Il faut avoir entendu Jean Charest vanter les exploits de son gouvernement pour comprendre à quel point le pouvoir constitue une drogue puissante. Et dangereuse.
Aucune substance psychotrope ou hallucinogène n'engendre cet état d'exaltation, cette rupture avec le monde extérieur, cette capacité d'oublier le passé, ce déluge de superlatifs aussi vains qu'inutiles.
Soyons encore plus clairs. Avec n'importe quelle drogue, il arrive toujours un moment où le junkie revient sur terre. Mais pas avec le pouvoir, de toute évidence.
Après trois ans d'accoutumance au pouvoir, le premier ministre semble avoir largué les amarres pour un monde de rêve. Il s'est réfugié dans un pays de Cocagne où les ministres ne gaffent jamais, où les fontaines donnent du miel et où il suffit de répéter plusieurs fois un mensonge pour qu'il devienne réalité. À côté de cela, même les teletubbies ont l'air de dangereux rabat-joie. Gênant.
Vous voulez des exemples ?
Il y a quelques jours, pour inaugurer la session parlementaire, M. Charest affirmait que son parti avait "renouvelé les assises du Québec". Rien de moins. À Laval, le 13 mars, M. Charest a vanté le "courage" de son gouvernement, en des termes que n'auraient pas reniés les vétérans du débarquement de Normandie.
Oublions les nombreux discours dans lesquels M. Charest se targue d'avoir tenu toutes ses promesses. Qui se souvient encore que le programme libéral promettait de maintenir les garderies à 5 $ par jour ? Pas grave, car M. Charest se sent plutôt l'âme d'un bulldozer. "Nous serons ce gouvernement qui dégagera les voies du futur pour le bénéfice de notre jeunesse", s'est-il exclamé récemment devant la jeune Chambre de commerce de Québec. Emporté par l'émotion, M. Charest s'est même lancé ce jour-là dans une comparaison délirante entre Expo 67 et Québec 2008.
Quelqu'un a-t-il prononcé le mot exagération? Pour reprendre une image chère aux Américains, si les sardines étaient aussi grosses que le disent les pêcheurs, elles seraient vendues dans des garages, et non dans des boîtes conserve.
C'est vrai, tous les chefs de gouvernement ont tendance à enjoliver la réalité. Jacques Parizeau et Bernard Landry, par exemple, ne constituaient surtout pas des modèles de modestie.
Le problème, c'est que monsieur Charest a l'air de croire à ses propres sornettes, lui.
Quoi qu'il en soit, l'engouement de plus en plus marqué de notre premier ministre pour le bourrage de crâne ne pouvait survenir à un plus mauvais moment.
Il arrive alors même qu'une partie des communications des ministères passe sous le contrôle du Conseil exécutif, le ministère de M. Charest lui-même.
Comment ne pas craindre que les communications soient contaminées par la poésie de boudoir et la partisanerie qui déferlent sur le bureau de M. Charest ?
Reste que le chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvre du jargon politique revient au cabinet du ministre des Transports, Michel Després, lors de l'annonce officielle de la fermeture du zoo de Québec, le 30 novembre. Ce jour-là, le communiqué de presse n'évoque pas la fermeture du zoo, vous le devinerez. Non. Il annonce plutôt que les activités du zoo sont "consolidées" à l'aquarium.
Le texte précise que la solution retenue permet d'augmenter "l'offre de services" de l'aquarium, pour en faire une attraction touristique "incontournable" qui apporterait de la "valeur ajoutée à ses missions éducative et scientifique".
Blablablabla. Une telle collection de clichés, cela mériterait une place de choix dans n'importe quel Musée de la bêtise. Plus flyé que cela, le ministère des Transports mettrait des oeufs de Pâques dans chaque nid-de-poule, dans tout le Québec, dans l'espoir d'en voir sortir des poussins. Mais cela viendra peut-être, qui sait ?
Au moins, diront les éternels optimistes, tous les députés libéraux ne sont pas entièrement dupes de cette mascarade.
En effet, lors d'un récent caucus, un brave élu s'est même permis de remettre en cause l'euphorie ambiante. On devine qu'il fut accueilli comme un putois enragé au milieu d'une réunion de fanatiques de plats Tupperware.
Mais il n'importe. Nous voilà rassurés. Les députés libéraux sont peut-être invisibles et muets. Mais ils ne sont pas tous idiots.
Preuve qu'il y a encore de la vie sur la planète rouge...
Qu'on se le dise, en matière de manipulation et de contrôle de l'information, le premier ministre du Québec se retrouve en bonne compagnie. Même que les débuts du nouveau premier ministre du Canada, Stephen Harper, s'annoncent plutôt prometteurs.
En l'espace de quelques semaines, le premier ministre du Canada a ainsi interdit l'accès à son bureau lors des rencontres officielles. Puis il a barré l'accès à l'étage où se déroule le Conseil des ministres, du jamais vu en 30 ans. Enfin, c'est son secrétaire de presse, Dimitri Soudas, qui choisit désormais quels journalistes peuvent poser une question. Nul doute que le procédé, calqué sur les méthodes de la Maison-Blanche, permettra de réduire le nombre de questions indésirables et de punir les journalistes récalcitrants.
Fort peu probable que des députés conservateurs se lèvent pour protester. Comme leurs homologues libéraux provinciaux, les députés conservateurs apparaissent jusqu'ici d'une troublante docilité. Surtout pour des gens qui se sont fait élire en promettant la transparence et l'indépendance par rapport aux lignes de parti.
Remarquez. Dans la région de Québec, dire qu'un député conservateur est discret, c'est un peu redondant. Autant affirmer que le grand méchant loup a de longues dents ou qu'une carpe est muette.
À Ottawa, une blague peu flatteuse raconte déjà les premières heures d'un nouveau député conservateur, à l'édifice du Parlement.
"Le député s'affaire à installer la décoration de son bureau, lorsque sa secrétaire lui annonce qu'un jeune homme demande à le voir.
Soucieux d'impressionner ce premier électeur en visite, le député s'installe derrière son pupitre, décroche le téléphone et fait semblant de parler à quelqu'un, pendant que le jeune homme entre dans la pièce.
- Désolé, mais j'ai beaucoup de travail en ce moment et je ne pourrai m'occuper de votre campagne avant un mois, explique-t-il à son interlocuteur imaginaire, en parlant très fort pour que le jeune homme entende sa conversation.
Il raccroche ensuite le combiné et s'adresse au jeune homme.
- Que puis-je faire pour vous, mon cher monsieur, demande-t-il en s'efforçant de bien "perler".
- Rien du tout, répond l'autre. Je suis seulement ici pour brancher votre téléphone."
Jsgagne@lesoleil.Com
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