Le Devoir, c'est moi

Une liaison qui dépasse le cap des noces d'or

Femme de lettres, polémiste, militante souverainiste de la première heure, Andrée Ferretti n'a pas seulement lu Le Devoir, elle l'a aussi façonné

Le Devoir a 100 ans!!!



Faire partie du Devoir, c'est y travailler, l'appuyer, le lire assidûment. De cette communauté, qui s'est construite depuis 100 ans, nous avons retenu quelques portraits. Chaque lundi, jusqu'en décembre, nous vous présenterons un lecteur, une lectrice, du Québec comme d'ailleurs, abonné récent ou fidèle d'entre les fidèles. Cette semaine, une femme de lettres et une militante, Andrée Ferretti.
«En ces temps de détresse universelle, les uns fuient le réel sur toutes les surfaces de l'ailleurs miroitant, les autres tentent de s'enraciner dans les profondeurs du sens dont la culture est l'humus et la lumière», écrivait Andrée Ferretti dans la page Idées du Devoir en mars 2002. Ses mots réclamaient alors un enseignement accru de la littérature québécoise, essentielle à ses yeux pour fournir des assises à un peuple.
Aujourd'hui, c'est dans une salle du Devoir, «mon journal, celui dont je partage la sensibilité intellectuelle», que la militante enfourche ce même cheval de bataille. «J'aimerais que Le Devoir accorde beaucoup plus de place à la culture, fer de lance de notre identité», s'exclame-t-elle.
Le Devoir, cette femme de combat l'aura fréquenté en amont et en aval. Longue liaison qui dépasse le cap des noces d'or. Entamée jadis par une jeune femme autodidacte et toujours vivace à 75 ans chez une militante et écrivaine derrière trois romans, des essais, des nouvelles, un recueil de poésie.
«Quand je me suis engagée en 1963 en faveur de l'indépendance, j'étais une des rares femmes à oser prendre la parole. Ça a frappé les imaginations. Même celles des plus jeunes.» Devenue une légendaire passionaria. Verbe haut et coups de poings sur la table, mais une sensibilité culturelle de finesse aussi.
Quand on a vu le jour en 1935 à Villeray dans un berceau modeste, poussant entre un père ferblantier analphabète et une mère lectrice fidèle de La Presse, Le Devoir réputé intellectuel semble issu d'un univers parallèle. Retour au milieu des années 50: son futur mari, d'origine italienne, arrivait un Devoir sous le bras à la librairie Beauchemin, où ils travaillaient tous deux. Ce temple du livre joua un rôle crucial dans la vie d'Andrée Ferretti. Le poète Gaston Miron, qui allait être un de ses mentors et grands compagnons de lutte, dirigeait la boîte et fit les présentations. Deux semaines plus tard, elle lisait tous les jours Le Devoir avec son amoureux à l'accent italien. Après leurs noces, même si l'argent manquait souvent, ce journal allait faire partie de leur vie, dès 1960 livré à domicile; pour commencer la journée avec sa lecture, avant de foncer à une réunion militante.
Nommée vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) en 1964 aux côtés du non moins bouillant Pierre Bourgault, elle allait traverser les orages et le feu des engagements souverainistes. Le Devoir deviendra du coup pour elle un autre type de tribune.
Comme polémiste longtemps, elle a beaucoup écrit dans nos pages d'opinions, particulièrement entre le milieu des années 1960 et 1985. «Ce fut un grand forum de diffusion de mes convictions, un cadre de discussions aussi, car on usait de notre droit de réplique.» Pour ses prises de position chocs, Andrée Ferretti s'est fait parfois vertement décrier. En 1991, après avoir écrit un texte fort contestable: «Faut-il éclater d'un rire sauvage?», dans lequel elle remettait en cause la richesse de l'héritage autochtone, le statut de peuple fondateur des Premières Nations et leur droit d'opposer un veto à une éventuelle séparation du Québec, des protestations indignées ont fusé de toutes parts.
D'autres papiers ouvraient sur des facettes différentes de son être. Entre 1981 et 1985, elle fut critique d'essais québécois pour la section littéraire du Devoir, penchée sur l'éventail des idées émises dans une société en quête d'elle-même.
Son hommage à Pierre Bourgault après sa mort dans un cahier spécial du journal en juin 2003 demeure un modèle du genre. «Je n'aimais pas cet homme et il ne m'aimait pas», prévint-elle d'entrée de jeu. Au RIN, leurs affrontements légendaires avaient entraîné la démission fracassante d'Andrée Ferretti. Mais elle lui tira un très élégant coup de chapeau à l'heure des adieux.
Comme lectrice du Devoir, la dame salue la qualité de sa langue écrite, l'importante de sa tribune de débats «Le Devoir contribue à l'avancement de la société, mais aussi à maintenir vivante la question nationale. Avant d'être indépendantiste, ce journal était nationaliste, témoin actif de chaque combat: pour la langue française, l'émancipation politique...» Aujourd'hui, Andrée Ferretti s'inquiète de trouver notre quotidien globalement moins ferme dans ses positions qu'autrefois. Elle savoure encore le «Non» de Lise Bissonnette en juillet 1992, avant l'accord de Charlottetown, tout en révolte concentrée.
L'indépendantiste radicale au tempérament batailleur, envoyée sous les verrous durant les événements d'Octobre, se désole parfois: «J'ai peur de ne pas voir l'indépendance de mon vivant et c'est très douloureux.»
Puis renaît un fol espoir: «L'histoire est toujours inattendue. J'attends l'événement.» Baisser les bras n'est pas sa tasse de thé.


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