Dénonciation de la nomination de Wilfrid-Guy Licari

Une évaluation fausse et réductrice des relations avec Paris

Benoît Bouchard, Ambassadeur en France de 1993 à 1996

Nomination de Wilfrid-Guy Licari à la Délégation générale du Québec à Paris

La «partisanerie» est, semble-t-il, un élément indispensable à toute formation politique. Pendant mes années comme membre du gouvernement du Canada, je l'ai acceptée comme un mal nécessaire. J'ai «réalisé» cependant que certaines personnes sont incapables d'en faire abstraction, au point de perdre le sens de la mesure et de devenir incapables de toute objectivité dans l'évaluation qu'elles font des décisions prises par des adversaires politiques.
Dans sa dernière missive publiée le 22 décembre dans Le Devoir sur la nomination de Wilfrid-Guy Licari à la délégation générale du Québec à Paris, Louise Beaudoin confirme jusqu'à quel point cette «partisanerie» peut empêcher tout jugement éclairé sur une nomination qui, somme toute, est parfaitement justifiée.
Depuis toutes ces années qu'elle milite pour l'indépendance du Québec, sa pensée et son action politique autant au Québec qu'à l'étranger n'ont jamais fait dans les nuances et j'ai toujours respecté cette transparence. Mais cette fois-ci, son analyse non seulement tombe dans le manichéisme, mais propose une évaluation fausse et réductrice de ces fameuses relations triangulaires entre Paris, Québec et Ottawa.
Des relations de qualité
Au départ M. Licari est un diplomate de carrière qui est plus que «courtois». Il est un Québécois de choix et sa longue carrière à l'étranger, son expérience et surtout son approche nuancée des relations internationales garantissent un passage en douceur de la diplomatie canadienne à la direction de la délégation québécoise. Si la relation amicale qu'il entretient avec le premier ministre Jean Charest était un handicap, tous ceux que Mme Beaudoin a fait nommer à Paris ou ailleurs quand elle avait l'autorité pour le faire n'auraient pas été davantage qualifiés.
Je suis particulièrement incrédule quand Louise Beaudoin affirme que «tous les précédents ambassadeurs ont eu pour mandat de combattre systématiquement quelque action internationale québécoise que ce soit». Tout observateur bien informé sait que le gouvernement Mulroney, à qui j'ai appartenu, a multiplié les collaborations avec le gouvernement du Québec, particulièrement en lui assurant une place spécifique parmi les pays francophones. L'ambassadeur Lucien Bouchard a été particulièrement actif sur ce dossier.
Pendant mon séjour à Paris, j'ai moi-même provoqué des gestes de collaboration avec la délégation du Québec. Nos différents services se sont souvent associés dans des actions communes, en tourisme, en promotion économique, en échanges culturels, etc. J'ai toujours considéré pertinent que les autorités françaises rencontrent les représentants politiques québécois, autant libéraux que péquistes.
J'étais ambassadeur en France lors du référendum de 1995. J'ai fait tous les efforts nécessaires pour éviter les disputes inutiles parce que j'ai toujours été très embarrassé par ces chicanes québéco-québécoises à Paris. Grâce au professionnalisme de Claude Roquet, délégué du Québec, nous avons pu traverser ces longs mois sans qu'il y ait des confrontations. Nous avons même présenté en même temps à un auditoire parisien, avec tous les détails nécessaires, les deux options sur lesquelles les Québécois devaient se prononcer.
À mon départ de Paris en 1996, j'ai apprécié le témoignage de plusieurs membres de la délégation québécoise sur la qualité des relations qu'entretenaient à l'époque l'ambassade et la délégation.
Combat idéologique
Évidemment je peux affirmer que jamais je n'ai reçu, sous quelque forme que ce soit, de directive émanant du bureau du premier ministre Jean Chrétien ou du ministre des Affaires étrangères qui aurait exigé de ma part toute action visant à limiter le rôle du Québec en France. Si certains officiers du ministère ont exprimé à l'occasion des inquiétudes à ce sujet, j'ai toujours considéré que j'avais moi seul la responsabilité d'assurer d'abord une relation aussi harmonieuse que possible avec nos compatriotes de la rue Pergolese.
Je suis également convaincu que les ex-ambassadeurs Claude Charland, Lucien Bouchard et Raymond Chrétien et l'ambassadeur actuel Claude Laverdure ont travaillé dans la même perspective.
Il m'a semblé évident, à la lecture de la lettre de Mme Beaudoin, qu'il y aura toujours à Québec et à Ottawa des personnes qui utilisent toutes les occasions possibles pour faire de la présence du Québec à l'étranger un combat idéologique qui va bien au-delà des relations Québec-Canada. Quand Mme Beaudoin accuse M. Licari de ne pas «avoir récusé le petit catéchisme de Loyd Axworthy», elle fait preuve de la même intransigeance idéologique que Pierre Pettigrew quand il affirme que la doctrine Gérin-Lajoie est dépassée.
En terminant, je pense que M. Licari sera un excellent délégué général et qu'il sera en mesure d'assurer une collaboration soutenue avec l'ambassade du Canada en France; d'autant plus que nos chicanes constitutionnelles ne se régleront pas à Paris.
La France est une grande puissance et ne s'émeut guère de tous les soubresauts de politique intérieure qui affectent les 160 pays et plus qui y sont représentés. Elle a bien sûr une affection particulière pour le Québec, mais en autant que cette amitié ne nuise pas à ses intérêts; et ces intérêts passent autant par Québec que par Ottawa. Surtout, elle préfère ne pas avoir à arbitrer des disputes qui ne la concernent pas.


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