Briser les forces de l'immobilisme, dit Mario Dumont

Qui, entre Bay Street ou le Québec, Mario Dumont se prépare-t-il à défendre s'il devient premier ministre du Québec?

Tribune libre - 2007

D'accord avec Mario Dumont mais pas de la manière dont il le pense. L'immobilisme, c'est l'inertie et l'entropie du système en place, du fédéralisme unitaire au service de l'oligarchie de Bay Street exclusivement. L'immobilisme, c'est l'inféodation du Québec au pouvoir centralisateur et arbitraire d'Ottawa, qui travaille d'abord et avant tout pour l'Ontario. P.E. Trudeau l'a avoué dans une entrevue accordée à John Ibbitson, premier journaliste du Globe and Mail à Toronto. Cette entrevue est rapportée dans le livre d'Ibbitson: Loyal no more. Ontario's struggle for a separate destiny.

Les chose ne vont pas bien pour l'Ontario, dont le centre de gravité principal, les basses terres des grands Lacs, (Great Lakes Lowlands) sont enclavées et fermées à l'accès direct vers l'océan Atlantique, comme c'est le cas de New York et du Québec, le premier par l'Hudson et le canal Érié; le second par le Saint Laurent.

Tant et aussi longtemps qu'Ottawa a pu exercer sur les provinces un contrôle quasi total et absolu, les choses allaient bien pour Bay Street. Mais les provinces dont la croissance a atteint la stature de véritables États ne peuvent plus tolérer ni la domination politique d'Ottawa ni la domination économique de Bay Street.

Ces constatations élémentaires fondées sur les principes de la géopolitique et de la stratégie d'État, vous ne les verrez dans aucun journal ou agence de nouvelle contrôlé par l'Oligarchie dominante et régnante dans tout l'espace continental canadien. Ces agences sont payées pour mentir afin de masquer le fait que leurs propriétaires ont la mort dans l'âme. Ce sont eux, les oligarques, qui ont créé l'immobilisme actuel et qui veulent le maintenir afin que l'argent demeure sous leur contrôle exclusif. Pour ce faire, ils ont besoin de l'autarchie d'Ottawa.

Pour briser les forces de l'immobilisme, Mario Dumont voit la nécessaire construction du chemin de fer à grande vitesse pour couvrir ce que certains géographes appellent pompeusement le corridor Québec-Windsor.

Cette construction fait suite à la construction et l'ouverture du canal Lachine en 1826, qui avait pour objet de relier l'Amérique Britannique du Nord, que nous appelons Canada, par le Saint Laurent supérieur jusqu'aux grands Lacs. Il en a résulté une amélioration majeure de l'habitat et de la défense des basses terres des grands Lacs, entourées des lacs Ontario, Érié, Huron, baie Georgienne et lac Simcoe. Défense parce que les Newyorkais convoitaient cette région naturelle. Depuis la construction du canal Érié et son ouverture en 1825, la ville de Buffalo avait pris de l'expansion et tendait à se prolonger vers la rive ouest de la rivière Niagara, dans les terres de Sa Majesté Britannique.

Sous la direction de Lord Durham en personne, à partir de juillet 1838, des éléments militaires ont été détachés du Québec, en pleine guerre patriotique, pour être expédiés dans le Niagara, afin de bloquer les initiatives newyorkaises vers le territoire de l'Amérique Britannique du Nord.

Le deuxième acte stratégique dans ce sens a été la construction des premiers chemins de fer et l'ouverture du pont Victoria à Montréal en 1860. Ce fut un événement majeur. Pendant le siècle qui suivit, jusqu'en 1960, les United Empire Loyalists du Québec et leurs entreprises ont quitté le Québec pour s'installer en Ontario méridional et fonder ce qui est devenu le centre de gravité économique de tout l'espace continental canadien. Les basses terres des grands Lacs n'ont que 60,000 kilomètres carrés de superficie environ, soit une partie infime de tout l'espace ontarien qui totalise 1,068,000 kilomètres carrés (vs 1,600,000 pour le Québec), avec une population qui dépasse maintenant 10 millions d'individus. Les basses terres des grands Lacs sont l'assise géographique de l'Ontario méridional et de l'oligarchie de Bay Street, qui exerce un contrôle quasi absolu sur toute l'économie de l'Amérique Britannique du Nord. Son pouvoir politique s'exerce par le truchement du fédéralisme centralisateur d'Ottawa, artificiellement et arbitrairement établi depuis 1867, construit de manière à constituer un centralisme unitaire qui piège le pouvoir dans un sens et ne permet pas qu'il soit re-transféré aux provinces même lorsqu'elles ont besoin de pouvoirs additionnels pour mieux servir l'intérêt de leurs populations respectives.

