Retour en arrière

Le débat sur les accommodements raisonnables donne parfois l'impression que le Québec retourne à l'époque de sa grande homogénéité

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Impression, alarmisme, amalgame - ça glisse...


Nous vous présentons ici un extrait d'un texte qu'elle a écrit pour la revue Éthique publique qui publie, dans son dernier numéro, plusieurs textes de réflexion sur l'aménagement de la diversité et la controverse entourant les accommodements raisonnables. La revue Éthique publique est vendue en librairie (www.editionsliber.org).
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Le débat sur les accommodements raisonnables et la prise en compte de la diversité au sein des institutions québécoises est non seulement souhaitable mais nécessaire. Toutefois, telle qu'elle est actuellement engagée, d'abord dans les médias mais surtout dans l'arène politique, entre autres avec les déclarations du chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), Mario Dumont, et les prises de position de divers leaders municipaux, la controverse soulève l'inquiétude.
En effet, loin de nous soutenir collectivement dans le développement de l'identité québécoise que nous souhaitons ouverte, inclusive et dynamique, certains dérapages contribuent plutôt à nous diviser et à durcir les clivages que nous pensions pourtant dépassés entre eux et nous.
Tant pour les membres des groupes visés que pour les personnes qui connaissent la réalité de l'immigration ou des relations interculturelles au Québec, on a parfois l'impression de vivre un mauvais rêve éveillé, comme si on avait été transporté dans le Québec d'avant 1977, à l'époque où la nation canadienne-française se concevait encore comme homogène et vivait son rapport à l'autre sur le mode de la menace identitaire. Nous avons certes déjà vécu de tels retours en arrière (par exemple, lors de la sortie du sensationnaliste Disparaître de Lise Payette, vers la fin des années 80), mais jamais d'une telle ampleur.
Rester ou partir ?
Pour certaines minorités religieuses d'implantation ancienne, l'affaire Hérouxville n'est pas sans rappeler "Les Juifs ne sont pas les bienvenus ici. Ste-Agathe est un village canadien français et nous le garderons ainsi " de l'été 1939. D'autres personnes, immigrés récents ou plus anciens, la plupart du temps francophones et très bien intégrées au Québec, commencent à se demander s'il ne faut pas envisager un départ vers une autre province.
Ces réactions sont sans doute excessives, mais elles témoignent de la vulnérabilité des minorités lorsqu'elles sont prises comme boucs émissaires d'un débat identitaire, un enjeu rarement relevé par les faiseurs d'opinion, médiatiques ou politiques.
Malgré le mal que l'on a pu dire du sondage TVA-Journal de Montréal du 15-19 janvier 2007, celui-ci a très largement illustré que, en ce qui concerne la légitimité des accommodements raisonnables, quels que soient les limites de la définition proposée et les principes qui devraient s'appliquer à cet égard, il n'existe aucune différence significative entre les Québécois en fonction de leur origine ethnique.
Pour quiconque connaît quelque peu les caractéristiques de la population issue de l'immigration (première et deuxième génération), ces données n'avaient rien de surprenant. Elle est en majorité de tradition chrétienne. Quant aux personnes qui professent d'autres religions, il faut rappeler que, en vertu de la politique sélective d'immigration qui prévaut au Québec, elles ont généralement été choisies dans les couches les plus occidentalisées des pays en émergence ou en voie de développement, quand elles n'ont pas carrément quitté leur société d'origine à cause précisément du fondamentalisme qui y régnait.
On peut donc se demander pourquoi tant de gens empruntent le train de l'accommodement raisonnable pour exprimer leur inquiétude face à la supposée non-intégration des immigrants ou encore à la transformation identitaire du Québec authentique, qui lui serait imposée par les autres. (...)
Des travers inquiétants
(...) Une analyse récente, menée par la chaire de recherche du Canada sur l'éducation et les rapports ethniques, de quelque 240 lettres à l'éditeur ou réactions sur internet lors du débat d'avril 2006 sur l'arrêt Multani (sur le port du kirpan à l'école) illustre clairement le manichéisme dominant qui oppose des Québécois de souche, défenseurs unanimes des valeurs démocratiques, à des étrangers venus d'ailleurs, qui les menacent systématiquement.
C'est passer bien vite sur les différences présentes à l'intérieur même de ces deux groupes, tant en ce qui concerne les attitudes que le bilan en matière des droits de la personne. À l'opposé du discours informé et plus nuancé des éditorialistes et des journalistes, les prises de position où la question de l'accommodement raisonnable est présentée comme un enjeu civique que nous, Québécois de toute origine, aurions à résoudre collectivement, sont extrêmement minoritaires. Quiconque a suivi l'actualité plus récente n'a pas de raison de penser que cette tendance manichéenne se soit atténuée.
Polarisation eux/nous
Mais la polarisation eux/nous n'est pas le seul travers inquiétant du débat actuel sur le plan des rapports ethniques. Elle s'accompagne, en effet, d'une tendance à l'infériorisation, c'est-à-dire à la dévalorisation des comportements ou des traits culturels de l'autre et d'une généralisation d'images négatives à l'ensemble des groupes minoritaires. Alors que ces trois premiers mécanismes (manichéisme, infériorisation, généralisation) représentent un premier palier de risques de dérive vers l'intolérance et le racisme, dans les discours récents de certains politiciens, on semble avoir franchi un second palier, celui de la victimisation du groupe majoritaire.
Cela s'accompagne, dans certains cas, de propos apocalyptiques: " Invoquer l'état d'urgence pour préserver la culture du peuple " (le conseiller André Drouin, de Hérouxville) ou, dans une version plus modérée: " Protéger la majorité contre les privilèges, les injustices et les passe-droits " consentis aux minorités (Mario Dumont).
Ces dérapages sont extrêmement inquiétants. Car, sur le plan psychologique, ils permettent de faire sauter un des freins les plus profonds et les plus solides aux gestes intolérants ou racistes, le désir de tout individu de conserver une cohérence entre ses principes et valeurs, d'une part, et ses comportements, d'autre part.
En faisant de l'autre, non plus un adversaire dans un débat démocratique mais un ennemi, et du minoritaire, non plus une personne à protéger mais un agresseur contre lequel on doit se protéger, ce processus discursif induit une dynamique psychologique qui permet de justifier des propos ou des comportements que l'individu considérerait sinon comme tout à fait inacceptables.
C'est donc une responsabilité essentielle des élus politiques, des élites intellectuelles ainsi que des représentants d'organismes publics, de s'opposer catégoriquement à tous ces dérapages et à toujours systématiquement ramener le débat à ses dimensions civiques et inclusives. Le projet collectif d'un Québec égalitaire est encore largement à construire: il n'est donc l'apanage d'aucune de ses composantes.
Marie Mc Andrew
L'auteure est titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'éducation et les rapports ethniques de l'Université de Montréal.

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Titulaire, chaire du Canada sur l’éducation
et les rapports ethniques

Professeure titulaire, faculté des sciences de
l’éducation, Université de Montréal





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