Jérôme Choquette, un acteur-clé de la crise d’Octobre à l’héritage judiciaire durable

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Le père de l'Aide juridique et de la Cour des petites créances






Un des hommes forts du premier gouvernement de Robert Bourassa, Jérôme Choquette, est mort à l’âge de 89 ans. Il aurait succombé vendredi à une pneumonie.


 

Jérôme Choquette est surtout connu pour son rôle dans la crise d’Octobre puisqu’il était alors ministre de la Justice du Québec. Il a tenu la première conférence de presse après l’enlèvement du diplomate britannique James Cross. C’est lui qui a fait connaître le refus des autorités politiques de libérer les prisonniers felquistes. Et c’est encore lui qui a envoyé la demande d’intervention de l’armée canadienne pour soulager les divers corps policiers québécois aux abois.


 

Mais M. Choquette tente aussi de calmer le jeu en proposant au premier ministre Robert Bourassa l’instauration d’un ministère de la Paix sociale.


 

Certains, comme l’auteur Louis Fournier dans son FLQ : Histoire d’un mouvement clandestin, l’accusent d’avoir été au courant des listes des 450 personnes qui seront arrêtées au cours de la crise d’Octobre, ce qu’il a souvent nié avec véhémence.


 

Après l’échec de ces négociations, le gouvernement fédéral proclame la Loi sur les mesures de guerre, ce qui permettra aux corps policiers d’arrêter arbitrairement quelque 450 personnes. Dans une entrevue diffusée en octobre 1980 sur les ondes de Radio-Canada, M. Choquette dira être intervenu pour limiter les dégâts.


 

« Quand j’ai vu que ces arrestations étaient massives et, dans plusieurs cas, peu justifiées, j’ai dit à M. [Maurice] Saint-Pierre [le chef de la Sûreté du Québec à l’époque] que je ne voulais plus voir une seule arrestation sans mon autorisation personnelle. »


 

Bien des années plus tard, en 2010, M. Choquette se dira « parfaitement en paix » avec lui-même face à cette période. « J’ai fait ce que j’avais à faire. Si j’avais agi autrement, j’aurai manqué à mes devoirs. »


 

Mais ces événements lui pèseront longtemps sur la conscience. Dans sa monumentale biographie consacrée à René Lévesque, Pierre Godin lui fait dire que « jamais plus il n’appuiera une loi d’exception ». Il abandonnera les procédures contre les rares personnes qui seront accusées. Et quatre ans plus tard, il déposera un projet de loi établissant la Charte québécoise des droits de la personne et la Commission des droits de la personne.


 

Son rôle dans les événements d’Octobre occulte le reste de sa carrière et les nombreuses réformes qu’il a pilotées. On lui doit notamment la création du système de l’aide juridique. « N’avons-nous pas le même devoir fondamental de voir à ce que ceux qui ont un urgent besoin de défense dans l’appareil judiciaire complexe que nous connaissons se voient reconnaître le droit à l’assistance judiciaire alors que leur situation financière ne leur permet pas de jouir de la plénitude de leurs droits comme êtres humains? », avait-il déclaré en commission parlementaire.


 

On lui doit aussi la création de la Cour des petites créances. Il parraine la Loi sur la protection de la jeunesse. Il est aux premières loges lors du débat sur le projet de loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels ou encore la création de la Commission d’enquête sur le crime organisé.


 

Député d’Outremont


 

Jérôme Choquette est né à Montréal le 25 janvier 1928. Diplômé de McGill et de la Faculté de droit de l’Université de Paris, il a amorcé sa carrière sur la scène politique provinciale en étant élu député libéral d’Outremont en 1966. Il sera réélu sans difficulté aux élections de 1970 et de 1973.


 

En 1975, Robert Bourassa le mute au ministère de l’Éducation, un poste difficile en raison de l’adoption de la loi 22 sur la langue française. Se disant en désaccord avec l’application de la loi, notamment au chapitre de l’enseignement, il quitte ses fonctions et le Parti libéral. Il fonde le Parti national populaire (PNP).


 

Peu avant les élections de novembre 1976, il tente de former une coalition avec l’Union nationale de Rodrigue Biron, qui durera à peine un mois. Au cours du scrutin, le PNP ne récolte que 31 043 votes (0,92 % des suffrages exprimés) dont plus de la moitié par son seul élu, Fabien Roy, dans Beauce-Sud.


 

L’homme a relancé sa carrière politique en se faisant élire maire d’Outremont en 1983, poste qu’il occupera jusqu’en 1991. Il tentera sa chance à la mairie de Montréal, en 1994, à la tête du Parti des Montréalais, mais il subira un retentissant échec, n’obtenant que 13,06 % des votes et terminant au troisième rang derrière l’élu, Pierre Bourque, et le maire sortant, Jean Doré.


 

Après cette défaite, il retourne à la pratique du droit, fondant en 1998 le cabinet Choquette Beaupré Rhéaume.


 

Consécration suprême, il obtient, en 2008, la Médaille du Barreau de Montréal. « Par ses diverses réformes, Me Choquette a redessiné le système judiciaire québécois, ce qui le classe parmi les plus grands ministres de la Justice que le Québec ait connus », avait alors déclaré le bâtonnier Nicolas Plourde.


 

Un legs mémorable


 

D’anciens collègues de M. Choquette se souviennent d’un juriste « compétent », « intègre » et extrêmement « ferme » avec la loi qu’il devait appliquer à la lettre en tant que procureur général.


 

L’ex-ministre du Travail Jean Cournoyer a appris à ses dépens la grande fermeté de M. Choquette lorsqu’il a vu que son collègue avait jeté en prison les trois chefs des centrales syndicales qui avaient défié la loi spéciale du gouvernement à l’époque.


 

« Le gouvernement était pogné avec ça, les trois chefs syndicaux en prison ! La réputation du Québec était en danger à travers le monde, on avait l’air d’un pays du tiers-monde, en ce qui me concerne », a-t-il déclaré en entrevue téléphonique. « Sauf que lui, il n’avait pas mis des chefs syndicaux en prison, il a mis des gens qui ont été coupables de mépris de cour. Le titre qu’ils possédaient, ça n’avait pas d’importance pour lui. »


 

Le juriste en chef de l’État québécois répétait à l’époque qu’ils « avaient juste à aller en appel ».


 

M. Choquette prenait très au sérieux son rôle de ministre de la Justice, selon Jean Cournoyer, et il avait prévenu le Conseil des ministres qu’il « ne répondait pas au gouvernement ». « Il n’était pas question qu’on se mêle de la justice. »


 

L’ancien premier ministre péquiste Bernard Landry se souvient d’un « bon serviteur de l’État » avec qui il a toujours eu de bonnes relations.


 

« On avait des différences politiques évidemment considérables, mais ça ne m’a pas empêché d’apprécier ce qu’il a fait pour notre État national », a-t-il confié en entrevue.


 

La crise d’Octobre fut un épisode « douloureux » pour lui, a témoigné Jean-Claude Gobé, chef du parti municipal Action Laval et ami de longue date.


 

« Il croyait beaucoup à la liberté, il a fait la Charte des droits et libertés, ce n’est pas pour rien. Et lui, le fait de suspendre les libertés avec la Loi sur les mesures de guerre… il n’était pas content », a-t-il témoigné. « Il vivait ça douloureusement. »


 
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