Une interprétation non fondée

L'Enquête sur la diversité ethnique de Statistique Canada ne permet pas de conclure que les enfants d'immigrés choisissent l'anglais comme langue d'usage à la maison

2006 textes seuls

Réplique
En page titre de son numéro du dimanche 2 avril, La Presse titrait [" Langue d'usage à la maison au Québec: les enfants d'immigrés choisissent l'anglais "->697], en s'appuyant sur une étude sur la préservation des langues d'origine, menée à partir de l'Enquête sur la diversité ethnique de Statistique Canada de 2002.
Selon François Berger, cette étude viendrait " jeter un autre pavé dans la mare linguistique du Québec " et montrerait que " l'assimilation à la langue française au Québec a de sérieux ratés, malgré la loi 101 qui, depuis trente ans, encourage l'usage du français ". De plus, " les allophones nés au Québec " adopteraient " le français moins souvent que leurs parents ". Précisons pourquoi cette interprétation ne peut aucunement découler de l'étude en question.
1) Comme le journaliste le précise, la recherche porte uniquement sur les personnes de 15 ans et plus: donc celles qui sont nées avant 1987. Ainsi, on y retrouve nombre de répondants nés dans les années 50, 60 et 70, et parfois même dans les années 30, 40 et 50. De plus, les résultats sont rapportés par province de naissance, donc susceptibles de porter sur des personnes vivant dans une autre province depuis plus ou moins longtemps. L'utilisation des termes " enfants " et " au Québec ", ou du moins leur compréhension par les lecteurs, risque d'être trompeuse.
2) Les immigrés récents, chez qui prédomine nettement l'usage du français, ne sont pas les parents des répondants de l'étude: chacun conviendra, en effet, qu'aucun immigrant arrivé depuis 1987, ne pouvait avoir, en 2002, un enfant de plus de 15 ans né au Canada!
3) L'échantillon total est de 4500 personnes nées au Canada, dont les deux parents sont nés à l'étranger et avaient comme langue maternelle une langue autre que le français ou l'anglais. Bien que les résultats ne soient pas ventilés par province de résidence, un examen de la base de données montre que seulement 458 répondants vivaient dans la région métropolitaine de Montréal.
4) Au sens strict, il n'y a aucun groupe d'âge dont on puisse assumer qu'il ait été pleinement soumis à la Loi 101, donc entièrement scolarisé en français. Seuls les 15 à 24 ans, soit 198 personnes, pourraient partiellement répondre à ce critère, et encore. En effet, ceux qui sont nés entre 1978 et 1981 sont très susceptibles d'avoir eu des parents ayant fait une partie de leur scolarité en anglais ou d'avoir eu des frères et soeurs déjà à l'école anglaise. Parmi les personnes nées entre 1982 et 1987, on doit compter plus d'élèves ayant été soumis à la Loi 101, bien que ce groupe puisse aussi inclure des ayant-droits à l'école anglaise. L'impact de la Charte sur les transferts linguistiques ne devrait, en effet, se faire sentir véritablement qu'à partir du recensement de 2011.
5) Quoi qu'il en soit, une analyse des choix linguistiques de tout le groupe d'âge des 15 à 24 ans montréalais montre deux phénomènes. D'une part, un peu plus d'un tiers a conservé la langue maternelle de ses parents comme langue le plus souvent parlée à la maison. D'autre part, ceux qui ont changé de langue, ce qui, rappelons-le, n'est pas et n'a jamais été un objectif de la Loi 101, l'ont fait de manière sensiblement équivalente vers le français (48 %) ou l'anglais (52 %).
Si l'on tient absolument à tirer de l'Enquête une tendance relative à l'impact de la Loi 101, ce pourrait donc être: " Les jeunes québécois de 15 à 24 ans issus de familles immigrées allophones utilisent davantage le français à la maison que leurs aînés ". Toutefois, étant donné les limites cernées plus haut, il vaudrait mieux s'en tenir, lorsque l'on discute de la Charte de la langue française, aux données, largement positives, que nous possédons déjà sur l'usage public de la langue.
Marie McAndrew
L'auteure est professeure à l'Université de Montréal et titulaire de la chaire en relations ethniques.
Question d'interprétation
La fibre de la langue, si vous me permettez cette expression, est bien sensible dans un pays comme le nôtre. Toute interprétation des résultats d'études sur l'adoption du français et de l'anglais, qu'elle aille dans un sens ou dans l'autre, va immanquablement glisser sur la pelure de notre banane nationale. Quoi qu'il en soit, vous admettrez, madame McAndrew, que d'autres chercheurs, cités dans l'article en question, ont acquiescé à l'interprétation des données, d'ailleurs corroborée par au moins une autre étude récente ainsi qu'une autre à venir. Je vous signale que ces données sur l'usage du français et de l'anglais à la maison par les enfants d'immigrés, Statistique Canada avait d'abord choisi de les garder pour elle en décidant de ne pas les publier en marge de son étude sur les langues d'origine des allophones. La Presse les a obtenues et publiées, et évidemment interprétées!
François Berger

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Marie McAndrew3 articles

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Titulaire, chaire du Canada sur l’éducation
et les rapports ethniques

Professeure titulaire, faculté des sciences de
l’éducation, Université de Montréal





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