Le récent et curieux jugement de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne le port du kirpa à l'école ainsi que l'étonnante et gélatineuse décision de la Commission des droits de la personne validant la revendication de certains musulmans pour ce qui affecte la pratique religieuse à l'intérieur d'un espace public forcent le questionnement sur la consolidation au Québec, comme dans d'autres sociétés démocratiques, d'une vision communautariste de l'organisation de la société.
En vertu de cette conception de l'organisation des rapports sociaux, les communautés particulières auraient des droits spécifiques fondés sur leurs différences. Dans ce contexte, la nation serait formée par l'addition de ces identités singulières faisant valoir des besoins et des intérêts qui leur sont propres.
L'idéologie communautariste propose une conception des droits de la personne à géométrie variable, fondée sur une interprétation triviale de la règle de l'accommodement raisonnable. Ainsi, accompagnant un droit général, il y aurait un droit propre pour les homosexuels, les femmes, les aînés, les personnes handicapées, les malades ainsi que les membres de toutes les affiliations religieuses et de toutes les identités culturelles imaginables.
Ce communautarisme constitue à mon sens une perversion de l'idée d'une humanité égale, laquelle fonde la conception inclusive des droits et libertés. Il mine la responsabilité qu'ont toutes les personnes d'adhérer à ce que Fernand Dumont nommait des raisons communes de vivre ensemble au-delà de nos différences.
Il est aussi victimaire en ce qu'il tend à transformer en oppression spécifique tout refus de se plier à la revendication d'un groupe particulier au nom du bien commun. J'irais même jusqu'à suggérer qu'il pourrait être infantilisant dans la mesure où il suggère que la capacité de satisfaire un besoin particulier est la norme à laquelle doit se frotter l'intérêt général.
Un peuple vulnérable
Le peuple québécois me semble particulièrement vulnérable au chantage communautariste. Ayant nous-mêmes été collectivement victimes d'oppression, notamment sur les plans linguistique et religieux, ayant développé les formes d'aliénation propres aux sociétés colonisées, ayant été exploités et l'étant toujours par une élite sans autre ambition que son enrichissement personnel, nous sommes fragiles devant les accusations de racisme, d'intolérance ou de xénophobie.
Ayant souffert de ce que certains maîtres chanteurs communautaristes nous accusent, nous avons tendance à croire que la chose est peut-être possible et que, conséquemment, nous devons faire un effort particulier, au risque d'être déraisonnables, pour montrer combien nous sommes gentils et dignes d'appartenir à la communauté des nations civilisées.
Or nous sommes une société ouverte, accueillante, curieuse. Nous savons apprécier la différence et l'intégrons assez facilement, je dirais même avec bonheur, à notre culture. Les qualités que nous devons nous reconnaître ne doivent pas nous empêcher d'être prudents, vigilants et intransigeants quand il s'agit du respect de notre intégrité en tant que peuple.
Exiger des personnes que nous accueillons à bras ouverts qu'elles soient aussi responsables envers nous que nous le sommes envers elles n'est pas demander beaucoup. Cela s'appelle de la réciprocité. Peut-être que les revendicateurs de tous les droits particuliers devraient y réfléchir un peu plus.
Henri Lamoureux
_ Écrivain et socioéthicien
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