Les réalisateurs Jean-Pierre Roy et André Néron se sont donné pour mission de sortir Jacques Parizeau — un homme « droit », qui exultait la confiance, le respect et l’ouverture — de la « prison » de sa déclaration sur « l’argent, puis des votes ethniques ».
Pour y arriver, ils signent Jacques Parizeau et son pays imaginé, un documentaire biographique à paraître vendredi.
Lundi 30 octobre 1995. Palais des congrès de Montréal. Le chef du Parti québécois (PQ) et leader du camp du Oui se présente dépité devant les partisans souverainistes, qui viennent tout juste d’encaisser la nouvelle : pour une deuxième fois en 15 ans, leur option a échoué. Le Québec a dit non à la proposition de former un pays.
Les minutes qui suivent passeront à l’histoire. En plein coeur d’un discours d’une dizaine de minutes, Jacques Parizeau prononce les mots fatidiques : « C’est vrai… c’est vrai qu’on a été battus, au fond par quoi ? Par l’argent, puis des votes ethniques, essentiellement. »
Mais Jacques Parizeau, c’est beaucoup plus qu’une phrase prononcée au détour d’une envolée post-défaite, affirme le réalisateur Jean-Pierre Roy dans une entrevue accordée au Devoir quelques heures avant la sortie du film Jacques Parizeau et son pays imaginé, élaboré en collaboration avec l’ex-conseiller politique adéquiste et bloquiste André Néron. « On espère que le film va effacer ou faire disparaître la prison dans laquelle M. Parizeau a été enfermé avec cette fameuse phrase de la défaite, qui a été reprise même à sa mort dans le New York Times, souligne-t-il. La défaite, ce n’est pas que cette phrase. »
Parizeau et le Québec moderne
Le film, qui s’échelonne sur près de deux heures, s’appuie sur une série d’images d’archives et d’entrevues avec de proches collaborateurs de l’ex-premier ministre.
Présenté de façon chronologique, il permet de rappeler le rôle de M. Parizeau dans plusieurs événements politiques marquants du XXe siècle au Québec, dont le « beau risque » de René Lévesque — qu’il n’a jamais avalé — et les négociations de l’accord du lac Meech — dont l’échec a généré un rare consensus entre le Parti libéral de Robert Bourassa et le PQ.
« Je pensais important de rendre un hommage à ce genre de personnage pour que ceux qui sont en politique actuellement puissent s’inspirer de cet homme de conviction, mais aussi pour les futurs bâtisseurs… Au-delà de la partisanerie, c’est un homme qui a construit le Québec moderne », indique André Néron, qui a eu l’idée de créer un documentaire en 2015, au sortir des funérailles nationales de M. Parizeau.
Le long métrage aura pris huit ans à se concrétiser. Pour une question de financement avant tout, puis en partie en raison de la pandémie. Le film pose d’abord sa caméra sur Jacques Parizeau l’homme. S’appuyant sur de longs extraits d’entrevues, il s’attarde notamment aux qualités de financier et d’économiste de l’ex-premier ministre, qui a entre autres étudié à la London School of Economics et qui a occupé pendant plusieurs années le poste de ministre des Finances.
« Plusieurs, comme Jean Campeau, ont dit : “M. Parizeau aurait pu avoir une carrière internationale.” Donc, s’il avait voulu ne penser qu’à lui, il aurait fait carrière à travers le monde, possiblement dans les grandes banques européennes. Donc, les gens étaient touchés par son choix de rester au Québec et de faire progresser son peuple », explique Jean-Pierre Roy.
Raciste ?
Même s’il a voté pour le Non en 1995, l’homme d’affaires Vincenzo Guzzo tenait à rendre hommage au leader du camp du Oui, ce qui l’a conduit à coproduire le documentaire et à demander d’apparaître dans celui-ci.
« Toutes les fois que je le voyais, je prenais le temps d’aller le saluer. […] Ce que j’admirais, c’est sa cohérence sur le plan économique. Si le Québec est assis sur des fondations solides, c’est bien grâce à M. Parizeau et à ses décisions économiques », indique-t-il au Devoir.
Cité dans le documentaire, M. Guzzo, qui a déjà considéré l’idée de se lancer en politique pour le Parti conservateur du Canada, ne tient pas rigueur à l’ex-premier ministre pour ses propos du soir du 30 octobre 1995. « Faire une constatation sur comment le monde a voté au dernier référendum ne fait pas de Jacques Parizeau quelqu’un de… On s’est permis de dire qu’il était un raciste. Je ne suis pas d’accord », dit-il à la caméra, le veston criblé d’épinglettes, devant ses objets de collection du constructeur automobile Ferrari.
Le film présente notamment l’extrait d’une publicité du PQ dans laquelle, lorsqu’interrogé par un travailleur sur le sort des « ethnies » dans un Québec souverain, l’homme politique répond : « Pour moi, il n’y a pas et il ne devrait jamais y avoir autre chose que des Québécois. Dans mon cas, ma famille est arrivée il y a 330 ans, et il y en a d’autres qui sont arrivés il y a cinq ans. Comme citoyens, nous sommes tous pareils », lance M. Parizeau.
« J’étais très choqué, quand on faisait le monument à M. Parizeau à l’Assemblée nationale l’automne dernier, d’entendre des gens dire qu’on ne devrait pas faire de monument à un homme raciste. Il ne l’était pas », affirme André Néron au Devoir.
Jacques Parizeau et son pays imaginé sera diffusé dans les cinémas Guzzo du Québec dès le 27 janvier.