Depuis quelque temps, pas une journée ne passe sans nous apporter son lot de révélations sur la turpitude morale réelle, alléguée ou appréhendée de personnes en situation de pouvoir. La dénonciation des faux pas de l’autre semble même être devenue partie intégrante du jeu politique et de son prolongement médiatique. À telle enseigne que l’on serait tenté de nous voir comme un peuple de handicapés de la conscience devant être mis en quarantaine pour éviter qu’il ne pollue l’éthique des nations.
Ce contexte est particulièrement propice à l’expression de toutes les hypocrisies, surtout celle qui consiste à chercher le pou dans le poil de l’autre pour ne pas voir la vermine qui infeste le sien. Ce type de pharisianisme révèle non seulement une grande confusion éthique chez celles et ceux qui le pratiquent, mais nuit considérablement à l’équilibre de notre société, entretenant cette espèce de névrose collective dont nous semblons être affectés à des degrés divers, selon le temps qu’il fait.
Aussi faut-il dénoncer certains amalgames faciles et la volonté de certains, notamment chez les libéraux, d’équilibrer les comptes de la turpitude morale en cherchant chez les uns et les autres parmi leurs opposants politiques des tares qui feraient oublier un tant soit peu les leurs.
Soyons clairs, la double rémunération de Jean-François Lisée n’est pas du même ordre que celle dont a joui Jean Charest en son temps, ou celle dont bénéficie le bon docteur Bolduc en étant à la fois député et médecin pratiquant. Le rappel des conseillers culturels du Québec à l’étranger pour une mise à niveau de la stratégie nationale en matière d’exportation culturelle n’a rien à voir avec un repas de financement politique en compagnie des requins de la construction. Les erreurs de Daniel Breton, si elles montrent des failles sur le plan du jugement, ne sont pas équivalentes à ce que révèle la commission Charbonneau sur la politique municipale et les rapports entre certains politiciens et les mafias.
Cela pour dire que nous avons été éduqués à rechercher le bien et à fuir le mal. Nous comprenons plus tard, au fil du développement de notre conscience, que la vertu se situe quelque part entre ces deux pôles et que l’homme honnête est celui qui se rapproche le plus d’un idéal désiré. Dans cette optique, une personne peut faire une erreur, mais elle cherchera à la réparer aussitôt qu’elle en prendra conscience.
Nous découvrons aussi que l’éthique est un outil fabriqué par notre espèce et les sociétés qui la composent pour ne pas disparaître. Elle s’enracine dans un corpus de valeurs humaines fondamentales (la liberté, le respect de l’autre), sociales (l’accès universel à des soins et à l’instruction) et culturelles (le français, langue commune) dont le sens se révèle par leur actualisation (lois, règles, normes). On comprendra que le résultat de cette opération dépendra de la préférence ou référence idéologique de celles et ceux qui détiennent les rênes du pouvoir. D’où, forcément, les différences d’interprétation.
On ne peut donc pas utiliser la référence éthique à tout propos, comme si le fait de dire le mot possédait un pouvoir magique. Ainsi, une banque n’est pas plus « éthique » que ne le serait une entreprise pétrolière. Et il n’y a pas d’usage éthiquement convenable des armes de destruction massive.
Analyser un fait sous l’angle éthique impose quelques précautions, notamment sur le plan de l’intention. Commettre une erreur sans en avoir l’intention ne doit pas se juger de la même manière qu’un crime ou un manquement commis en toute connaissance de cause.
Je pourrais citer toute une liste de comportements qui, dans le domaine politique, à gauche comme à droite, posent problème sur le plan de la cohérence éthique. Je sais bien que, si les mouvements sociaux comptent dans leurs rangs des individus d’une exceptionnelle qualité morale, il s’en trouve aussi dont l’intégrité est discutable. Inspirés par l’éthique protestante, il se trouve même des gens riches qui se préoccupent de la qualité de vie de leurs semblables. Cela pour dire que, si nous devons nous réjouir d’avoir le courage de purger notre société des dérives criminelles qui la minent, il faut par contre se méfier d’une autre dérive consistant à éroder systématiquement la confiance que l’on doit avoir les uns envers les autres et envers nos institutions.
La cohérence éthique impose une obligation de discernement. Elle appelle à la responsabilisation de chacune et de chacun. Elle nous oblige à éviter de sombrer dans cette espèce de banalisation que produit son instrumentalisation à des fins qui, c’est le moins qu’on puisse dire, sont inappropriées.
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Henri Lamoureux - L’auteur est écrivain et socioéthicien. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage Le citoyen responsable, VLB éditeur.
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