On aurait pu croire que la mésaventure de Jacques Parizeau, le soir du 30 octobre 1995, aurait servi de leçon à tous ceux qui seraient tentés de s'écarter de la rectitude politique en matière d'ethnicité.
Même s'il avait simplement constaté une évidence en disant que les «votes ethniques» avaient été monopolisés par le camp du NON, sa funeste distinction entre «nous» et «eux» hante encore les esprits.
D'où la surprise de voir l'administration Tremblay s'aventurer à son tour sur ce terrain glissant en voulant défendre l'idée de débaptiser l'avenue du Parc afin d'honorer la mémoire de Robert Bourassa.
En guerre depuis des semaines contre ce projet, The Gazette a consacré sa manchette de jeudi à un courriel que le directeur des communications à l'hôtel de ville, Richard Thériault, avait adressé au nom du maire Tremblay à tous ceux qui avaient signifié leur opposition au changement de nom.
L'article faisait état des réactions très négatives de résidants du secteur, qui se disaient choqués et insultés par l'utilisation de l'expression «néo-Montréalais» et par le ton général du courriel, celui-ci laissant entendre que l'opposition des «nouveaux arrivants», dont la contribution à la vie montréalaise est par ailleurs appréciée, pourrait s'expliquer par une méconnaissance des réalisations de M. Bourassa.
Comme cela était prévisible, The Gazette a enchaîné hier avec un éditorial indigné qui dénonçait cette «condescendance à couper le souffle». Cela revenait à dire aux «néo-Montréalais»: merci pour votre délicieuse cuisine, mais les «vrais Montréalais» vont décider des choses sérieuses.
Un porte-parole de l'hôtel de ville, Bernard Larin, a expliqué que ce courriel avait été envoyé à tous les Montréalais qui avaient manifesté leur opposition, sans égard à leur date d'arrivée dans la métropole. De «nombreuses personnes» qui ont écrit à l'hôtel de ville se sont elles-mêmes qualifiées de «nouveaux arrivants». Ce serait même la raison pour laquelle cette expression a été utilisée dans le courriel.
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Dans son discours de 1995, M. Parizeau avait omis de dire que 40 % des francophones avaient voté NON, mais cela ne changeait rien au fait que la quasi-totalité des allophones l'avaient fait.
De nombreux francophones du Plateau s'opposent aussi à ce que l'avenue du Parc change de nom. Il n'en demeure pas moins que l'opposition la plus vigoureuse, à laquelle The Gazette s'est fait un devoir de faire écho, est venue des communautés culturelles qui résident dans le secteur.
La personne ou les politiques de Robert Bourassa ne sont pas en cause. Même si les tests linguistiques de la loi 22 et la loi 178 sur la langue d'affichage n'ont pas laissé un très bon souvenir, personne n'a soulevé d'objections de cet ordre. Ce n'est pas nécessairement que les membres des communautés culturelles ne connaissent pas l'histoire politique québécoise, comme on semble le croire à l'hôtel de ville, mais celle-ci ne constitue pas une référence identitaire.
On ne peut reprocher à personne d'être attaché à son quartier, et tout le monde reconnaît que la présence des communautés culturelles a donné une puissante personnalité à l'avenue du Parc. Bien des francophones aiment aussi la fréquenter, mais ils ne s'y sentent généralement ni plus ni moins chez eux que dans un autre quartier. Ils ne s'y réfèrent pas comme collectivité.
Il était certainement inapproprié de parler de néo-Montréalais dans le cas de communautés qui vivent dans la métropole depuis quatre ou cinq générations. Il ne viendrait à l'esprit de personne de qualifier de néo-Montréalais un francophone qui vient tout juste de s'installer dans la métropole, mais il demeure que même après plusieurs générations, certaines communautés culturelles sont nettement moins intégrées que d'autres.
On peut forcer quelqu'un à respecter une loi, mais on ne peut pas imposer un sentiment d'appartenance. Malgré les progrès réalisés au cours des dernières décennies, il faut reconnaître que la force d'attraction du Québec francophone demeure très relative.
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À certains égards, l'attitude des communautés culturelles dans le débat sur l'avenue du Parc rappelle l'épisode des fusions-défusions. On pouvait légitimement plaider que de plus petites municipalités permettaient d'assurer de meilleurs services à moindre coût, mais les anglophones de l'ouest de l'île avaient également le sentiment d'être dépossédés de leur cadre de vie.
Dans un environnement où la langue et la culture de la majorité sont différentes, il est parfaitement normal que les communautés minoritaires cherchent à conserver certains repères. Débaptiser l'avenue du Parc donnerait aux membres des communautés culturelles l'impression qu'on leur enlève une partie de leur âme.
Personnellement, je n'aurais aucune objection à ce que l'avenue du Parc devienne l'avenue Robert-Bourassa, même si le boulevard Saint-Joseph correspondrait bien mieux aux origines et à la personnalité de l'ancien premier ministre.
La majorité francophone n'en tirerait cependant aucun gain qui justifierait d'indisposer les communautés culturelles. Effacer le nom de lord Dorchester ne permettait pas seulement d'honorer comme il convenait la mémoire de René Lévesque. Cela symbolisait aussi la reconquête du centre-ville par les francophones, mais il n'y a rien de plus français qu'«avenue du Parc».
Bien avant que l'expression ne devienne à la mode, Robert Bourassa a pratiqué assidûment ce qu'on appelle aujourd'hui l'«accommodement raisonnable». Dans ses politiques linguistiques, il l'a recherché de façon presque caricaturale avec ses distinctions entre l'intérieur et l'extérieur des commerces. Le concept de «nette prédominance» est même la quintessence de l'accommodement raisonnable.
Certains soupçonnent les anciens députés et ministres libéraux qui ont trouvé refuge à l'hôtel de ville de vouloir imposer coûte que coûte le nom de celui à qui ils doivent leur carrière politique. Eux qui connaissaient bien M. Bourassa doivent pourtant savoir qu'il aurait été le premier à plaider que la conservation du nom actuel de l'avenue du Parc constitue un accommodement parfaitement raisonnable.
mdavid@ledevoir.com
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