Sur le trauma identitaire actuel

Tribune libre 2008

Les commentaires que m’a inspirés l’allocution de Samuel Revans lors du
banquet de la Société Saint-Jean-Baptiste tenu à l’Hôtel Nelson en juin
1837 ont suscité une réaction symptomatique de [la part de monsieur Luc
Potvin->13612]. Le topo anticolonialiste, anglophobe et anti-individualiste de
l’auteur donne l’impression de revenir cinquante ans en arrière, à moins
qu’il ne soit un lecteur assidu du Monde diplomatique. Pas facile en tout
cas de se sentir à l’aise dans le corset identitaire canadien-français. Je
serais passé outre s’il n’était pas utile de rectifier deux ou trois «
perceptions » erronées concernant la permanente actualité du discours
indépendantiste auquel je me rallie.
Je n’ai jamais avancé que la « multitude » pourrait un jour donner son
appui à un discours expurgé de toute « dimension identitaire », ni qu’on
puisse en « faire l’économie ». Je serais bien sot d’ailleurs. Tout le
monde sacrifie à l’idole québécoise, même les libéraux les plus
cosmopolites, le temps au moins d’une élection ou de vendre leur salade.
Si je comprends bien, son argument découle de la distinction radicale
qu’il établit entre « civique » et « identitaire ». Ou bien l’on appartient
à la première catégorie (alors on est un Québécois at large), ou bien l’on
appartient à l’autre (alors on est un Canadien-français), mais l’on ne
saurait appartenir aux deux. On suppose que c’est seulement par l’entremise
d’un lent travail d’assimilation, malgré l’exposition à la programmation de
Radio-Canada) étalé sur quelques générations que les ressortissants de la
première catégorie, promus dans le club sélect de la seconde catégorie,
pourront participer pleinement à l’histoire, la culture et au trauma
identitaire des Canadiens-français. Étant donné que je suis un pur
Canadien-français issu de la lignée du patriarche Toussaint Huneault dit
Deschamps établi à Montréal en 1653, force est d’admettre que, renâclant à
m’identifier à mes pairs, je suis potentiellement un traître à la patrie,
un fédéraliste en germe en voie de conversion, à coup sûr, un gibier de
potence.
Venons-en à l’essentiel. J’ai dit et précise que les discussions
interminables sur l’identité collective des Québécois ne mèneront nulle
part tant qu’elles ne seront pas orientées de façon adéquate vers la
réalisation d’objectifs politiques fondamentaux et, n’en déplaise à Benoît
Pelletier, rassembleurs, c’est-à-dire, en gros, la capacité pour eux,
quelle que soit leur provenance – et non pas les seuls Canadiens-français
de souche dont je suis - de créer leurs propres institutions et se donner
leurs propres lois sans que la Cour suprême, les Communes à Ottawa ou
madame la Gouverneur générale viennent mettre le nez dans nos affaires ou
s’amusent à y lâcher leur fiente.
Tout le paragraphe sur les patriotes des années 1830 est truffé de
grossières généralités. Un examen sérieux de la période amène par exemple à
affirmer sans aucune hésitation que le cens électoral consenti par la
Constitution de 1791 et l’administration Whig à Londres a grandement
favorisé l’aspiration démocratique des Canadiens-français, contrecarrée et
bafouée par l’antiparlementarisme des torys montréalais. Travaillant à
l’édition critique du Montreal Herald and Daily Commercial Advertiser
(1834-1840), je puis assurer mon aimable contradicteur que l’élite tory
montréalaise – deux cents individus gros max – qui avaient la prétention de
se croire les « gardiens provisoires » du British North America, n’ont
cessé, jour après jour, de peaufiner le piège identitaire dans lequel il
est empêtré : pas question de donner le contrôle du Saint-Laurent à une
bande de culs-terreux francophones repliés sur eux-mêmes et hantés par leur
survie. D’où le propos iconoclaste de Revans sur les « différences
nationales ».
Le jour où les individus qui partagent le même profil idéologique que
monsieur Potvin s’apercevront que le repli identitaire frileux qui les
caractérise a, de tout temps, fait le jeu des fédéralistes et des tenants
du multiculturalisme, ils auront fait un pas dans la bonne direction.
