Débat à l'Université Laval

Charge contre une certaine élite qui continue de douter de l'existence de la nation

La nation québécoise vue du Québec

Québec -- Au moment où la population se dit massivement d'accord avec la reconnaissance de la «nation québécoise» (70 % selon le dernier sondage CROP), les universitaires, eux, se complaisent dans des débats sans fin sur l'existence ou non de cette nation.
C'est du moins le constat qu'a présenté hier Christian Dufour, professeur à l'ENAP, lors d'un débat à l'Université Laval. Selon lui, ces «palabres» ainsi que les hésitations de certains universitaires -- tel l'historien Jocelyn Létourneau, qui participait lui aussi au débat -- confinent à «une masturbation intellectuelle profondément déprimante et triste». Sitôt le vote passé aux Communes, a fait remarquer M. Dufour, les universitaires se sont mis «à se demander: "Mais de quelle nation est-il question?" au lieu de prendre le geste pour ce qu'il était», la réponse à un «besoin de reconnaissance». «Ces débats-là, il faut les faire, il faut les tenir, mais ils ont un côté débilitant qui nous affaiblit et qui nous éloigne des vrais enjeux politiques».
Il y aurait en somme une «incapacité des élites québécoises de nommer l'endroit d'où elles sont issues», un phénomène qu'il a baptisé «la nouvelle trahison des clercs», en référence à un célèbre texte de Pierre Elliott Trudeau. La société québécoise serait «en train de se décomposer sur le plan intellectuel», a-t-il soutenu.
L'inclusion maladive
M. Dufour raconte que, lors du débat sur le mode de scrutin, plusieurs universitaires lui ont reproché d'avoir utilisé le terme «majorité francophone». «On m'a dit: "Il ne faut pas dire ça, ce n'est pas inclusif!" [...] Alors, qu'est-ce qu'on est? Une bande, un rassemblement, une horde?» C'est une certaine obsession pour «l'inclusivité» qui conduirait les universitaires à cette négation subtile de la nation. «On se voit comme une nation exclusivement inclusive!», s'est-il amusé à expliquer. «C'est une chose d'être ouverts, c'en est une autre que de donner aux autres un droit de veto sur la façon dont on se nomme», a-t-il dit, déplorant que le Québec de la Révolution tranquille ait coupé avec «le vieux fond canadien-français». «Je n'en reviens pas que [l'historien] Gérard Bouchard ait écrit qu'il fallait [jeter les souches au feu!->www.vigile.net/peuple/bouchardsouches.html]»
S'en prenant à un autre collègue, le philosophe Michel Seymour, de l'UdeM, qui a élaboré sept définitions de la nation -- [citées récemment dans nos pages->3048] --, M. Dufour s'est montré railleur: «Plus on regarde dans le ciel, plus on peut trouver d'étoiles. Tout ça me fait penser aux Précieuses Ridicules.» M. Dufour a aussi critiqué les organisateurs du débat, les étudiants de Laval inscrits aux études supérieures (l'AELIES), pour leur intitulé «La nation québécoise existe-t-elle?». «C'est surréaliste dans la période où l'on est», a-t-il dit.
Jocelyn Létourneau
L'historien Jocelyn Létourneau s'est pour sa part posé en scientifique, optant pour la «rigueur analytique» face à un espace public livré aux opinions. «Le débat actuel sur la nation québécoise est démoralisant pour un universitaire. [...] ce sont les politiciens et les journalistes qui l'alimentent [...] les premiers sont prêts à dire n'importe quoi, une chose et son contraire, pour obtenir l'assentiment populaire et gagner des votes. Les seconds cherchent à tout prix la nouvelle quitte à la créer à partir d'anecdotes ou d'affirmations non contextualisées pour vendre de la gazette.»
À un moment de sa présentation, M. Létourneau a affirmé: «Si l'on accepte mon point de vue, on peut accepter de parler du Québec comme nation, mais il faut envisager le terme dans sa définition la plus large, [...] détaché d'une perspective prescriptive». Plus tard, il a affirmé que «cette société n'existe pas comme nation, du moins pas encore», puisque tous les membres ne s'y «reconnaissent pas». Finalement, M. Létourneau, comme l'autre participant, le sociologue Jean-Jacques Simard, a jugé que le Québec consistait plutôt en une «société globale», notion héritée du regretté Fernand Dumont. Le concept de nation serait en avance sur la réalité, «comme celui de "société globale" l'était au temps où Dumont le forgeait». D'ici une trentaine d'années, «il est possible que le concept de nation québécoise» colle au réel, «mais nous n'en sommes pas là en 2006», a-t-il soutenu.


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