Les 100 ans du Devoir - Le journal d'Henri Bourassa

Le Devoir a 100 ans!!!


Nous publions des extraits de son livre Pourquoi j'ai fondé Le Devoir. Henri Bourassa et son temps (éditions Libre Expression, Montréal, 2010).
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«Le Devoir appuiera les honnêtes gens et dénoncera les coquins.» Dès le tout premier numéro du Devoir, Bourassa identifie ses cibles. «Nous prendrons les hom-mes et les faits à corps et nous les jugerons à la lumière de nos principes», écrit-il. «Ce journal n'a pas besoin d'une longue présentation, ajoute-t-il. On connaît son but, on sait d'où il vient, où il va.»
L'espoir de Bourassa réside dans l'indépendance de son journal. C'est en effet un espace inoccupé dans la panoplie de journaux qui ont tous une allégeance politique. Les journaux anglophones les plus influents, le Montreal Herald and Daily Telegraph, la Montreal Gazette, le Star et le Quebec Chronicle, sont conservateurs, tandis que le Quebec Daily Telegraph ne cache pas son orientation libérale.
Du côté des journaux francophones, L'Événement de Québec et La Patrie sont d'allégeance conservatrice. Le Soleil, Le Canada et La Presse de Montréal, qui pourtant se prétend neutre, ainsi que l'hebdomadaire Le Pays affichent ouvertement leurs couleurs libérales. L'Action sociale, journal de l'archevêché de Québec, se prétend politiquement neutre et catholique, mais il penche légèrement du côté conservateur.
Premier éditorial
Le 10 janvier 1910, le texte de Bourassa est bien campé à la gauche de la une et s'intitule «Avant le combat». Il indique les raisons pour lesquelles il a fondé son journal et pourquoi il lui a donné ce nom. «Pour assurer, écrit-il, le triomphe des idées sur les appétits, du bien public sur l'esprit de parti, il n'y a qu'un moyen: réveiller dans le peuple, et surtout dans les classes dirigeantes, le sentiment du devoir public sous toutes ses formes: devoir religieux, devoir national, devoir civique. De là le titre de ce journal, qui a étonné certaines personnes et fait sourire certains confrères.
«La notion du devoir public est tellement affaiblie que le nom sonne étrangement à beaucoup d'oreilles honnêtes. Quant aux boutiques où, sous couleur de journalisme, on bat la monnaie en exploitant la badauderie du public, les fonds secrets des gouvernements et la cause des grandes compagnies, en vendant en gros et en détail principes, idées et programmes, le mot comme la
chose doivent, en effet, y créer une impression divertissante.
«Cet étonnement et ces rires nous confirment dans la pensée que notre oeuvre est urgente et le nom, bien choisi.» Et il termine ce texte de présentation par une phrase qui résume tout: «Nous espérons mériter la bienveillance, l'encouragement et les bons conseils des gens d'esprit et de bien. Quant aux autres, nous n'en avons cure!»
Des attentes
Les attentes par rapport au nouveau journal sont grandes et diverses, ce qui forcera son directeur à tenir le cap coûte que coûte. Parmi tous ceux qui souhaitent y voir leur haut-parleur, il y a le clergé. La mort de Tardivel lui a enlevé une partie de l'influence qu'il avait dans La Vérité, et l'omniprésence de l'archevêché de Québec dans L'Action sociale catholique rend ce journal de création récente suspect aux yeux du public. Le caractère officiellement catholique du Devoir le rassure.
Les nationalistes se réjouissent également, eux qui se font sévèrement bousculer par les journaux inféodés. Ils tiennent le nouveau journal pour acquis à leur cause. [...] Chacun entretient ses illusions. Bourassa, cependant, tient à garder son journal indépendant — du clergé, oui, mais surtout des factions politiques. Il croit fermement que les actions entreprises pour faire reconnaître les droits des Canadiens français, depuis la pendaison de Louis Riel, ont échoué parce que la presse est asservie.
Au lendemain des élections générales du 21 septembre 1911, qui ont porté Robert Borden et ses conservateurs au pouvoir, et après avoir fortement appuyé les conservateurs au Québec pendant la campagne, Bourassa écrit: «Je le dis ce soir: Le Devoir sera indépendant du gouvernement conservateur de demain comme il l'a été du gouvernement libéral. [...] Indépendants nous fûmes, indépendants nous sommes, indépendants nous resterons!» [...]
