Les matraques et les balles en caoutchouc contre les urnes : telle est l’image hallucinante qu’un État démocratique occidental a projetée dimanche de lui-même, en l’an 2017, à travers des médias aux aguets et des réseaux sociaux en ébullition.
Un État à la démocratie relativement récente et fragile, au passé dictatorial et violent, longtemps intolérant face aux minorités nationales. Passé qui revient aujourd’hui le hanter.
Images de cette journée historique qui aura secoué l’Espagne de façon peut-être ineffaçable…
Celle d’une dame aux cheveux blancs attaquée par les forces de l’ordre espagnoles, reposant par terre à côté d’une flaque de sang.
Celle d’un affrontement entre des éléments de la Guardia Civil espagnole et des Mossos d’Esquadra catalans, forces aux loyautés antagonistes. La première combattant physiquement le référendum déclaré illégal par Madrid ; la seconde protégeant la population mobilisée, ne pouvant se résoudre à l’entraver.
Celle de policiers casqués, s’acharnant avec des bâtons contre une porte en vitre grillagée, alors qu’on essayait de voter de l’autre côté, et qu’on courait pour mettre les urnes en sécurité.
Celles de foules impavides et chantantes, bras levés devant la Guardia Civil et la Policía Nacional en train de les charger avec matraques et balles en caoutchouc.
Des images qu’on croirait tirées d’une autre époque… si ce n’était des moyens électroniques du XXIe siècle qui les ont répercutées instantanément aux quatre coins du monde.
Ceux qui sont surpris de l’éruption de la violence dans le conflit Madrid-Barcelone connaissaient mal leurs Espagnols, le passé violent de ce pays et le niveau d’exaspération d’une grande partie des Catalans après six années d’affrontement larvé.
Les conflits politiques étant aussi des guerres d’images, on peut affirmer qu’hier, à la face du monde, le gouvernement espagnol a perdu une bataille. Et lourdement.
Ce gouvernement, présidé par un Mariano Rajoy en grave déficit d’attention, d’empathie et de réalisme, a déclaré hier soir : « Il n’y a pas eu de référendum d’autodétermination en Catalogne aujourd’hui. »
C’est dans le même état d’aphasie politique qu’il a traité la question catalane depuis six ans : en l’ignorant et en envoyant plutôt aux trousses des nationalistes la police et les tribunaux… Ces tribunaux avaient mis le feu aux poudres en 2010, cassant une partie de l’Estatut autonome catalan, qui accordait à la Catalogne le statut de nation — chose intolérable pour la droite espagnole.
Rajoy, à la tête d’un gouvernement minoritaire, plombé par de nombreuses accusations de corruption, pourra-t-il se relever d’une telle épreuve ? Poursuivra-t-il dans sa fuite en avant en continuant de traiter avec mépris les revendications des nationalistes ? Parmi ses alliés, beaucoup pensent que sa nullité stratégique devant le défi catalan mérite qu’on lui montre aujourd’hui la porte.
C’est dans un tel climat chaotique, pré-insurrectionnel, avec une logistique révisée chaque jour en catastrophe (voire chaque heure), que le gouvernement catalan a annoncé cette nuit avoir mobilisé aux urnes quelque 2,2 millions de personnes, des votes qu’il assure avoir comptés de façon crédible. Résultat : 90 % de « oui » et un taux de participation de 43 %. Dans les circonstances, c’est un succès remarquable.
Mais cette victoire du « oui », avec l’appui de presque 40 % de tous les inscrits, reste entachée par l’absence de tout un pan de l’électorat – minoritaire mais important – qui, suivant les injonctions de Madrid, s’est délibérément abstenu d’aller voter.
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