Bouchard prend le parti de Licari

Nomination de Wilfrid-Guy Licari à la Délégation générale du Québec à Paris

Dans une rare sortie publique, l'ex-premier ministre péquiste considère qu'il s'agit d'une nomination parfaitement justifiable
Québec - L'ancien premier ministre Lucien Bouchard, sortant hier de sa réserve habituelle, a défendu avec ferveur, lors d'un entretien au Devoir, la nomination de Wilfrid-Guy Licari au poste de délégué général du Québec à Paris. Quant à ce dernier, bien qu'il soit encore ambassadeur du Canada à Tunis jusqu'en février, il a contredit hier les propos du ministre Pierre Pettigrew, qui, au mois d'août, avait proclamé «périmée» la doctrine Gérin-Lajoie, qui fonde la personnalité internationale du Québec.
Comme nous le rapportions hier, l'annonce de la nomination à Paris, par Jean Charest, de M. Licari avait provoqué des critiques de la part, non seulement du camp péquiste, mais aussi d'anciens délégués généraux du Québec, qui préparaient mercredi une lettre ouverte pour protester contre cette nomination. L'ancienne ministre des Relations internationales de Lucien Bouchard, Louise Beaudoin, a d'ailleurs publié dans nos pages, hier, un texte dans lequel elle affirmait que Jean Charest était «en voie de faire de la diplomatie québécoise une succursale de l'appareil fédéral».
Défense passionnée
Lucien Bouchard, se disant «étonné de ces critiques acerbes», s'est lancé hier dans une défense passionnée du personnage Licari et du choix du premier ministre Charest. «En tout respect pour ce qu'en pense Louise [Beaudoin], moi, je crois que c'est une bonne nomination et parfaitement justifiable.»
M. Bouchard décrit M. Licari comme «un Québécois francophone qui nous a fait honneur partout dans le monde pendant une trentaine d'années, qui est un des meilleurs diplomates de la machine fédérale, qui a toujours respecté nos institutions et qui met tout ça au service du Québec. Pourquoi s'énerve-t-on comme ça? Je me le demande!», a-t-il dit.
Selon M. Bouchard, «contrairement à d'autres qu'on ne nommera pas, [M. Licari] a toujours entretenu des rapports de coopération, de courtoisie et de respect avec ses vis-à-vis du gouvernement du Québec».
L'ancien premier ministre, qui a été ambassadeur du Canada à Paris de 1985 à 1988, affirme avoir pu «constater personnellement» l'ouverture au Québec de M. Licari lors de la préparation du sommet francophone de Québec en 1987. À cette époque, Wilfrid Licari était ambassadeur du Canada au Maroc. M. Bouchard se rappelle notamment «l'excellent travail» effectué par M. Licari pour préparer une réunion dans les pays arabes en préparation au sommet de Québec.
Aussi, en février 2001, alors que M. Licari était ambassadeur au Vatican, Lucien Bouchard avait d'ailleurs pu rencontrer le pape dans un de ses derniers déplacements en tant que premier ministre. «Contrairement à d'autres ambassadeurs canadiens qui respectaient à la lettre l'ordre de mission fédérale de ne pas laisser des chefs de gouvernement québécois rencontrer seuls des chefs d'État étranger», M. Licari avait laissé M. Bouchard seul avec le souverain pontife.
M. Bouchard rejette tous les arguments des pourfendeurs de la nomination de M. Licari. D'abord, «être formé à Ottawa, ce n'est pas nécessairement un défaut», car on y reçoit un héritage diplomatique riche d'un pays souverain, fait valoir M. Bouchard. «Est-ce que ça voudrait dire que tous les fonctionnaires francophones fédéraux qui viennent à Québec doivent être exclus de notre service public?», demande-t-il, en rappelant que plusieurs sous-ministres québécois, notamment aux Finances, ont été formés à Ottawa. M. Bouchard se rappelle avoir travaillé à Paris «avec des diplomates, des fonctionnaires fédéraux qui étaient des Québécois et qui feraient de magnifiques délégués généraux partout». Or, selon la «nouvelle doctrine inventée pour le cas Licari», ils en seraient évincés.
