Les «vautours» au temps de Duplessis

La corruption politique telle que racontée par Jean-Claude Labrecque en 1975

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La petite corruption politique du temps de Duplessis






Jean-Claude Labrecque brandit cinq petites cuillères à l’effigie des jumelles Dionne, gardées au fil de ses déménagements successifs : « Voici tout ce qui me reste de mon enfance », confesse-t-il.


 

Dans son appartement avec vue imprenable sur le mont Royal, aux côtés de Gilbert Sicotte, on parlera des Vautours, oeuvre très personnelle du cinéaste où l’acteur du Vendeur incarnait son jeune alter ego et où les cuillères sont également de la partie.


 

Fraîchement restauré par Éléphant, le film de 1975 aura droit à une projection spéciale ce mardi, à 19 h, à la Cinémathèque québécoise. Attendus au poste : Jean-Claude Labrecque et Gilbert Sicotte, avec une partie de l’équipe. Second long métrage du cinéaste après Les smattes, mieux unifié, il a fait date pour lui.


 

Gilbert Sicotte se sera ouvert au monde grâce aux Vautours, en sélection à la Quinzaine des réalisateurs : « Je n’étais jamais allé en Europe et je me suis retrouvé à Cannes, à la terrasse de l’hôtel Carlton avec Marco Ferreri pas loin… Était-ce un rêve ? »


 

Le cheuf et moi…


 

Situé en 1958 à la fin du règne de Maurice Duplessis (ici, Jean Duceppe), le film véhicule le climat de la Grande Noirceur. L’image en noir et blanc est bleutée : « C’est un clin d’oeil, explique le cinéaste. Le Québec a voté bleu durant tant d’années… » Pour lui, l’époque devait transpirer à travers des détails : les objets, un manteau de fourrure, le français cassé de la tante des États…


 

Dans ce film adaptant des épisodes de l’enfance de Labrecque, des tantes voraces font main basse sur la maison, les objets et le maigre héritage du jeune Louis Pelletier (Sicotte), endeuillé de mère, qui se rêve photographe. Il faut le voir en première partie se présenter au bureau du « cheuf » avec une lettre de recommandation du député de Limoilou quémandant un poste pour lui. « Cette visite est authentique, précise Jean-Claude Labrecque. Je faisais le siège de Duplessis pour qu’il me trouve du travail. »


 

Le cinéaste, un enfant de Limoilou, n’avait jamais connu ses parents biologiques. Il perdit tout jeune son père adoptif puis sa mère à l’adolescence.


 

La suite appartient à ces Vautours, tourné en 1975 surtout à Québec, où l’équipe a eu accès au parlement et au mobilier de Duplessis. La mort du premier ministre, images d’archives du cortège captées à l’époque par le mentor et ami du cinéaste, Paul Vézina, détruira à la fin les rêves de piston du héros.


 

Jean-Claude Labrecque ne se sentait pas prêt pour en écrire le scénario : « Je racontais mes souvenirs au dramaturge Robert Gurik qui écrivait, mais c’est Jacques Jacob qui a resserré le sujet en enlevant des matantes et des mononcles. »


 

« Le film montre la petite corruption, explique Gilbert Sicotte. Ce n’est pas à l’échelle de ce qui se passe aujourd’hui. »


 

N’eût été Yvon Deschamps, Les vautours n’aurait pas vu le jour. Gratien Gélinas, alors président de la SDICC, l’ancêtre de Téléfilm, n’aimait pas le scénario, qu’il jugeait déprimant, mais le directeur de l’institution leur donna le feu vert en accordant trois jours pour trouver les 15 000 $ manquants. « On n’arrête pas un film pour 15 000 $», répondit le monologuiste. C’était parti !


 

Malgré une distribution de haute volée (Sicotte, mais aussi Monique Mercure, Amulette Garneau et Carmen Tremblay en inoubliables tantes rapaces, Paule Baillargeon et Denise Proulx, inénarrables en bonnes soeurs, des petits rôles pour Gabriel Arcand, Rita Lafontaine, etc.), malgré sa valeur cinématographique et historique, Les vautours, mal distribué, avait été peu vu à l’époque. Le cinéaste lui souhaite une meilleure seconde vie.


 

Pénétrer le monde du cinéma


 

Gilbert Sicotte, issu du théâtre, puis membre du Grand Cirque ordinaire, avait peu d’expérience du cinéma à l’époque. Il avait bien joué dans les oeuvres libertaires Montreal Blues avec le Grand Cirque et Ti-Cul Tougas, de Jean-Guy Noël, aux îles de la Madeleine.


 

« Mais avec Les vautours, c’était la première fois que j’avais l’impression d’entrer dans le monde du cinéma, explique-t-il. C’était un film d’époque et les gens sur le plateau connaissaient le métier pour vrai : Jean-Claude, aussi le directeur photo Alain Dostie, Serge Beauchemin au son, la productrice Louise Ranger, plus tard Dominique Tremblay et sa musique. Et puis, mon père était laitier, et je me reconnaissais dans le milieu décrit dans le film. »


 

« Comme mon père à moi était boulanger, on aurait pu nourrir plusieurs familles », ajoute Jean-Claude Labrecque en riant.


 

Le cinéaste aurait voulu donner le rôle d’une tante à Luce Guilbeault, que tout le monde s’arrachait : « Trop occupée, mais c’est elle qui m’a conseillé d’approcher Gilbert Sicotte pour le personnage de Jean. »


 

L’acteur est allé rencontrer Labrecque sur ses terres de Verchères. Le contact fut extraordinaire. « On ne parlait pas du film, mais de la vie et de toutes sortes de choses, comme plus tard avec Sébastien Pilote, qui m’a donné le rôle du Vendeur, précise l’interprète. Je n’avais pas loin de 30 ans, mais paraissais plus jeune. J’étais très mince, timide, comme le personnage qui est un silencieux. »


 
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