Les titres des géants de l’Internet, Google, Facebook et Apple, ont chuté cette semaine en Bourse après que le Wall Street Journal eut révélé que trois entités différentes de l’Administration américaine se pencheront bientôt sur leurs pratiques anticoncurrentielles. De là à conclure qu’elles seront reconnues coupables comme ce fut le cas en Europe, nous n’en sommes pas là, mais le sujet est de plus en plus souvent évoqué sur la scène publique.
Il y a plusieurs années que les autorités américaines ne se sont pas attaquées à de grandes entreprises soupçonnées d’utiliser leur situation de quasi-monopole pour bloquer toute concurrence. La dernière tentative visait Microsoft, dans les années 1990, et elle a favorisé la diversité dans l’usage des fureteurs autres qu’Explorer que l’entreprise a vainement tenté de présenter comme partie intégrante de son système d’exploitation.
Le nombre d’enquêtes et de procès d’envergure découlant des lois antitrust a beaucoup diminué au fil des ans. D’une quinzaine par année entre 1970 et 1999, il serait passé à trois seulement entre 2000 et 2014, selon le New York Times.
Il faut dire que la croissance des entreprises numériques fut très rapide et le consensus politique, de moins en moins possible au pays de l’oncle Sam. Et puisque l’élément déclencheur d’une plainte dans le secteur numérique est rarement la hausse des prix, ce qui était le cas par le passé, il faut trouver d’autres arguments d’attaque.
Ces arguments, les autorités européennes, moins complices des multinationales américaines, les ont explicités avec succès devant les tribunaux. C’est ainsi que Google (Alphabet) a pu être condamné à trois reprises à payer un total de 9,3 milliards d’euros pour « abus de position dominante ». On lui a reproché, entre autres, d’exiger l’exclusivité de ses clients annonceurs, d’imposer son propre comparateur de prix et ses propres applications comme condition d’installation d’Android sur les cellulaires neufs.
Depuis l’an dernier, l’Union européenne a ajouté de nouvelles règles en matière de protection des données personnelles et le même Google a déjà été condamné à une amende de 50 millions d’euros pour violation de la vie privée en France.
Évidemment, la multinationale en a appelé de toutes ces décisions en plus d’embaucher une armée de lobbyistes pour l’avenir.
Sur le plan plus strictement économique, on reproche aussi à ces sociétés de concentrer entre leurs mains l’essentiel de la recherche, tant dans le secteur privé que dans les universités, avec pour conséquence de restreindre les nouveaux investissements.
Aux États-Unis, la sénatrice Elizabeth Warren, candidate aux primaires du Parti démocrate, a fait du démantèlement des géants du Web un de ses chevaux de bataille pour la campagne présidentielle qui s’amorce. Une solution qu’approuve l’un des cofondateurs de Facebook, Chris Hughes, pour qui le réseau social a trahi ses 2,7 milliards d’utilisateurs.
Pour Mme Warren et pour bien des démocrates, le moment est venu de décréter que les plateformes Internet sont des services d’utilité publique au même titre que le téléphone, l’électricité et le gaz.
Démanteler Google ne veut pas dire créer dix petits Google concurrents, mais forcer la société à dissocier ses outils de recherche des services parallèles, par exemple. De même, on pourrait interdire l’acquisition de services concurrents ou même complémentaires pour éviter la concentration des données personnelles et des ventes publicitaires.
Selon une compilation effectuée pas l’agence Bloomberg, les quatre grands du numérique qu’on présente sous l’acronyme GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont conclu rien de moins que 431 acquisitions d’entreprise depuis dix ans, étendant leurs tentacules dans des secteurs très variés, toujours plus près de la vie privée des gens.
Au Canada, les GAFA ont été mis en cause par le commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, qui demande plus de pouvoir après avoir constaté que l’autoréglementation était un échec. Mais comme toujours, Ottawa fait le beau devant ces titans, à qui il n’ose même pas imposer les mêmes règles fiscales et de protection de la vie privée qu’aux sociétés canadiennes.
Quant au Bureau de la concurrence qui prétend lutter contre « l’abus de position dominante » sur le marché, on se demande aujourd’hui plus que jamais s’il a même déjà songé à s’attaquer à des cas plus sérieux que les petits cartels de stations-service locales.
Les élections fédérales sont à nos portes. Seule la pression populaire incitera les politiciens à agir.