Le fait que M. Licari vienne «de l'extérieur du bassin québécois» des Relations internationales doit être considéré comme «un enrichissement», affirme M. Bouchard, surtout que M. Licari a un réseau unique dans la Francophonie. Une telle nomination exogène, à l'occasion, peut apporter de nouvelles idées, de nouveaux réseaux, fait-il valoir.
L'avantage des amis
«Pourquoi un tel tollé?, se demande M. Bouchard. Licari ne mérite pas ça.» Cette affaire lui rappelle ce qui s'est produit lors de sa propre nomination, à Paris, dans les années 80: «Tous les journaux m'étaient tombés dessus [...] me décrivant comme le "buddy" de Mulroney. Ils ont dû tous s'excuser après!»
Ainsi, ceux qui disent que la nomination de M. Licari est mauvaise parce qu'il est un «ami de M. Charest» sont malavisés, poursuit M. Bouchard. «Ce n'est pas un défaut, d'être l'ami d'un premier ministre. Malheureusement, un premier ministre, ça peut avoir des amis qui sont très compétents», lance-t-il avec ironie. D'autant plus qu'un ami du premier ministre a avec ce dernier un «lien de confiance privilégié». Ici encore, M. Bouchard fait un parallèle avec son expérience, rappelant qu'à son arrivée à Paris, l'amitié de M. Mulroney était son «unique atout». «J'étais un avocat de Chicoutimi. Un "petit avocat rural", comme on a pris soin de me le rappeler à l'époque. Or les Français, lorsqu'ils m'ont vu arriver, se sont dit: il a sûrement la confiance du premier ministre canadien.» Grâce à cela, M. Bouchard raconte qu'il avait ses «entrées partout parce qu'ils savaient qu'en me parlant, ils parlaient au premier ministre».
Jean Charest «impeccable»
En somme, M. Bouchard considère que «Jean Charest a été impeccable dans ce dossier». De plus, le premier ministre libéral «a eu un respect exemplaire vis-à-vis de l'institution qu'est la délégation du Québec à Paris, parce qu'il a maintenu en poste pendant plus de deux ans celui que j'y avais nommé: Clément Duhaime. Qui, à ce que je sache, n'est pas d'allégeance fédéraliste».
D'ailleurs, joint hier, M. Duhaime s'est montré étonné du tollé de cette petite «affaire Licari» et a tenu à dire que «la nomination à Paris d'un véritable professionnel de la diplomatie est certainement préférable à celle d'un ancien politicien qui n'y connaît rien», comme cela est souvent arrivé dans le passé.
Le principal intéressé
Quant à Wilfrid Licari, il s'est dit «désappointé», hier, de la réaction de ses prédécesseurs. «Mais de toute façon, en démocratie, il n'y a jamais d'unanimité», a-t-il dit, philosophe, avant d'ajouter: «Les gens qui contestent, je veux tout de suite les associer à mon mandat. Dans ma liste de ceux que je vais voir lorsque je ferai ma tournée préparatoire, j'ai inscrit les anciens délégués du Québec en priorité car, pour la plupart, je les connais, je les estime, et j'ai apprécié ce qu'ils ont fait. Je m'inscrirai en continuation de leur oeuvre.»
À propos de la doctrine Gérin-Lajoie, M. Licari affirme qu'elle n'est nullement périmée comme l'a soutenu le ministre Pierre Pettigrew en août dernier: «Elle circule dans mes veines», lance-t-il poétiquement. Selon lui, c'est un «principe de base qui reste très valable pour le Québec» mais, à son sens, «il y a encore beaucoup à faire pour marquer encore plus la présence du Québec sur le plan international».
M. Licari raconte que certains de ses collègues ambassadeurs «se posent des questions» à propos de sa nomination à la plus haute fonction diplomatique québécoise, à Paris. Mais ceux-là comprennent aussi qu'il «cheminait dans cette direction» depuis longtemps: «Ils l'ont vu dans plusieurs dossiers, ou circonstances, où lorsque le Québec était sur un plateau de balance, j'appuyais sur le plateau qui pouvait donner raison à l'intérêt spécifique du Québec ou à l'objectif du Québec.»
Né à Tunis, M. Licari est arrivé au Québec à l'âge de 11 ans en 1958. À 21 ans, il commençait sa carrière fédérale. Lorsqu'il entrera en fonction à la délégation générale de Paris fin février, il aura pris sa retraite du ministère des Affaires étrangères du Canada, après 37 ans de services.


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