Dion l'Ancien, Dion le Nouveau

S. Dion, chef du PLC


Vrai comme il a neigé hier, je ne vous raconte pas d'histoires : il y avait en Sicile, 400 ans avant Jésus-Christ, un fameux intellectuel qui s'appelait Dion. Ce disciple de Platon ne voulait pas se contenter d'étudier la géométrie, l'astronomie et la morale. Il voulait se mêler de politique, comme notre Dion.
Le Dion de l'Antiquité s'est d'abord fait connaître comme conseiller du prince de l'endroit, Denys, un tyran peu éclairé ébahi par ses propos. Il admirait au plus haut point l'esprit de Dion et sa vertu. Mais ces mêmes qualités le rendaient aussi désagréable à plusieurs.
Allez, Dion, viens prendre une amphore avec nous, lui disaient les copains de la cour, de joyeux fêtards.
Toujours, Dion refusait.
Au bout d'un certain temps, il a fini par passer pour un pénible casseur de party et un donneur de leçons.
" Dion était donc détesté, comme on peut l'imaginer, car il ne se livrait à aucun plaisir et à aucun débordement ", écrit le fameux philosophe-historien Plutarque, qui lui a consacré une Vie très élogieuse.
" On le calomniait en donnant à ses vertus, de manière convaincante, des noms de vices : son sérieux était, disait-on, du dédain et son franc-parler de l'arrogance; ses remontrances passaient pour des accusations et son refus de s'associer aux fautes des autres pour du mépris. Il est certain qu'il y avait, dans le caractère de Dion, de l'orgueil et une rudesse qui rendaient son abord et son commerce difficiles. (...) Beaucoup de ses amis les plus proches, qui aimaient la simplicité et la noblesse de sa conduite, blâmaient ses manières et jugeaient qu'il se montrait trop grossier et sévère avec ceux qui le sollicitaient pour des raisons politiques. "
Un jour, son vieux maître Platon lui adressa une mise en garde : " Méfie-toi de l'arrogance, car la solitude est sa compagne. "
Se faire critiquer par les journalistes n'est déjà pas une chose agréable pour aucun Dion (demandez à René Angelil), imaginez quand ça vient de Platon lui-même! Ça fait mal. Hier comme aujourd'hui, ce n'est pas toujours facile d'être Dion.
Toujours est-il que, après bien des péripéties que je vous épargne, après un exil même, Dion décide de devenir chef d'État! Il veut être chef à la place du chef. Il a les idées larges et généreuses. Il entend libérer le peuple de la tyrannie et débarrasser la cité des démagogues, ce qui n'est pas une mince affaire, aujourd'hui comme hier. Il y parvient, ce qui ne manque pas d'étonner, mais quoi de plus imprévisible que la fortune politique? Malheureusement, ce fut de courte durée. Son histoire finit mal, vu qu'à l'époque on ne connaissait pas les joies du scrutin universel; pour lui enlever le pouvoir, on lui enleva la vie.
Le Dion nouveau n'est pas moins surprenant. À une époque qu'on dit complètement pénétrée de politique-spectacle, les deux principaux chefs de parti au Canada sont des contre-exemples spectaculaires. Deux premiers de classe qui approchent le degré zéro du charisme et qu'on ne verra pas à poil dans une émission de télé. Pour Stéphane Dion le libéral comme pour Stephen Harper le conservateur, la politique est une affaire de tête. Indéniablement, voilà deux hommes de contenu plus que de contenant.
L'autre nouvelle intéressante, c'est que le candidat Dion était l'un des moins fortunés. Comparé aux Ignatieff et Rae, il ressemblait presque à la mairesse Boucher à Québec, qui a fait campagne dans son sous-sol.
Serait-il donc possible d'avoir du succès en politique sans le soutien des grands financiers, et en misant sur ses idées?
N'exagérons rien, cependant : Stéphane Dion n'est pas un marginal. C'est au contraire une valeur sûre au Parti libéral, avec lequel aucune réconciliation n'est nécessaire : il l'incarne depuis 10 ans. C'est un visage rassurant hors Québec, à défaut de faire s'évanouir les foules.
Sauf que, comme l'Ancien, Dion le Nouveau s'est fait des ennemis pour ses idées et pour sa manière de les dire. Même d'anciens collègues du cabinet, tout en reconnaissant sa compétence, le trouvent rigide, hautain et, somme toute, arrogant, en particulier dans les dossiers touchant le Québec.
Il a su convaincre le reste du Canada qu'il avait la recette juridique pour ne pas perdre le Québec; il a récrit les règles du jeu de la sécession. Il lui reste à prouver qu'il peut jouer autrement que pour ne pas perdre le Québec. Il lui reste à trouver le moyen de le gagner. Et, bien franchement, on ne voit pas comment il va faire ça comme on ne voyait pas, il est vrai, comment il pourrait devenir chef du PLC. Peut-être en jouant plus sur le vert que sur le bleu.
En ce moment, même si on nous le montre sous un jour tout neuf, même s'il est monsieur Kyoto, pour bien des Québécois il ressemble encore beaucoup au Dion antique : sûr de sa vertu, superbe mais bien seul.


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