L’invisible Réjean Ducharme disparaît

L'écrivain est parti comme il a vécu, discrètement

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Un départ discret






« Je veux mourir verticalement, la tête en bas et les pieds en haut », avait-il écrit en 1965. Mais choisit-on toujours sa posture de départ ? Il n’y aura pas d’extraits de Tout le monde en parle ou d’entrevues ailleurs et ici pour illustrer le parcours d’un des plus grands écrivains que le Québec ait portés. Cet enfantôme a vécu comme une ombre et c’est sur la pointe des pieds que Réjean Ducharme a tiré sa révérence lundi, a annoncé mardi matin son éditeur Gallimard.


 

Après qu’il ait tant hanté nos rues à pied, à vélo, en compagnie ou non de son chien, récoltant souvent des bouts de ferrailles comme matériaux pour ses sculptures collages « trophoux », que les collectionneurs s’arrachaient, ses oeuvres demeureront, comme il l’a toujours souhaité, les seuls vrais témoignages accrochés à sa mémoire.


 

Claire Richard, sa compagne de vie depuis plus de cinquante ans était tombée quelque temps avant lui. Les voici désormais enlacés quelque part, on l’espère dans une dimension poétique en avalée des avalées.


 

Rideau sur une oeuvre magistrale, truffée de néologismes, centrée sur l’innocence inconsolée qui refuse d’abdiquer face à la corruption adulte, à la langue déculottée, mais hors du plongeon vers le joual qu’avait choisi Michel Tremblay au cours des mêmes fécondes années soixante, où ils auront bousculé et réinventé leur société.


 

À propos de Réjean Ducharme qui a injecté une touche de modernité sur le roman québécois, tout aura été dit et son contraire in abstentia, le mythe ayant enchâssé l’homme et le créateur. Celui dont on connaissait l’adresse avait reçu la liberté de l’anonymat d’un univers médiatique qui carbure à l’indiscrétion.


 

Le « cas Ducharme » a commencé par un refus, celui de l’éditeur Pierre Tisseyre de publier son Océantume, raturé, quasi illisible. L’écrivain s’était tourné alors vers Gallimard à Paris pour son Avalée des avalés, publié en 1966 à 24 ans, roman qui allait émouvoir, éblouir, bouleverser et aider toute une jeunesse à vivre, en lice pour le Goncourt.


 

« Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère », y soupirait la petite Bérénice, son alter ego. Du coup, Gallimard publia ses romans antérieurs : L’Océantume avec son héroïne qui portait comme Bérénice un regard douloureux sur le monde et Le nez qui voque, où deux jeunes amoureux en quête d’absolu allaient préfigurer bien d’autres personnages à travers son oeuvre, en refus de vieillir. Il y avait du Boris Vian dans ses thématiques, du Raymond Queneau dans ses jeux langagiers.


 

Publié en 1973, son Hiver de force, adapté plus tard au théâtre, s’offrait des accents plus politiques, mais toujours sur fond de refus de s’intégrer. Autant à travers Les Enfantômes, que ses romans de la décennie 1990 — Dévadé, Va savoir ou Gros mots —, Ducharme, cantonné au 20e siècle littéraire, aura fait rimer le mal-être à cette pureté de l’enfance à préserver coûte que coûte. Son théâtre en fut un tout autant de rébellion, d’Ines Pérée et Inat Tendu à Ha ! ha !, peuplé d’éternels jouvenceaux meurtris en butte à la médiocrité du monde.


 

Être ou ne pas être


 

Mais Réjean Ducharme existe-t-il vraiment ? se sont demandé Français et Québécois devant cette ombre qui récoltait sans se présenter les plus grands lauriers : le premier Gilles-Corbeil, trois prix du Gouverneur général, le Prix Athananase-David, etc. Au fil des ans, certains ont cru que Raymond Queneau justement, Naïm Kattan, Hubert Aquin, voire la comédienne Luce Guilbeault, se cachaient sous le pseudonyme. Mais non !


 

Il était né dans Lanaudière le 12 août 1941 au sein d’une famille aimante, sur fratrie de cinq enfants. Un père journalier : Omer Ducharme, une mère : Nina Lavallée, dont il demeurera longtemps très proche. Enfant, il était déjà à part des autres. Sa mère le trouvait triste. Son père constatait qu’il lisait et écrivait la nuit.


 

Élève ayant du mal à accorder ses rêves avec la discipline et l’esprit de groupe, il a étudié à Joliette chez les clercs de Saint-Viateur et six mois à l’École polytechnique de Montréal. Plus tard : un travail ennuyeux de commis de bureau, un peu de vente de ceci et de cela, un bref séjour au sein de l’armée canadienne qui l’aurait conduit jusqu’en en Arctique. Des voyages sur le pouce à travers le Canada, les États-Unis, le Mexique, un périple à la Kerouac, furent des portes d’accès sur le monde, avant qu’il ne décide de fuir le cirque social qui célèbre son brûlant héritage aujourd’hui.


 

« C’est un être humain, pas un extraterrestre », affirmait son ami et collaborateur Robert Charlebois. Ducharme aura écrit une quarantaine de chansons pour lui, dont Ça arrive à la manufacture, Chu tanné, J’veux de l’amour. À travers les mots de Fais-toi z’en pas, il résumait sa philosophie : « Avoir voulu changer de vie/S’endormir avec l’ennui/Après avoir perdu son temps/Personne a pu faire autrement. »


 
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