En avril 2001, la création d'une zone de libre-échange regroupant 34 pays des Amériques ne semblait qu'une question de temps. Presque une formalité. Cinq ans plus tard, le projet apparaît moribond. Y a-t-il un médecin dans la salle ?
À toutes fins utiles, la mort clinique de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) a été constatée lors du quatrième Sommet des Amériques, tenu en Argentine en novembre dernier. La rencontre a permis de constater l'opposition farouche d'un groupe de cinq pays, comprenant notamment le Brésil, qui préféraient s'en remettre à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour régler certaines questions épineuses. Ceux-là s'irritent tout particulièrement des généreuses subventions octroyées par les États-Unis et l'Europe à leur propre agriculture.
À écouter les propos aigres-doux échangés par certains chefs d'État en Argentine, on devinait que la rencontre ne s'apparentait guère à une balade dans un jardin de roses en galante compagnie, par une belle journée d'été, sous un ciel sans nuage. Le président du Venezuela, Hugo Chavez, a qualifié son homologue mexicain, Vicente Fox, de "chiot de l'empire". M. Fox n'a pas été en reste, déclarant que le président argentin, Nestor Kirchner, l'hôte du Sommet, "se souciait davantage de l'opinion publique que du succès de la rencontre". Et M. Kirchner n'a pas laissé l'affront impuni, en répliquant que, pour certains, "la bonne diplomatie est synonyme d'une attitude de soumission permanente".
Rien à voir avec la bonne humeur et l'optimisme qui régnaient au troisième Sommet des Amériques de Québec, en avril 2001. Trente-quatre pays s'étaient alors engagés à créer une Zone de libre-échange des Amériques, "au plus tard en janvier 2005". Emportés par l'enthousiasme, les participants avaient même assorti cette promesse d'une condition. Pour être admis dans la grande famille des Amériques, un pays devait être dirigé par un gouvernement démocratique. Cela excluait d'office le Cuba de Castro, mais pas nécessairement l'Haïti d'Aristide. Comprenne qui pourra. Et la déclaration finale se terminait par une phrase aussi grandiloquente que catégorique : "Nous nous engageons à faire de ce siècle le siècle des Amériques."
Le "minilatéral"
Que reste-t-il de ce bel enthousiasme, cinq ans plus tard ? Pour le sociologue Dorval Brunelle, directeur de l'Observatoire de la mondialisation, la ZLEA n'a guère de chance de renaître de ses cendres, malgré les tentatives récentes pour la réanimer. Selon lui, le projet a été victime d'une succession d'événements que personne n'avait vu venir en 2001. D'abord, une partie de l'Amérique du Sud a élu des gouvernements beaucoup plus méfiants à l'égard du libre-échange avec les États-Unis. Ensuite, les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak ont détourné l'attention de l'administration Bush des projets de commerce panaméricain.
"L'élection au Brésil du président Lula da Silva, en octobre 2002, a porté un dur coup à la ZLEA, explique M. Brunelle. Contrairement à ce que l'on croit généralement, Lula n'est pas opposé au libre-échange pour des raisons idéologiques. Il veut un accord de libre-échange, mais sur le plan international. Pas seulement pour les Amériques. Mais l'opposant le plus farouche à la ZLEA demeure le président vénézuélien Hugo Chavez. M. Chavez s'est beaucoup radicalisé depuis la tentative de coup d'État contre lui, en 2002."
À défaut de réaliser une ZLEA de l'Alaska à la Terre de Feu, les pays des Amériques se rabattent désormais sur des accords de libre-échange bilatéraux. "L'heure n'est plus au multilatéral, elle est au minilatéral", disent les cyniques. Évoquant les multiples obstacles qui se dressent maintenant sur la route d'une éventuelle Zone de libre-échange des Amériques, le sociologue Dorval Brunelle conclut par une boutade : "Quand on aime les choses complexes, on étudie le chinois ou alors la politique de l'Amérique latine."
JSGagne@lesoleil.com
Le sommet des amériques, cinq ans plus tard
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