Il n'existe dans la constitution canadienne aucun mécanisme qui permettrait le transfert de pouvoirs vers les provinces. Une dévolution de pouvoirs est impensable au Canada. Par contre, la dévolution de pouvoirs est possible, réalisable et actualisable aux États Unis, dont la constitution dispose de mécanismes souples. C'est ce que les Américains appellent statehood, la reconnaissance du fait qu'un état américain a atteint la stature d'un État avec la majuscule et exige des compétences constitutionnelles et juridiques reconnues en conséquence. La Californie vient de se reconnaître État Nation et les procédures sont en marche pour le transfert officiel des pouvoirs de Washington au gouvernement de San Francisco. Le Michigan en a fait autant depuis longtemps. L'état de New York tend vers la stature et la reconnaissance de l'État avec la majuscule.

Toute cette métamorphose est naturelle et n'a rien d'idéologique, ni de délétère ni de subversif, comme le veut la politique d'Ottawa, brandon de Bay Street qui exige impérieusement un seul pouvoir sur tout l'espace continental canadien.

La Voie Maritime du Saint Laurent, ouverte un siècle après le pont Victoria, poursuit pour Ottawa la même politique centralisatrice unitaire. Des entreprises anglo canadiennes ont quitté le Québec pour l'Ontario méridional et continuent de le faire. La propagande fait croire aux Québécois que c'est pour les punir de leur séparatisme et les Québécois naifs le croient et demandent pardon pour les abominables péchés qu'ils ont commis contre les intérêts de Sa Majesté. Leur équipement intellectuel et mental ne leur permet pas de se rendre compte que les mouvements migratoires des Orangemen et Loyalistes hors du Québec vers l'Ontario et l'Ouest n'ont rien à voir avec le sentiment ou le ressentiment. La politique est affaire d'intérêts, de rapports de forces et d'effectivité mais les Québécois ne le comprennent pas encore.

Le réalisme du principe de causalité et de finalité n'est plus enseigné depuis longtemps au Québec, qui ne fait plus ou presque de philosophie. Pas besoin de ça, nous autres. On peut en vérifier les conséquences lorsqu'on constate avec quelle facilité la propagande des commandites réussit à persuader les Québécois de laisser les autres prendre charge de leurs affaires. L'étude de la philosophie et de l'histoire, qui développent le jugement critique, n'est pas au programme. Au Québec, la liberté consiste à dire n'importe quoi et à multiplier les paroles, croyant obtenir davantage de sens, ce qui est foncièrement faux. La pertinence dans le langage ne peut venir que de rigoureuses études philosophiques, notamment en épîstémologie, ontologie classique et logique. Trop de Québécois ne comprennent pas que l'indépendance du Québec exige les assises de l'État et que l'État est impossible sans une langue rigoureusement pertinente et critique. Avec la confusion des mots, on ne peut régler aucune affaire importante.

La Voie Maritime du Saint Laurent a des limites sévères, causées par la géographie, dont le climat et les limitations de la technique. Un navire qui emprunte la Voie Maritime ne peut dépasser 75,000 tonnes et ne contenir que la moitié de sa charge. Chargé à bloc, soit 22,000 tonnes, le tirant d'eau du navire atteint 32 pieds. Or, la Voie Maritime ne permet qu'un tirant d'eau de 26 pieds seulement. La question qui se pose est celle-ci: comment le transport maritime peut-il être profitable alors que le navire, délesté d'une grande partie de sa charge, chemine extrêment lentement et perd beaucoup de temps pour se rendre de Montréal vers les Grands Lacs? La Voie Maritime n'a que très peu d'importance stratégique et le Québec n'aurait rien ou presque rien à gagner à s'y investir davantage. Ce qui compte pour le Québec, ce sont ses 74 ports de mer, des ports en eau plus profondes et plus aptes au trafic de grande envergure.

Et que dire du chemin de fer à grande vitesse? Il est évident qu'il est peu destiné à répondre aux intérêts québécois. Le principe stratégique de concentration et d'économie de l'effort exige que le Québec concentre ses chemins de fer sur les deux rives sur Saint Laurent et si perfectionnement il y a par le moyen de l'électrification, ce perfectionnement doit se faire dans le sens des intérêts du Québec, non de Bay Street et d'Ottawa. Un chemin de fer rapide en direction sud, vers le lac Champlain et New York, est autrement plus intéressant et offre plus de possiblités pour le Québec qu'un chemin de fer rapide dans le corridor Québec-Windsor.