Monsieur le directeur
Les habitudes de travail du directeur ne sont pas celles d'un rédacteur en chef. Il arrive généralement au bureau vers la fin de l'après-midi, une fois la fabrication du journal à peu près terminée, au moment où le personnel se prépare à rentrer à la maison. Car Le Devoir étant un journal d'après-midi, l'heure de tombée approche lorsqu'il arrive. Il fait généralement un petit crochet par la salle de rédaction, échange quelques mots avec les journalistes qui sont encore là et s'attarde plus longuement au bureau de son chef des nouvelles, Montarville de la Bruyère.
Puis il se met au courant du contenu de son journal dans une brève réunion avec ses lieutenants immédiats: Héroux, Pelletier lorsqu'il n'est pas à Ottawa et Asselin, pendant la courte période où celui-ci aura travaillé au journal. Après quoi il s'enferme dans son bureau, qui se trouve près de la salle de rédaction, retire sa veste, allume une pipe et apporte à même les épreuves les dernières corrections à son éditorial du lendemain.
Bourassa, qui aime pourtant travailler à la maison, se rend quand même souvent au bureau le samedi matin. «Il s'installait, une cafetière bien remplie à ses côtés, une pipe à la main. Puis il écrivait toute la journée et toute la nuit, au crayon, jamais à la machine, jusqu'à ce que son article soit terminé. Ensuite, il se rendait à la messe du dimanche matin et rentrait à la maison.» Cette façon de travailler est normale chez lui.
Relations cordiales
Depuis son séjour à Ottawa, où il passait une partie de la nuit à la bibliothèque ou à participer à des débats interminables à une époque où les règles permettaient qu'ils se poursuivent jusqu'au lever du jour, il a l'habitude de se mettre au lit au petit matin. Les relations de Bourassa avec le personnel du Devoir sont cordiales. Sa gestion n'a rien de dictatorial et, une fois les principes bien établis, il compte que chacun va les respecter. S'il maintient une certaine distance en refusant de se joindre aux petits dîners de groupe qu'organisent de temps en temps les journalistes de sa salle, il leur laisse beaucoup de latitude. [...]
Dès la fin de la session de 1912, le 26 mars, il informe le chef du Parti conservateur, Mathias Tellier, avec qui il a noué de belles complicités lors des débats à l'Assemblée, qu'il quitte la vie parlementaire. Il l'annonce officiellement le 9 avril. Il est conscient qu'il a négligé ses commettants de Saint-Hyacinthe, ne se consacrant qu'aux grandes questions de politique nationale et internationale. Il entend consacrer plus de temps à son journal. Même s'il est de belle facture et exerce une influence certaine, Le Devoir, dès ses débuts, présente une information diversifiée. L'éditorial de Bourassa — lorsqu'il y en a un, et dans les premières années ils sont nombreux — se présente toujours comme la pièce maîtresse de réflexion sur l'actualité et est toujours placé au même endroit, à la gauche de la une du journal.
La manchette, généralement présentée en gros caractères, cherche à être percutante. Quelques titres illustrent l'éventail très large des intérêts du journal: «Les annexions à Montréal devant la Législature»; «L'importation des chevaux»; «Le passage de la Comète (19 mai 1910) dans l'orbite de la Terre qui crée des perturbations dans les instruments soumis à l'influence magnétique» et «Plusieurs taches inexplicables apparaissent dans le disque du soleil». Une rubrique régulière intitulée «Sur la passerelle» regroupe de nombreuses petites nouvelles maritimes: Des pèlerins allant à Lourdes sont à bord du Dominion en partance pour Londres; Le sémaphore de Saint-Nicolas ne fonctionne plus, les navigateurs sont priés d'en prendre note; Suspension de trois mois du capitaine Leyland qui a échoué son paquebot, le Minnehaha, au Bishop's Rock, dans les îles Scilly.
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Le livre sera en librairie à compter du 27 janvier prochain.
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Mario Cardinal - Journaliste au Devoir dans les années 60, puis à Radio-Canada, l'auteur a été ombudsman de Radio-Canada de 1993 à 1997.

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