.
Car roi et maître, sans opposition, Jean Drapeau avait de grandes ambitions pour sa ville. Le métro sentait encore le neuf, Expo 67 avait dynamisé la province; il parlait de Champs-Élysées, de Cité des ondes, de Montréal grande capitale internationale. Les Jeux olympiques seraient le point d'orgue de cette grande métamorphose. À ceux qui s'inquiétaient des coûts, il répondait, méprisant, qu'il ne pouvait y avoir de déficit, pas plus qu'un homme ne pouvait accoucher d'un enfant. Aux journalistes, il reprochait leur négativisme. Aux sceptiques, il répondait qu'ils manquaient de vision et d'audace. Aux fonctionnaires, il reprochait leur incompétence. Gérée comme un projet personnel et royal, la construction du Parc olympique fut le plus grand fiasco financier de l'histoire du Québec. Ce n'est qu'en décembre 2006, trente ans plus tard, que les contribuables québécois terminèrent d'éponger les 1,5 milliard de dollars de la dette que leur avait laissée Jean Drapeau en héritage.
Jean Drapeau était un politicien habile, pour ne pas dire machiavélique. Ceux qui n'étaient pas totalement avec lui étaient contre lui, mais surtout contre la population qui l'adorait. Il maniait avec art la tactique du fait accompli, du «il est trop tard pour reculer», du «si ce n'est pas maintenant ce sera jamais et le peuple vous en fera payer le prix».
En plus vendeur de voitures d'occasion et sans le lustre aristocratique de Jean Drapeau, Régis Labeaume est l'incarnation moderne de Jean Drapeau. Les médias sont des «chialeux», les fonctionnaires, des tartes et ceux qui s'opposent à lui ou à ses Nordiques, à son amphithéâtre ou à ses manières de faire, de tristes rabat-joie. Fin connaisseur de la turpitude humaine, en particulier de celle qui habite les avides de pouvoir, il manie son chandail des Nordiques, sa maquette d'amphithéâtre et ses 80 % de popularité dans la grande région de Québec comme une carotte et un bâton et ne cesse de faire avaler des couleuvres au Parti libéral et au Parti québécois.
La première couleuvre, ce fut l'annonce que l'amphithéâtre serait construit en étant financé entièrement par des fonds publics. Que le PLQ ait trouvé bon goût à cette couleuvre en pensant aux circonscriptions qui lui échappent dans la région de la Capitale-Nationale ne surprend pas. Les libéraux n'ont pas le palais fin. Que le Parti québécois, le parti social-démocrate, le parti de la justice et de l'équité, avale la même couleuvre avec un sourire de ravissement, cela surprend un peu plus. Et j'imagine que certains députés et, j'espère, plusieurs membres du parti de René Lévesque ont dû sentir un goût amer dans leur bouche muette. 400 millions de dollars d'argent public pour créer 25 emplois de millionnaires, cela ne fait habituellement pas partie du credo péquiste. Et certains parmi les vieux se sont peut-être souvenus que, finalement, malgré la certitude de Jean Drapeau et contre toutes les lois de la nature, un homme avait accouché d'un enfant en 1976.
Mais le petit Napoléon de Québec n'en avait pas fini. Des esprits chagrins menaçaient de contester la légalité de ses ententes avec Quebecor et de fatigants juristes soutenaient que ces textes contrevenaient aux lois. Ce n'est pas ainsi qu'on fait des affaires, se dit le maire-commerçant. Rendons irrémédiablement légal ce qui pourrait être illégal. Tactique alors du fait accompli et de l'urgence; si on n'agit pas maintenant, les Nordiques iront à Moose Jaw et PKP va nous abandonner. Ce n'est plus une couleuvre, c'est un boa constrictor. Qui avalera ce reptile? Jean Charest? Non, Pauline Marois et le parti de René Lévesque.
Parangon de vertus sociales-démocrates, Agnès Maltais devient le Petit Chaperon rouge de Régis Labeaume et de PKP, et le Parti québécois, le porte-étendard des Nordiques. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour faire avancer la cause du pays? Quatre députés ont eu la dignité et l'honnêteté de refuser d'avaler la couleuvre que leur tendait leur chef.
Le plus hallucinant dans cette histoire, c'est la surprise de Pauline Marois. Comment pouvait-elle imaginer que le fait de se prêter à une telle entourloupette ne provoquerait pas des grognements dans ses rangs? Ce parti n'est quand même pas devenu totalement un vieux parti traditionnel obnubilé par tous les gains à court terme. Mme Marois a admis qu'elle avait fait une erreur, celle de ne pas avoir assez consulté. Mais ce n'est pas ça, l'erreur, Mme Marois; l'erreur, c'est d'avoir accepté que le PQ devienne le défenseur obéissant des désidératas de Régis Labeaume et de Quebecor, quitte à avaliser une entente illégale ou mal foutue pour les contribuables.
Cette semaine, j'ai écouté les propos de ceux qui se définissent comme la relève et qui se sont soudés en bloc derrière Mme Marois. Ils insistent sur la nécessité de faire la politique autrement et disent que c'est leur mission. Ce que j'ai compris, c'est que les jeunes étaient prêts à tourner les coins plus rapidement que les vieux. Ils ont beau protester qu'ils sont maintenant adultes, il est évident qu'ils ont encore besoin de leurs belles-mères.
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