Loin de s'atténuer, l'opposition s'intensifie autour du projet de changement de désignation de l'artère du Parc-De Bleury en avenue Robert-Bourassa. Et pour cause, puisque rien ne justifie ce choix de l'administration Tremblay, fait sans aucune consultation.
Robert Bourassa a dirigé le Québec pendant 14 ans, et même si on a combattu ses politiques, on peut comprendre que les autorités veuillent lui rendre hommage à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort. Mais pour ce faire, il faut trouver une autre rue, un autre ouvrage et, de préférence, quelque chose de neuf ou dont l'actuel dénomination n'a aucune signification. Or tant l'avenue du Parc que son prolongement sud, la rue De Bleury, nous rappellent des chapitres de l'histoire montréalaise. L'avenue du Parc à cause de ce merveilleux mont Royal, aménagé au XIXe siècle par l'architecte-paysagiste Frederick Law Olmsted, qu'elle longe à sa limite est, et la rue De Bleury parce qu'elle a été nommée en l'honneur de cette famille d'origine française venue s'établir en Nouvelle-France.
Toutes deux ont un passé encore bien vivant que le changement de désignation est susceptible de faire oublier. Comme d'autres villes nord-américaines, notamment New York, Montréal a sa bien-nommée Park Avenue (traduite littéralement), nom qui colle depuis des décennies à la désignation des commerces qui longent cette artère. Quant à la rue De Bleury, elle a vu naître et vivre plusieurs institutions, poètes et événements aussi bien culturels qu'économiques, comme le rappelait récemment dans nos pages l'historien Gilles Laporte. Les théâtres du Gesù et Impérial, la Mercantile Printing Company et le Montreal Star y avaient ou y ont encore pignon sur rue. Depuis 14 ans, c'est aussi sur cette rue du quartier de la fourrure et de l'imprimerie que loge Le Devoir, au dernier étage d'une ancienne manufacture qui a conservé tout son cachet.
Par ailleurs, l'administration Tremblay fait preuve d'improvisation, voire d'incohérence en choisissant de fondre désormais deux rues différentes qui, tout en étant dans le prolongement l'une de l'autre, n'ont pas la même histoire. Bien sûr, les transformations récentes apportées à l'échangeur des Pins servent de prétexte, mais pourquoi conserver les noms de place Jean-Paul-Riopelle et de rue Saint-Pierre pour désigner la même artère, encore plus au sud ? On aura compris que cette question ne se pose pas, alors pourquoi faire disparaître la rue De Bleury si c'est l'avenue du Parc qui est visée ?
Montréal doit cesser de revoir l'histoire de ses rues et de ses places publiques au gré des modes et des événements contemporains. Robert Bourassa mérite peut-être qu'on se souvienne de lui dans 300 ans, qui sait, mais pour ce faire, il faut choisir un ouvrage récent, par exemple le futur pont de l'autoroute 25 ou le campus Outremont de l'Université de Montréal. Et, de grâce, qu'on laisse les milliers de résidants et de commerçants de l'avenue du Parc et de la rue De Bleury vivre en paix avec l'histoire de leur rue.
j-rsansfacon@ledevoir.com
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