La redécouverte de Robert Bourassa

Robert Bourassa - 10e anniversaire


Une statue, un boulevard à son nom, etc.: les commémorations de Robert Bourassa à l'occasion du dixième anniversaire de son décès semblent indiquer une «redécouverte», voire une «réhabilitation» du personnage. Même les plus critiques reconnaissent que, la distance aidant, la cote du «roseau qui plie mais ne rompt pas» prend du mieux.


Québec -- Économiste, avocat, premier ministre des «100 000 emplois» : comment Robert Bourassa, qu'on honorera d'une statue devant l'Assemblée nationale cette semaine, aurait-il réagi devant la crise forestière actuelle ?
Sans doute plus vite que Jean Charest, affirme un ancien conseiller de celui qu'on surnomma «le roseau qui plie mais ne rompt pas» : «Robert Bourassa avait des antennes partout. Il aurait sans doute commencé à réagir bien avant les mises à pied», juge-t-il. Carl Grenier, directeur général du Conseil du libre-échange pour le bois d'oeuvre, qui, lorsqu'il était haut fonctionnaire, a travaillé aux côtés de Robert Bourassa, est d'accord : «Je pense que c'est assez fondé de dire qu'il aurait perçu ça un peu plus rapidement. M. Bourassa était économiste de formation, il était très sensible à ces questions, les comprenait rapidement.»
Après quelque hésitation à répondre à la question du Devoir, le sénateur indépendant et ancien conseiller spécial de M. Bourassa, Jean-Claude Rivest, laisse tomber ceci : «Il semble qu'il y a un problème de prévision ici : ça fait des années qu'on prévoit qu'il est pour arriver quelque chose comme ça.» Sous-entendu : Bourassa, qui lisait tout, qui téléphonait à tout un chacun, n'aurait pas sous-estimé cette crise.
L'ancien ministre Marc-Yvan Côté n'est pas d'accord : «M. Bourassa aurait pris le taureau par les cornes !... comme Jean Charest s'apprête à le faire.»