François Deschamps
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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mai 2008

    J’espère que M. Deschamps a lu ma récente réplique à la réplique de M. Philippe Navarro (alias Christian Potvin). En tout cas, dans son texte ci-dessus, il ne tient guère compte des arguments que j’y ai sommairement développés.
    M. Deschamps me reproche d’avoir dit que le régime sous lequel vivait le Bas-Canada au temps des Patriotes était carrément antidémocratique. Nous y avions des représentants élus, dit-il, c’était déjà ça, un premier pas, à tout le moins, vers la démocratie. Bon, d’accord, si on veut. N’empêche qu’un régime où le gouvernement n’émane pas de l’assemblée n’est pas réellement démocratique (à moins qu’il soit présidentiel), et cela, nombre de Britanniques, à l’époque, pouvaient en convenir. Ils en convenaient tellement, d’ailleurs, qu’au Haut-Canada, ils ont mené une lutte semblable à la nôtre. Une lutte pour un gouvernement responsable, une lutte pour une démocratie complète, pas juste un embryon. Et, dans le contexte de l’époque, cette lutte pour une démocratie complète coïncidait, en particulier pour le Bas-Canada, avec une lutte pour l’indépendance nationale. Aujourd’hui, je constate que, s’il y a une lutte pour l’indépendance au Québec, il n’y en a cependant pas en Ontario. Cela doit bien vouloir dire quelque chose, non ?
    Comme je l’expliquais, aujourd’hui, pour nous, le fin fond du problème demeure le même. Face à Ottawa, notre peuple est dans la même position que jadis face à Londres. Sauf que, depuis lors, deux changements majeurs empêchent une foule de gens, surtout des non-Canadiens-Français mais même certains Canadiens-Français, de s’en rendre compte.
    1) La responsabilité ministérielle pour laquelle se sont battus les Patriotes a été accordée (1848).
    2) Notre peuple a été intégré à une structure politique dans laquelle il est, et de plus en plus, minoritaire.
    En 1867, cette structure politique a pris une forme fédérale dans laquelle tous les habitants, y compris ceux du Québec, sont reconnus juridiquement comme des citoyens au même titre les uns que les autres. Tous ces citoyens élisent leurs gouvernements, le provincial dans chaque État fédéré et le fédéral par-dessus. C’est ce qui fait que pour la quasi-totalité des Anglos, ceux du Québec comme ceux d’ailleurs, il n’y a plus aucun problème.
    —— Oui, mais, peut-on leur dire, le Québec est privé des pouvoirs les plus essentiels, lesquels ont été dévolus au gouvernement central.
    —— Et puis, nous rétorquent-ils, il en va de même pour l’Ontario, le Manitoba et toutes les autres provinces et personne n’y voit la moindre injustice, la moindre entorse aux principes démocratiques les plus élémentaires.
    —— Oui, mais, leur fait-on valoir, le Québec, ce n’est pas pareil.
    —— Le Québec, ce n’est pas pareil ? Comment cela ? demandent-ils.
    —— Le Québec est une nation, répond-on, ce qui n’est quand même pas le cas pour l’Ontario, le Manitoba ou l’Île-du-Prince-Édouard.
    —— Ah bon ! Et sur quoi vous fondez-vous pour affirmer cela ?
    —— Euh…
    Qu’on se comprenne bien. Je n’ai absolument rien contre la démocratie, loin de là. Seulement, je dis que fonder notre lutte pour l’indépendance du Québec seulement, uniquement, strictement sur des principes démocratiques purs, en faisant abstraction du destin de la nation culturelle et historique que nous formons, et cela par peur de nous faire grossièrement et hypocritement accuser de racisme, c’est cela qui nous fait tourner en rond et ne mène nulle part. Car, contrairement à celle de Londres autrefois, la domination d’Ottawa sur notre peuple s’exerce aujourd’hui dans le respect formel des principes démocratiques. Oh ! il y a bien des entorses, et de grosses, par exemple le vol du référendum en 1995. Mais, à ce compte-là, nous demandera-t-on, où y a-t-il dans le monde une démocratie exemplaire ?
