Une nation, deux nations, trois nations...

La nation québécoise vue du Québec



Les Québécois savent qui ils sont, a dit le premier ministre du Canada, hier.
Euh... Oui, oui, on sait qui on est mais... C'est juste que vous commencez à nous mêler, depuis une couple de jours.
On voudrait surtout pas être impoli. On apprécie le geste, vraiment. Mais depuis lundi soir qu'on est une nation... Y a comme qui dirait du zigonnage intellectuel à Ottawa.
En vérité, avant que les Anglais ne se mêlent de nous prendre pour une nation, les choses commençaient à être presque claires.
À l'origine, la nation, celle dont on parlait au Québec, c'était que ce qu'on nommait la "Laurentie". C'est-à-dire les descendants des quelque 70000 Canadiens qui peuplaient la vallée du Saint-Laurent quand les Anglais ont conquis la Nouvelle-France.
Difficile de trouver le point de départ d'une nation, puisqu'elle naît d'une prise de conscience d'un peuple en tant que peuple, écrivait le sociologue Marcel Rioux en 1944. "On peut tout de même constater que c'est surtout sous l'action des contraintes historiques et des événements extérieurs et hostiles que la conscience nationale se manifeste et se cristallise", ajoute-t-il. La Conquête est donc l'acte de naissance de la nation laurentienne, écrit-il.
Le problème de cette définition authentique du nationalisme québécois est qu'elle est trop exclusive, xénophobe et dangereuse. Comme on a vu amplement au XXe siècle les méfaits criminels du nationalisme en Europe, il était impératif de raffiner le modèle.
Depuis une quarantaine d'années, donc, on s'est efforcé d'arrondir les angles. Le nationalisme québécois est inclusif. Il est désormais territorial et non ethnique. Qu'est-ce qu'un Québécois? Tout résidant du Québec. La nation, c'est tous ceux qui décident de vivre sur le territoire, peu importe leur origine.
La définition est consensuelle, et tant les fédéralistes nationalistes, comme les ténors du Parti libéral du Québec, que les souverainistes définissent ainsi la nation. De Bernard Landry à Jean Charest, on s'entend au moins là-dessus.
En même temps, on n'a pas vidé le nationalisme de son caractère ethnique. À quoi rime la société distincte, le statut particulier, le fédéralisme asymétrique ou la souveraineté avec ou sans association, s'il n'y a pas, au Québec, une majorité de personnes parlant français, qui veulent avoir des moyens de préserver et développer leur différence? Sans différence, pas de nation.
Le modèle du nationalisme québécois actuel est donc en principe un mélange de l'ancienne Laurentie et de la simple citoyenneté territoriale: défense et promotion du fait français, mais ouverture à tous ceux qui partagent ce "vouloir-vivre" commun.
Chaque déviation de ce centre, cette nouvelle orthodoxie, est rapidement frappée d'infamie: le discours de Jacques Parizeau le soir du référendum, les propos d'Yves Michaud au sujet du vote ethnique, mais aussi les prises de position de politiciens fédéralistes qui combattent le nationalisme, comme un Stéphane Dion, ou d'autres dont le nationalisme manque de nerf voyez comment Jean Charest a changé de ton depuis quatre ans.
Tout d'un coup nous vient du gouvernement fédéral une affirmation que les Québécois forment une nation. On observe que dans le texte anglais il est écrit "Québécois" et non "Quebecker". Comme les mots sont présumés vouloir dire quelque chose dans les textes des législateurs, on est bien obligé de conclure qu'il y a une raison à cela.
On demande au ministre politique du Québec, Lawrence Cannon, si cette nation comprend autre chose que les Canadiens français du Québec. Il répond non. Quelle ironie: c'est d'un ministre fédéral que revient une définition ethnique de la nation québécoise! Le ministre se dédit aussitôt pour inclure tout le monde, tout le monde, tout le monde. Il voulait tellement se reprendre que, pour un peu, il allait inclure les bélugas et les phoques à capuchon. La veille, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Michael Chong, démissionnait précisément parce que la définition lui semblait ethnique.
Et Gilles Duceppe dit que ça inclut tout le monde. Comprenne qui peut, mais il y a là un détournement de nationalisme ethnique proprement ahurissant. Et surtout bien de la confusion dans les idées outaouaises.
La nation était en France un concept révolutionnaire après 1789. On opposait la nation à la royauté, un système où régnaient les privilèges. La nation devenait l'ensemble des citoyens, peu importe leur statut. D'où l'assemblée "nationale". Les privilégiés (les nobles et le clergé) étaient considérés hors nation, sauf s'ils acceptaient de "se purger de leur injustes privilèges", pour devenir simples citoyens.
La nation était donc un moyen de lutter contre l'ordre établi. Mais au fil des ans, la nation a été récupérée et est devenue en France liée aux mouvements les plus conservateurs et les plus rétrogrades.
Au-delà du mot, l'idée radicale d'égalité devant la loi a survécu comme un principe fondamental en France. Au-delà de la résolution de la Chambre des communes, au-delà de la confusion qui entoure son interprétation, le Québec, en effet, sait qui il est: le seul territoire politique où les francophones sont une majorité en Amérique. Ça n'exclut ni la minorité anglophone, ni les nations autochtones, ni les néo-Québécois. Telle est simplement notre condition historique, politique, sociologique. Existentielle.
À l'intérieur ou à l'extérieur de la fédération canadienne, qui contestera que le destin du Québec est de durer et de se développer en tant que tel? Ça doit vouloir dire qu'il existe quelque chose comme une nation, du moins une conscience nationale québécoise...


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