L'ancien et le nouveau

Nomination de Wilfrid-Guy Licari à la Délégation générale du Québec à Paris

Commençons par l'ancien, puisque c'est lui qui éclaire généralement le nouveau.
Le Québec a perdu la semaine dernière l'un des meilleurs délégués à Paris de sa courte histoire diplomatique. Clément Duhaime a quitté son poste pour devenir le numéro deux de la Francophonie. D'ailleurs, ce n'est pas moi qui le dis. C'est presque tout le personnel de la délégation générale du Québec à Paris. Lors de ses adieux, quelques-uns ont discrètement essuyé une larme.
Jamais les Québécois n'ont eu à avoir honte du travail de ce diplomate discret. Sa longévité témoigne d'ailleurs de ce succès. Nommé par l'ancien premier ministre Lucien Bouchard (lui-même ancien diplomate et conscient des exigences de la tâche), Clément Duhaime est demeuré à son poste sous Bernard Landry et même sous Jean Charest. Ce dernier ne s'y est pas trompé en conservant à Paris un homme dont les sympathies souverainistes étaient pourtant connues.
À sa table défilaient les ministres français, mais aussi des hommes d'affaires, des présidents de sociétés d'État, des artistes et des intellectuels. Si la revendication de la diversité culturelle a progressé aussi vite en France, à la fois dans les milieux politiques et culturels, c'est notamment grâce à lui. Cela tient bien sûr à l'habileté de cet homme courtois et chaleureux, mais aussi à sa passion du Québec.
Après dix ou quinze ans à l'étranger, combien de diplomates ne savent même plus situer la Place des Arts sur une carte. J'en ai connu qui pouvaient à peine nommer des artistes contemporains de Gilles Vigneault. On imagine que la diplomatie est d'abord affaire de ruse. Or elle demande surtout beaucoup de jugement. En s'adressant à Clément Duhaime, les responsables français savaient qu'ils parlaient à quelqu'un qui avait une compréhension hors du commun des enjeux québécois.
La seule ombre à son tableau demeurera l'échec du projet de centre culturel québécois à Paris. Cet échec tient en partie à une certaine inconscience québécoise quant à l'importance de Paris pour notre rayonnement culturel. Importance qui n'a pourtant pas échappé aux Mexicains, aux Belges, aux Suisses, aux Polonais, aux Catalans et à la vingtaine d'autres peuples qui ont tous un centre culturel à Paris.
S'il fallait résumer les qualités de l'ancien délégué, il suffirait de dire qu'il n'a jamais été en France le représentant d'une province.
La nomination de son successeur, l'actuel ambassadeur canadien à Tunis, Wilfrid-Guy Licari, est beaucoup plus contestée que celle de Clément Duhaime il y a cinq ans. Plusieurs anciens délégués considèrent qu'un diplomate qui a servi le gouvernement fédéral pendant 37 ans ne peut pas représenter le Québec en France.
Remettons les choses en perspective. Malgré une longue carrière, Wilfrid-Guy Licari n'a été ambassadeur ni à Washington, ni à Paris. Pas plus qu'à Tokyo, Bruxelles, Tel-Aviv, Londres ou Berlin. En poste à Tunis, à Dakar et au Saint-Siège, Wilfrid-Guy Licari n'est pas le Raymond Chrétien de la diplomatie canadienne et n'a pas été un acteur majeur de ces dernières années.
On peut donc imaginer qu'il ait pu échapper à l'application du «petit catéchisme» de l'ancien ministre Axworthy destiné à combattre l'influence québécoise à l'étranger. On veut croire que, contrairement à d'autres, il n'a pas forcément prononcé de discours méprisants à l'égard des représentants légitimes du Québec. La diplomatie canadienne est une grande institution composée de fonctionnaires qui peuvent aussi bien servir un gouvernement respectueux du Québec, comme celui de Brian Mulroney, que revanchard, comme celui de Jean Chrétien. «Souvent, dans les postes moins sensibles que Paris, les relations entre la délégation du Québec et l'ambassade du Canada sont caractérisées par l'amitié et la coopération», écrivait le journaliste Graham Fraser dans la préface d'un livre sur la politique internationale du Québec. Cela ne veut pas dire que Wilfrid-Guy Licari n'a pas contribué à marginaliser le Québec, comme certains de ses confrères, mais ses détracteurs ne l'ont pas démontré.
Par ailleurs, plusieurs arguments viennent soutenir sa nomination.
D'abord, Wilfrid-Guy Licari est un diplomate professionnel et non pas un ancien ministre en quête d'une retraite dorée. Les ex-ministres ont parfois tendance à s'imaginer que Paris est une sinécure. Or c'est le poste le plus exigeant de la diplomatie québécoise. Les délégués y évoluent dans un milieu où rien n'est donné d'avance. La rivalité, presque inévitable, avec l'ambassade canadienne rend la tâche encore plus délicate. Les journées commencent à 8h du matin, comportent des réceptions presque tous les soirs et se terminent vers minuit au téléphone avec Québec.
On dit aussi que Wilfrid-Guy Licari a l'oreille du premier ministre. Ce qui peut passer pour du copinage est un atout de taille. Un délégué général ne peut avoir ses entrées en France si ses interlocuteurs ne sont pas convaincus de parler à un représentant du premier ministre. Robert Bourassa n'a pas toujours eu cette préoccupation dans ses nominations. À moins de trois ans du XIIe Sommet de la Francophonie qui aura lieu à Québec, le choix d'un homme qui connaît bien l'Afrique et le Moyen-Orient semble judicieux. La même année aura lieu à Québec le 49e Congrès eucharistique international. Or Licari a été ambassadeur au Vatican. On dit enfin que Wilfrid-Guy Licari est sensible aux questions culturelles. Dans aucune autre capitale du monde, la présence culturelle du Québec n'est aussi essentielle qu'à Paris. Il serait temps que la délégation assume toutes ses responsabilités à cet égard.
Si, contrairement à son ancien patron le ministre Pierre Pettigrew, Wilfrid-Guy Licari partage la «doctrine Gérin-Lajoie», selon laquelle le Québec doit agir à l'étranger dans tous ses domaines de compétences (il dit même qu'elle circule dans ses «veines»!), il devra faire en sorte que la délégation québécoise rayonne encore plus que par le passé. Les chaussures seront difficiles à chausser.


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