Nations

La nation québécoise vue du Québec

Ah, la nation... Diminuée, en crise d'identité, écartelée d'une part par les forces régionales, de l'autre par les grands ensembles; exécrée ou exaltée, elle reste pourtant au coeur de la vie et des affaires du monde.
Fin 2006, sur cette planète qui a pourtant d'autres problèmes, les revendications nationales restent au coeur de la vie politique. Dans plusieurs États de l'Inde, régions d'Espagne, dans les rapports de la Turquie avec l'Europe, ou encore aux confins de l'ex-URSS ou de la Chine... elles sont là. L'idéologie communiste plus ou moins morte, le nationalisme est devenu un moteur essentiel pour des régimes comme ceux de Fidel Castro, de Vladimir Poutine ou des mandarins de Pékin.
Début octobre, lançant officiellement sa campagne qui allait la propulser candidate présidentielle, Ségolène Royal y allait d'une vibrante défense et illustration de la nation française au XXIe siècle. «Une nation qui a mal», disait-elle, une nation qu'il faut relever face aux défis de la mondialisation, par un renforcement des liens entre le national et le social et, plus concrètement, «entre le drapeau tricolore et la sécurité sociale».
Selon Mme Royal, le politique, les nations ont encore en 2006 leur mot à dire face aux grands ensembles, face aux géants économiques privés, face aux questions pourtant supranationales que sont l'écologie ou le terrorisme.
Et puis, y a-t-il pays plus nationaliste que les États-Unis, où il est commun et bien vu d'arborer le drapeau national devant sa porte? Un pays dont beaucoup d'initiatives -- y compris ses plus catastrophiques équipées à l'étranger -- sont inspirées par le sentiment de constituer le «peuple choisi» et par une volonté d'exporter le Bien, consubstantiel à l'Être national.
Et pourtant, voilà une nation souvent décriée, qui découvre comme toutes les autres, au XXIe siècle, les douloureuses limites de sa capacité d'action.
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Nations omniprésentes, donc... Mais que vaut la «reconnaissance» d'une nation par une autre, par les autres? Qu'est-ce que ça donne au malheureux qui souffre dans son recoin perdu? Au citoyen d'Occident dans sa confortable chaumière?
Il est des nations reconnues par le monde entier, et néanmoins malheureuses. Comme il est des peuples anonymes et heureux. Mais il est aussi des nations ou des peuples oubliés, non reconnus... et sans doute plus malheureux pour cette raison! On pourrait parler des Tibétains, dont la tragédie commencée avec l'invasion chinoise de 1950 n'a pas cessé un instant...
Il y a bien sûr une différence cruciale entre une «reconnaissance» au sens général, et la reconnaissance d'un État indépendant par un autre État indépendant. Parlons donc de simple reconnaissance, celle qui consiste à dire: «Bon, oui, voilà une nation, qui a des droits comme nation.»
Un exemple: le Timor-Oriental, petite moitié d'île au fin fond de l'Océanie, naguère soumise à une féroce occupation par l'Indonésie. Qu'a donné au juste la reconnaissance aux Timorais, eux qui ont longtemps croupi dans la catégorie des «oubliés malheureux»? La catégorie de ceux qui n'ont ni l'État souverain, ni le semi-État fédéré, ni la reconnaissance comme nation par ses voisins, et à peine -- ici et là, à l'étranger -- la reconnaissance comme peuple qui souffre?
On pourrait répondre, dans le cas du Timor, que cette reconnaissance a tout changé! En effet, un jour de 1996, le peuple timorais est sorti de l'ombre lorsque le prix Nobel de la Paix a été accordé à deux militants de la cause, Carlos Belo et José Ramos-Horta... Dans ce cas, la célébrité et une reconnaissance subites ont bouleversé la donne. Quelques années plus tard, sous les projecteurs du monde, et avec l'aide de la communauté internationale, le Timor devenait pays indépendant. Avant de retomber dans l'oubli... et peut-être même aussi dans le malheur !
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Mais il peut arriver également, au contraire, que la non-reconnaissance et l'adversité représentent des facteurs favorables à l'éclosion et au renforcement d'une nation...
La question palestinienne est omniprésente depuis au moins 40 ans dans les affaires internationales. Et durant cette période, il est remarquable que, d'une part, le peuple, la nation, voire le crypto-État palestiniens soient passés de la non-reconnaissance à la reconnaissance totale par le monde entier ou presque... mais que, d'autre part, la misère palestinienne n'ait pas du tout diminué dans le même temps!
Il n'y a pas un jour dans le monde où l'on ne parle de la question palestinienne. Pas un jour, ou presque où, quelque part, il n'y ait des manifestations pro-palestiniennes. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît, au niveau des principes, que les Palestiniens forment une nation et que cette nation devrait avoir un État indépendant. Même les Israéliens et Washington le disent... en tout cas, c'est leur position officielle, même si l'on peut se demander ce qu'elle signifie dans les faits.
Question: Se pourrait-il, parfois, que la reconnaissance verbale cache l'hypocrisie ou l'indifférence?
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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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