Nomination de Wilfrid-Guy Licari à la Délégation générale du Québec à Paris

La nomination à Paris d'un ami de Charest est contestée

Nomination de Wilfrid-Guy Licari à la Délégation générale du Québec à Paris

L'Association des anciens délégués du Québec prépare une lettre de protestation

Québec -- La nomination de l'ambassadeur du Canada à Tunis, Wilfrid-Guy Licari, au poste de délégué général du Québec à Paris est contestée non seulement par l'opposition péquiste, mais aussi par les anciens détenteurs du titre le plus prestigieux de la diplomatie québécoise.
Actuellement en poste à Tunis, M. Licari, qui a 58 ans et dont la nomination a été entérinée par le conseil des ministres hier, est un ami personnel de Jean Charest. Ils se sont connus au Maroc en 1987, au moment des Jeux de la Francophonie à Casablanca, selon ce qu'a rapporté hier le porte-parole du premier ministre, Hugo D'Amours. M. Licari y était ambassadeur et M. Charest détenait alors le portefeuille de ministre d'État à la Jeunesse dans le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. Plus récemment, à l'été 2003, lorsque M. Licari était ambassadeur du Canada au Vatican, Jean Charest, qui venait d'être élu, avait pu obtenir une audience avec le pape Jean-Paul II, notamment grâce au travail de M. Licari.
Comme Le Devoir le révélait il y a un mois, M. Licari, à l'emploi du ministère des Affaires étrangères du Canada depuis 1968, succédera à Clément Duhaime -- qui était en poste depuis 2000 rue Pergolèse --, non seulement comme délégué général du Québec mais aussi comme «sherpa» du premier ministre auprès de la Francophonie. M. Duhaime a été nommé au début du mois administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ce qui en fait une sorte de «sous-ministre» de l'organisation.
Chose inusitée, l'Association des anciens délégués généraux du Québec à Paris prépare une lettre ouverte pour protester contre cette nomination. «Ce n'est pas une question de compétence et encore moins une question personnelle», dit Michel Lucier, qui préside cette association. Selon M. Lucier, la nomination de M. Licari envoie un mauvais message : qu'il n'y a personne dans le «bassin québécois» qui puisse occuper ce poste, explique celui qui a été délégué de 1997 à 2000, sous Lucien Bouchard.
On se demande de plus comment un personnage qui a appliqué «le petit catéchisme» de lutte contre la diplomatie québécoise pendant des années peut soudainement se mettre à défendre cette même diplomatie. Il faut savoir que la délégation du Québec à Paris, par son statut de «quasi-ambassade» acquis dans les années soixante, est une sorte de vaisseau amiral des relations internationales du Québec. Or, avec la nomination d'un ambassadeur canadien, on craint, dit M. Lucier, que «la rue Pergolèse ne devienne une annexe de la rue de Montaigne» (rue où se trouve l'ambassade du Canada). Selon nos informations, d'autres anciens délégués, même certains nommés par les libéraux, et qui ont refusé de nous parler, trouvent tout autant contestable la nomination de M. Licari.
«On ne peut baigner 30 ans dans la paranoïa fédérale pour ensuite mener le combat quotidien qui consiste à assurer la présence du Québec en France», dit crûment l'ancienne ministre des Relations internationales du Québec, Louise Beaudoin, aujourd'hui professeure associée au département d'histoire de l'UQAM. Mme Beaudoin, qui a elle aussi été déléguée du Québec à Paris en 1984 et 1985, précise que son opposition n'a rien de personnel puisque, en tant qu'ambassadeur, M. Licari n'était pas reconnu comme un de ceux qui, à l'endroit du Québec, se comportait comme un «faucon».
L'actuel ministre des Relations internationales, Monique Gagnon-Tremblay, soulignait hier que la nomination d'un ancien ambassadeur du Canada comme délégué général du Québec à Paris n'est pas un précédent puisque Jean Chapdelaine, qui occupa ce poste de 1965 à 1976, avait auparavant été ambassadeur du Canada en Suède, au Brésil et en Égypte. «Mais on n'est plus au temps de Jean Chapdeleine !», lance Louise Beaudoin. À l'époque, «on construisait la diplomatie québécoise». Aujourd'hui, note-t-elle, le Québec a une diplomatie professionnelle, expérimentée. Mme Gagnon-Tremblay admet que plusieurs personnes issues du réseau québécois des Relations internationales auraient pu accéder à ce poste, «mais ce nom-là [M. Licari] a été retenu parce que c'est quelqu'un qui connaît bien M. Charest», explique-t-elle. Elle souligne que tous les premiers ministres du Québec depuis les années 60 ont tenu à confier ce poste clé à une personne en qui ils avaient une parfaite confiance.
Mais, selon le porte-parole péquiste en matière de relations internationales, Daniel Turp, la nomination de M. Licari illustre une «contradiction frappante» de Jean Charest. «Il plaide pour l'extension de la doctrine Gérin-Lajoie mais il nomme à Paris quelqu'un qui émane de l'appareil qui la combat depuis qu'elle existe !»
M. Licari, mathématicien et philosophe, a aussi été affecté à Nairobi, à Alger, à Paris et à Rome et a représenté le Canada comme ambassadeur au Maroc, au Sénégal et au Vatican.
«Lors de ma dernière visite à Paris, a relaté Mme Gagnon-Tremblay, j'ai rencontré M. Abdou Diouf [ancien président du Sénégal maintenant secrétaire général de l'OIF], qui le connaît très bien parce que M. Licari a déjà été ambassadeur au Sénégal.»
De 1998 à 2000, M. Licari a été «en détachement» auprès de Secor, une firme dirigée par Marcel Côté et reconnue comme étant proche des libéraux de Jean Charest. Présent hier à l'assermentation du nouveau député libéral d'Outremont, Raymond Bachand (autre ancien de Secor), M. Côté a dit avoir un bon souvenir de M. Licari : «Il était à trois bureaux du mien, se souvient M. Côté. Je le taquinais parce qu'il était toujours en voyage !» Mais le diplomate travaillait sur des dossiers internationaux, «surtout en Europe», alors que Secor venait d'ouvrir son bureau de Paris. «Il avait travaillé étroitement auprès de deux de nos clients canadiens, la division transport de Bombardier et un autre que je ne nomme pas», a dit M. Côté.
La ministre Gagnon-Tremblay ignorait, hier, si M. Licari avait démissionné de la fonction publique fédérale ou s'il prendrait sa retraite. Quant aux rumeurs selon lesquelles elle-même était intéressée par le poste, Mme Gagnon-Tremblay les trouve étranges. «Je ne sais pas d'où ça vient. Je n'ai jamais évoqué ça. Ce n'est pas un poste que je souhaiterais pour une fin de carrière, c'est trop actif», a-t-elle dit candidement.


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