    Pour les Anglos, je le répète, et même pour certains Canadiens-Français, les gouvernements sont élus, donc les principes démocratiques sont respectés, l’égalité juridique ou civique nous est reconnue et, comble de bonheur, le niveau de vie est élevé, comparable à celui des autres pays occidentaux, alors il n’y a aucun problème, rien qui puisse, à leurs yeux à eux, justifier l’indépendance du Québec. Chez les Anglos, c’est le point de vue largement dominant, presque le seul, et pas seulement chez les affreux torys, pas seulement chez les éléments les plus conservateurs, mais même dans les milieux en principe les plus progressistes. M. Deschamps en voit la cause dans notre supposé esprit de fermeture, moi je la vois d’abord dans le fait que la forme démocratique du régime fédéral en masque assez efficacement merci la nature toujours coloniale, puis aussi, en partie, dans le racisme de certains Anglos.
    Quant au PQ, qu’il me soit permis, pour une rare fois, d’en prendre la défense, moi qui ai plutôt tendance à le critiquer, toujours dans un esprit constructif il est vrai. MM. Deschamps et consorts lui font un procès des plus injuste. Un discours comme ils en rêvent, un discours d’où la dimension identitaire est sinon éliminée, du moins reléguée loin, très, très loin au dernier plan, n’est-ce pas précisément un tel discours que tient ce parti depuis sa fondation, et cela sauf rarissime exception ? Un minimum de bonne foi, quand même ! On pensera ce qu’on voudra du groulxisme qui trouble encore le sommeil de certains, mais une chose est sûre : on peut toujours en chercher des traces au PQ, en trouver c’est un défi insurmontable. Oublions Mme Marois qui vient tout juste d’en prendre la direction. Quand le PQ a-t-il eu recours à un argumentaire de type identitaire ? Quand ? Quand ? Quand ?
    Depuis toujours, le PQ accueille dans ses rangs des gens de toutes origines, y crompris des Anglos. C’est tout à son honneur et il doit continuer dans cette voie, et continuer à saluer chaleureusement l’exceptionnelle noblesse de ces personnalités exceptionnelles qui, par un exceptionnel idéalisme et souvent au détriment d’intérêts immédiats, décident de s’identifier à notre peuple et d’épouser notre cause. Mais il n’est pas pour autant obligé de s’abstenir de rappeler haut et fort que, du succès de notre lutte pour l’indépendance, dépendent la survie même et l’épanouissement de la nation culturelle et historique que nous formons.
    Quant au reproche d’enfermement identitaire, s’il vous plaît, laissons de côté les clichés éculés. Défendre son identité nationale, ce n’est pas, ça n’a jamais été s’y enfermer. Pour l’enfermement identitaire, les Anglo-Américains, ceux de l’ouest ou ceux du sud, ne donnent quand même pas leur place, et ce sont bien les derniers de qui nous ayons des leçons d’ouverture à recevoir.
    Enfin, non, je ne tiens pas à retourner cinquante ans en arrière, et d'autant moins que je n'ai même pas cet âge. Toutefois, mise à part la réappropriation partielle de notre économie au moyen d’un socialisme décolonisateur auquel le mouvement indépendantiste a servi et sert encore d’unique rempart (Hydro-Québec, Caisse de dépôt, SGF, etc.), mis à part cela qui constitue un progrès indéniable et remarquable mais infiniment fragile, mis à part cela, dis-je, en franche vérité, je cherche en quoi diable notre situation comme peuple est tellement plus enviable aujourd’hui qu’hier… Le progrès, c’est très bien, c’est même parfait, mais ça ne coïncide pas toujours nécessairement avec l’ordre chronologique.
    Luc Potvin
    PS : Et vive Le Monde diplomatique ! Malgré certains défauts, ça change de notre Presse locale. Et c'est quand même plus digestible que L'Express français où sévissent toujours, du moins aux dernières nouvelles, les émules de Jean-François Revel, le grand défenseur de la tutelle étatsunienne, le valet volontaire de Washington, sorte de père spirituel, donc, de Nicolas Sarkozy, le protégé de Paul Desmarais. (Oh ! les affreux amagalmes ! Et pourtant...)