Un ancien adversaire comme l'ancien premier ministre Bernard Landry estime que Robert Bourassa aurait «probablement été plus "proactif"» que l'actuel premier ministre. Il nuance toutefois : «Mais c'est difficile à dire. Contre la montée de la pâte à base d'eucalyptus et la chute du dollar américain, le premier ministre du Québec ne peut pas faire grand-chose.» Au reste, en matière économique, M. Bourassa était «immensément plus érudit que Jean Charest», ajoute M. Landry, et il n'est pas déraisonnable de croire qu'il eût agi «plus tôt». «Et il aurait été beaucoup plus nuancé dans son application du rapport Coulombe», note-t-il.
Réhabilitation
Ces bons mots s'inscrivent-ils dans une tendance ? Depuis la série radiophonique Robert Bourassa : le premier ministre, diffusée en dix épisodes à la Première Chaîne de Radio-Canada en 2003, l'ancien homme politique semble être en voie de «réhabilitation».
Récemment, un sondage Léger Marketing du Journal de Montréal estimait que le «magicien habile et ambivalent» (selon la judicieuse formule du collègue Gilles Lesage) se classait deuxième dans la faveur populaire parmi les «meilleurs premiers ministres du Québec» : il recueillerait 14 %, certes loin derrière le favori, René Lévesque, lui-même dans une catégorie à part avec ses 56 %. Mais il doublait les Jean Lesage (10 %), Lucien Bouchard (7 %) et Maurice Duplessis (5 %). Un score inattendu pour celui qui, en 1976, fut qualifié d'«homme le plus détesté du Québec».
Ces résultats en fâchent certains : «Très peu de gens semblent vouloir se rappeler qu'il nous a fait manquer le bateau de l'indépendance par froid calcul», peste l'historien Robert Comeau, de l'UQAM, qui a codirigé l'ouvrage Robert Bourassa, un bâtisseur tranquille (PUL, 2003).
Le contempteur le plus connu et le plus documenté de Robert Bourassa, l'ex-conseiller politique des Parizeau et Bouchard, Jean-François Lisée, a même récemment signé dans nos pages un article dans lequel il se montrait encore très critique (surtout à propos des manigances de l'après-Meech) mais où, pour une rare fois, il soulignait que le «tricheur» et le «naufrageur» avait laissé «un legs important et durable».
Même le côté «extrêmement ambivalent» du bourassisme, toujours présent dans les caricatures (Garnotte, par exemple, l'a déjà dépeint tiraillé entre une cravate à fleur de lys et une autre à feuille d'érable) est mieux perçu que jamais. Non seulement Jean-Claude Rivest soutient que cela correspond à «la prudence normande des Québécois», mais de plus, depuis dix ans, certains intellectuels, notamment l'historien Jocelyn Létourneau, de l'Université Laval, se sont employés à «dédramatiser» et même à valoriser cette «ambivalence québécoise» que symboliserait à merveille Robert Bourassa.
Redécouverte
«Attention, "réhabilitation", ce n'est sans doute pas le bon mot», proteste toutefois John Parisella, dernier chef de cabinet de «Bourassa II». On «réhabilite» un homme politique ou public dont l'oeuvre a été sérieusement remise en cause en raison d'un scandale, précise-t-il en citant le cas de Nixon. Dans le cas de Robert Bourassa, on assiste plutôt à la «redécouverte» de l'oeuvre et du personnage, dix ans après sa mort (survenue le 2 octobre 1996). Après tout, dit M. Parisella, c'est le premier ministre de «réformes durables» comme l'assurance maladie, la Charte des droits et, évidemment, la Baie-James, joyau de l'hydroélectricité.
Ancienne ministre libérale et sénatrice, Lise Bacon est d'accord. Elle espère que l'installation de la statue, jeudi, permettra d'honorer la devise nationale, «Je me souviens», car «trop de mythes subsistent au sujet» de Robert Bourassa, opine-t-elle. «Il a été là quatre mandats [comme Maurice Duplessis] et a accompli beaucoup. On oublie vite au Québec.»
Ronald Poupart estime quant à lui que si, parfois, son ancien patron a «encore l'air d'un mal-aimé», c'est qu'il est trop souvent comparé à René Lévesque. «Ce n'était pas le même type d'homme, l'un était charismatique, l'autre cérébral.» Lise Bacon note que M. Bourassa n'a pas suscité «l'adulation mais a plutôt inspiré le respect et l'admiration». Le temps, selon Ronald Poupart, finira par amenuiser les mauvaises impressions. «D'ailleurs, c'est ce qui est en train de se produire», juge-t-il.
Impopulaire, Robert Bourassa ? «Voyons donc !», s'insurge son premier secrétaire de presse, Charles Denis : «C'est lui qui a remporté quatre des plus importantes majorités de sièges de l'histoire du Québec !» 66 % des 108 sièges en 1970, 93 % des 110 sièges en 1970, 81 % des 122 sièges en 1985, 74 % des 125 sièges en 1989. Pour M. Poupart, on a d'ailleurs oublié que Robert Bourassa inspirait beaucoup de confiance à ses contemporains. Son programme politique, qui a toujours été axé sur «le développement économique et la paix sociale», rejoignait les désirs de la population, dit-il.
Pais sociale ? Et les crises ? Elles sont nombreuses, tant sous Bourassa I que sous Bourassa II, et elles sont nationales, constitutionnelles, environnementales et autochtones. «Oui, mais le Québec ne s'est pas brisé», insiste M. Poupart. «On peut lui reprocher les mesures de guerre, mais il faut savoir que la commission Keable ne l'a pas blâmé», soutient M. Rivest. «Après cela, il a toujours résisté à prendre des moyens extrêmes. Au moment d'Oka, il a résisté à ceux qui réclamaient que l'armée fasse le ménage», dit Ronald Poupart. Celui-ci ajoute que son patron aurait même pu empêcher l'éclatement de la crise d'Oka : «Si M. Bourassa avait été informé des projets du ministère de la Sécurité publique, alors dirigé par Sam Elkas, tout cela ne serait peut-être pas arrivé.»
Par ailleurs, la ténacité de M. Bourassa a sans doute aussi beaucoup à voir avec sa «popularité tranquille». Car si Robert Bourassa passe souvent pour être un homme ambivalent, indécis, «il faut rappeler qu'à travers les épisodes politiques, il gardait le cap sur des principes phares», dit Lise Bacon. Le roseau pliait, mais...
L'ancien journaliste du Devoir Paul-André Comeau a bien connu l'ancien premier ministre à Bruxel-les, lors son «intermède». «Ça ne faisait pas un mois qu'il était arrivé qu'il parlait déjà de redevenir premier ministre», raconte-t-il. Selon M. Comeau, pour beaucoup de Québécois, il a aussi symbolisé «la capacité de se relever, de reprendre l'initiative quand tout le monde le disait à terre». Lise Bacon se souvient que dès le soir de la défaite du 15 novembre 1976, il lui avait lancé, sur le plateau de Télé-Métropole : «T'inquiète pas, on va revenir.»
Jeudi, donc, on dévoilera devant l'Assemblée nationale la statue de celui qui fut premier ministre de 1970 à 1976 et de 1985 à 1993. Une oeuvre de Jules Lasalle qu'on dit plus «vivante» que le René Lévesque «zombie» de Fabien Pagé. Ronald Poupart, qui a vu les esquisses, décrit un Bourassa «debout, le bras droit tourné vers l'Assemblée et avec des documents sous l'autre bras». Faite de bronze, elle «ne pliera ni ne se rompra», assure-t-il.


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