Le Québec ne doit rien ni à l'Ontario ni à Ottawa. Voilà un énoncé qui ne fait pas l'affaire des intérêts de Bay Street. Qui, entre Bay Street ou le Québec, Mario Dumont se prépare-t-il à défendre s'il devient premier ministre du Québec? Le Québec ne peut pas accepter ce chemin de fer sur lequel il n'aura aucun contrôle, alors qu'avec l'État de New York, le contrôle québécois est possible, parce que pour New York, la construction de ce chemin de fer est un exercice économique complémentaire qui ne peut avoir pour objectif d'inféoder le Québec à l'économie newyorkaise. Au contraire, le chemin de fer Québec Windsor a effectivement pour objet d'inféoder davantage le Québec à l'oligarchie de Bay Street et l'autarchie du gouvernement fédéral. New York gravite en face de l'Atlantique alors que Toronto est enclavé. Donc, Toronto a intérêt à inféoder le Québec et à le soumettre. Au Québec de se défendre.

Pour Mario Dumont, ce refus du Québec est de l'immobilisme.

Le véritable immobilisme est celui qu'Ottawa et Bay Street imposent au Québec depuis le commencement de l'histoire de la soi-disant Confédération Canadienne. La seule manière de combattre cet immobilisme pour le Québec: se défaire d'Ottawa et de l'emprise de Bay Street sur le Québec.

Si Mario Dumont est honnête, il reconnaîtra que briser les forces de l'immobilisme pour le Québec consiste à éliminer le pouvoir qui est de trop. Cette juxtaposition de pouvoirs fait obstacle à la mise en pratique des grands principes universaux de la stratégie d'État: appréciation du contexte; appréciation de la situation; détermination et maintien d'objectifs praticables; maintien du moral; concentration et économie de l'effort; simplicité et souplesse; coordination; coopération et logistique. Seul un État naturel et optimal peut mettre ces principes en pratique. L'État centralisateur, arbitraire, unitaire et artificiel d'Ottawa n'est pas un État naturel et optimal et ne peut agir qu'en fonction des intérêts d'une minorité d'oligarques.

Cet État naturel, c'est effectivement l'État du Québec, constitué naturellement et sans arbitraire par 400 ans de travail et d'investissements de notre part, en même temps que nous avons contribué à la construction et la défense d'Ottawa et de son oligarchie, des autres provinces situées à l'ouest de l'Ontario et des communications nécessaires à leur développement.

Le temps est venu de nous prendre en charge et de nous occuper de nos intérêts. Mario Dumont peut-il nous dire s'il est d'accord? Il va sans doute répondre qu'il est d'accord mais.....

René Marcel Sauvé, géographe,

spéclalisé en géopolitique et auteur de

Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires.

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 octobre 2007

    Éventuellement, pour les vidéos, Le Noyau aimerait constituée une banque de textes de M. Sauvé de même que de créer dans un avenir raproché quelques vidéos.
    Toujours en discussion, mais le projet est là, pas loin.
    http://lenoyau.org/
    Philip

  • Robert Bertrand Répondre

    1 octobre 2007

    Votre exposé, Monsieur René-Marcel Sauvé, doit nous inciter à nous instruire.

    Le Québec et son avenir repose sur des données géopolitiques qui nous commandent une action concertée pour notre propre développement dans tous les domaines : économiques, politiques, sociaux, culturels et autres.

    Toute notre élite politique, socio-culturel devrait pouvoir consulter des textes comme vous savez les présenter.

    Il faudrait monter des petits vidéos d'une part et des cassettes, d'autre part, pour pouvoir diffuser un tel savoir.

    Les solutions reposent sur notre degré de connaissance, sur une action concertée reposant sur des critères reposant sur des valeurs sûres inscrites dans notre géographie et dans notre réalité particulière du Québec.

    Je nous sollicite tous à lire et relire votre texte et d'autres que vous avez produit.

    Un prochain livre doit voir le jour au cours des prochaines semaines.

    Prendre le temps de s'instruire pour mieux s'assumer et mieux comprendre notre cheminement qui est inscrit dans la géographie.
    Robert Bertrand, rédacteur
    Québec un Pays

  • Raymond Poulin Répondre

    1 octobre 2007

    Comme toujours, Capitaine Sauvé, une démonstration magistrale, claire et impeccable. Mais, à l'exception de l'ancien Premier ministre Parizeau, existe-t-il un seul politique québécois assez attentif, à l'esprit assez indépendant et au courage assez affirmé pour s'en servir? Je commence à en douter. On préfère écouter les communicateurs et les faiseurs d'image.
    Raymond Poulin