Vendredi dernier, le premier ministre Stephen Harper était tellement fier de son coup sur la nation québécoise qu'il n'a pu s'empêcher de se moquer de Gilles Duceppe, qui venait de changer de position trois fois en trois jours.
C'est de bonne guerre, entre politiciens, de railler ses adversaires quand ceux-ci se font déculotter. Mais les conservateurs devraient avoir le triomphe un peu plus modeste parce, d'abord, il est loin d'être certain qu'ils ont gagné la bataille de la nation dans l'opinion publique.
Et puis, surtout, ils ont tellement de mal à s'entendre entre eux sur ce que signifie vraiment la reconnaissance de la nation québécoise que ce sont maintenant leurs adversaires bloquistes et libéraux qui se payent leur tête.
Avec raison. Depuis lundi soir, trois ministres québécois de Stephen Harper ont péniblement essayé d'expliquer ce que veut dire la résolution, y allant chacun d'une interprétation différente et parfaitement incohérente.
Il y a d'abord eu le lieutenant de M. Harper au Québec, Lawrence Cannon, lundi soir, qui s'est presque engueulé en anglais avec une journaliste francophone (y'a de ces moments surréalistes à Ottawa) sur la signification du mot Québécois (ou Quebecers, si vous préférez). Que c'était laborieux! Si M.Cannon est, comme on le dit à Ottawa, le plus convaincant des députés conservateurs du Québec, on comprend vite pourquoi le caucus québécois de ce gouvernement est si faible.
Comment peut-on se présenter devant la tribune parlementaire, sur un sujet aussi chaud, et être incapable de débiter deux phrases cohérentes de suite? M. Cannon a d'abord répondu que la résolution déclarant que les Québécois forment une nation, englobe tous les Québécois, peu importe leur origine ou leur langue. Puis, quelques minutes plus tard, salto arrière, la nation ne s'applique pas nécessairement à tous les Québécois, mais seulement à ceux qui le veulent. Double salto arrière avec vrille, hier en Chambre, M. Cannon rectifie de nouveau le tir
Heureusement, M. Cannon était flanqué lundi soir de la sénatrice Marjorie LeBreton, beaucoup plus claire sur le sujet : cette résolution s'applique à tous les Québécois, peu importe leur langue, a-t-elle précisé. Et puis on a écrit Québécois et non Quebecers parce que beaucoup d'anglophones dans ce pays réfèrent aux Québécois par leur nom français.
Hier matin, c'était au tour de la ministre Josée Verner de se faire torturer, cette fois par Anne-Marie Dussault à Radio-Canada. Sont de la nation québécoise ceux qui se sentent interpellés par notre motion inclusive, a répété inlassablement la ministre comme un moulin tibétain.
Oui, mais voulez-vous dire que les Franco-Manitobains, par exemple, font partie de cette nation? a insisté l'animatrice, obtenant toujours la même réponse préfabriquée : tous ceux qui se sentent interpellés.
Sans oublier le ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, qui triomphait lundi en Chambre en affirmant que cette résolution était une étape historique, avant d'ajouter, quelques minutes plus tard, que ce n'était qu'un pas en avant
Si les conservateurs trouvent leur résolution tellement extraordinaire, il faudrait au moins qu'ils soient capables d'expliquer ce qu'elle veut dire et, surtout, ce qu'elle ne veut pas dire.
Comme dit le dicton : ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Ici, nous nageons en plein flou et ce flou entretient un doute sur les réelles motivations d'un geste qui se voulait pourtant au départ un signe de bonne volonté.
En se contredisant publiquement, les conservateurs donnent raison à tous ceux qui disent que cette reconnaissance est dangereuse.
Ce n'est pourtant pas très compliqué : est Québécois qui partage la langue, la culture et l'histoire du Québec (la définition utilisée par M. Harper), ce qui inclut les anglophones et les allophones puisqu'ils partagent ou épousent la culture et l'histoire et ils vivent dans un ensemble majoritairement francophone. On ne peut pas dire que les anglos de Westmount ne sont pas québécois. Pas plus qu'un indépendantiste de Roberval ne peut dire qu'il n'est pas canadien.
Chose certaine, il y avait longtemps qu'un débat purement politique n'avait pas déclenché une telle tempête au Canada. Que les médias, en particulier les tribunes téléphoniques à la radio, s'emparent du sujet, rien d'étonnant. Ce qui l'est plus, c'est d'entendre, comme hier midi au centre-ville d'Ottawa, un groupe de jeunes sans-abri débattre du concept de nation. " Les Québécois sont une nation, good for them, ben moi je suis une nation aussi parce que je suis Acadien ", a lancé en anglais un jeune homme. " No way, a répliqué un autre, il n'y a qu'une nation dans ce pays. "
Les libéraux, de leur côté, ont vite compris que ce débat a toutes les chances de déraper à l'occasion de leur congrès, qui s'ouvre aujourd'hui à Montréal. Les manuvres visant à enterrer la résolution du PLC-Québec sur la reconnaissance et, éventuellement, l'officialisation de la nation québécoise, ont finalement fonctionné, malgré la volonté de ses auteurs de la présenter devant le congrès.
Cela ne veut pas dire que les militants libéraux n'en parleront pas au cours des prochains jours au Palais des congrès.
Hier, le train Ottawa-Montréal de fin d'après-midi était rempli de délégués libéraux se rendant à Montréal pour le congrès et il était vraiment difficile de se concentrer pour écrire cette chronique dans le brouhaha des discussions animées sur la nation québécoise.
Ou sur the Quebec nation ou sur les Quebecers as a nation et même sur this nation thing. Peu importe les termes, ce qui est certain, c'est que ce débat n'est pas clos.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé