Défaire les mythes qui persistent

Robert Bourassa - 10e anniversaire



Il y a parfois des personnages victimes d'injustices qui peuvent s'avérer difficiles à corriger. C'est le cas de Robert Bourassa, un personnage difficile à cerner pour plusieurs et dont l'immense contribution à la vie publique québécoise semble trop souvent occultée par une fausse perception de ce qu'il était vraiment.




J'ai bien connu M. Bourassa et il m'importe de porter un regard éclairé sur sa contribution au Québec. Trop de mythes subsistent à son endroit.
Un stratège
Robert Bourassa était un être singulier comme il s'en fait peu. Formé aux grandes écoles comme Harvard et Oxford, son intelligence peu commune le place d'emblée dans une catégorie à part. Il était tout le contraire d'un être indécis ou mou qui navigue à vue. Il savait exactement ce qu'il faisait et manoeuvrait habilement pour atteindre son but.
C'était un stratège passé maître dans le jeu complexe qu'est l'art de gouverner. Il consultait longuement même si, généralement, son idée était déjà faite sur tel ou tel dossier. Il prenait le temps nécessaire avant d'annoncer un projet, question de laisser l'idée s'imprégner lentement mais sûrement dans les esprits.
Surtout, il connaissait les forces et les faiblesses de ses collaborateurs et avait une idée juste de la nature humaine. Cela l'a très bien servi dans l'arène politique.
M. Bourassa n'a pas suscité l'adulation sans bornes mais a plutôt inspiré le respect et l'admiration. Le bilan de son action mérite d'être reconnu à sa juste valeur. J'ai relevé certains éléments essentiels qui résument admirablement bien ses convictions profondes et les réalisations qui attestent du sérieux de son engagement.
Justice, culture, économie : indissociables

Pour lui, la justice sociale et l'épanouissement culturel étaient les corollaires du développement économique. C'étaient, dans son esprit, des éléments intimement liés et indissociables.
Son obsession pour l'économie trouve sa source à même une sensibilité sociale et une attention particulière pour les plus faibles. Il savait, par ailleurs, que pauvres, il nous serait impossible de développer les outils nécessaires à l'épanouissement culturel et au rayonnement de la langue française.
Pour stimuler l'économie québécoise, il mise sur l'énergie hydroélectrique et un grand projet mobilisateur : le développement de la Baie-James.
M. Bourassa n'était pas peu fier du succès de la Baie-James. Il croyait nécessaire de développer une grande richesse qui nous appartient. Il avait compris, avant bien d'autres, que la filière hydroélectrique était la moins coûteuse, la plus fiable, la moins polluante et la plus sécuritaire pour le Québec.
Sur le plan identitaire, M. Bourassa était d'abord et avant tout francophone avant d'être québécois ou canadien. Le combat qu'il a mené pour faire du français la langue officielle du Québec en 1974, avec l'adoption de la loi 22, et celui qu'il mènera, une décennie plus tard, pour faire reconnaître le caractère distinct du Québec dans la Constitution canadienne avec Meech et Charlottetown méritent notre plus grand respect. M. Bourassa aimait dire qu'il évaluait ce qui servait les «intérêts supérieurs» du Québec pour guider son action. Il a agi en conséquence durant toute sa carrière politique.
Il disait ceci : «Fédéralisme, néo-fédéralisme, quasi-fédéralisme, souveraineté-association, tout cela, finalement, au-delà de la satisfaction symbolique, n'est que technique de gestion. Mais que le Québec soit reconnu comme État français en Amérique du Nord, avec le français comme seule langue officielle, ça me paraissait un objectif essentiel sur le plan historique» (Gouverner le Québec, Montréal, Fides, 1995). Il était toutefois convaincu de la nécessité du lien fédératif. Pour lui, l'absence de ce lien apparaissait comme un non-sens géopolitique, un risque d'isolement pour le Québec. Il répugnait à mettre en péril l'intimité des rapports économiques entre le Québec et le reste du Canada.
Un vrai fédéraliste
Beaucoup d'indépendantistes, dont Jean-François Lisée, n'ont jamais pardonné à M. Bourassa de n'avoir pas saisi l'occasion, après l'échec de Meech, d'organiser un référendum sur l'accession à la souveraineté. Pareille initiative aurait été contre nature pour M. Bourassa. D'abord, il était réellement fédéraliste. Ensuite, à l'instar de beaucoup de Québécois, M. Bourassa se méfiait de ses premières réactions et préférait toujours prendre du recul sur les événements afin d'éviter les conclusions hâtives qui entraînent irrémédiablement de graves conséquences pour l'avenir.
Cette prudence, personne ne saurait la lui reprocher aujourd'hui. Car, homme de modération et de réflexion, il appréhendait les conséquences à long terme des décisions.
Dix ans après son départ, nous devons rendre hommage à M. Bourassa pour sa remarquable contribution à l'édification du Québec moderne. De plus jeune premier ministre de notre histoire à pionnier de la Baie-James, M. Bourassa a offert une contribution qui gagne à être mieux connue. Elle sera sans doute de plus en plus appréciée à sa juste valeur à l'avenir. Au-delà des mythes subsiste un héritage considérable et une source de fierté.
Lise Bacon
_ Sénatrice et ancienne vice-première ministre du Québec, membre de trois gouvernements sous la direction de Robert Bourassa (de 1973 à 1976 et de 1985 à 1994)


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