La frontière du simplisme

2006 textes seuls

Il y a généralement le fond et la forme. En politique, il faut ajouter le moment, qui est tout aussi important.
Par exemple, il aurait été contre-indiqué que l'ancien ministre péquiste Jean-François Simard publie son plaidoyer en faveur d'un retour à la stratégie des «conditions gagnantes» à la veille de la première «Conférence nationale des présidentes et des présidents» du PQ, samedi dernier. Il aurait tout simplement été immolé sur la place publique.
Dans ce texte, qui a finalement paru mercredi dans Le Devoir, il affirmait que le programme adopté au congrès de juin dernier, lequel prévoit la tenue d'un référendum «le plus tôt possible à l'intérieur du prochain mandat», se situe «à la frontière du simplisme» et qu'il «ne tient pas compte du climat social qui prévaut actuellement au Québec».
En conférence de presse hier, André Boisclair a réitéré qu'il s'en tenait au programme de juin, mais il n'a pas eu à crucifier son ami Simard, comme Lucien Bouchard avait été forcé de le faire avec Joseph Facal quand celui-ci avait osé suggérer, le matin d'un conseil national, que le programme ne faisait pas nécessairement foi de tout.
À l'époque, M. Bouchard était pourtant d'accord avec son ministre, comme M. Boisclair l'est très probablement avec M. Simard, qui déplore également que le concept de partenariat ait été évacué du programme.
L'ancien ministre se défend bien d'être en mission commandée. Il dit simplement espérer que son intervention pourra contribuer à «donner la marge de manoeuvre nécessaire à André Boisclair pour faire les changements qui s'imposent».
Remarquez, il est bien possible qu'il ait agi de sa propre initiative, mais certains ne le croiront jamais. Le chef du PQ avait trop intérêt à ce que quelqu'un lance le débat. Qui sait quand les prochaines élections seront déclenchées?
M. Simard estime que l'échéancier référendaire fixé par le congrès de juin ne laisserait pas suffisamment de temps au camp souverainiste pour construire une stratégie victorieuse. C'est également le temps qui risque de manquer à M. Boisclair pour convaincre les militants péquistes de lui en donner.
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La réaction maladroite du chef péquiste au départ de Pauline Marois a amplifié le malaise créé par son élection chez bon nombre de militants de la première heure, qui avaient eu l'impression d'être dépossédés de leur parti. La reprise du débat sur les «conditions gagnantes» pourrait encore envenimer ce conflit de générations.
«André Boisclair a été élu par une nouvelle génération de militants qui ne veut plus d'orthodoxie abusive, écrit Jean-François Simard. Cette génération de militants s'attend de lui qu'il ne se cache plus sous les jupons du congrès de juin 2005.»
Le problème est que les protagonistes de juin sont toujours là et qu'ils ne laisseront pas un homme dont plusieurs se méfient déjà bazarder le programme sans combattre. Si jamais M. Boisclair se met lui aussi à parler d'une «démarche respectueuse des réserves et des appréhensions des Québécois par rapport à la question nationale», ce sera la guerre, et il le sait très bien.
Bien des militants de longue date, hantés par la crainte de voir le PQ disparaître avec eux, ont fait le pari qu'un chef de 39 ans, à l'allure et au vocabulaire modernes, saurait attirer la jeune génération.
Ils n'avaient pas tort. Des milliers de jeunes se sont joints au parti à l'occasion de la course au leadership. Cela ne signifie pas nécessairement qu'ils éprouvent le même sentiment d'urgence que ceux qui rêvent depuis 30 ou 40 ans au jour où le Québec deviendra enfin un pays et qui commencent à craindre de ne plus être là pour le voir.
Ce n'est pas d'hier que les militants péquistes se font dire que leur calendrier est «irréaliste». En substance, c'est ce que tous les chefs du PQ leur ont répété depuis 20 ans, à l'exception de Jacques Parizeau. M. Simard ajoute que l'option telle que redéfinie au congrès de juin ne respecte pas les impératifs de la «realpolitik» et que l'argumentaire souverainiste est «désuet». Dur.
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Il est pourtant vrai que certaines choses ont changé depuis juin. À l'époque, Stephen Harper semblait avoir raté la chance de sa vie à cause de la défection de Belinda Stronach et les Québécois paraissaient condamnés à subir éternellement l'arrogance des libéraux fédéraux. Quant au gouvernement Charest, seules les vacances d'été semblaient pouvoir l'empêcher temporairement de gaffer.
Dans ce dernier cas, il n'y a rien de nouveau, mais tout le reste a basculé. Contre toute attente, les Québécois se sont entichés de M. Harper. À tel point que lui-même semble maintenant être tenté de miser sur le Québec plutôt que sur l'Ontario.
Dans le camp souverainiste, on se rassure à l'idée que le Canada anglais ne laissera jamais M. Harper remettre sérieusement en question la conception unitaire du pays héritée de Pierre Elliott Trudeau. À commencer par le principe selon lequel le Canada doit parler d'une seule voix.
On entend pourtant des choses assez curieuses ces jours-ci. Mercredi, le premier ministre du Manitoba, Gary Doer, a déclaré au Globe and Mail, toujours très pointilleux sur les prérogatives du gouvernement fédéral, qu'il appuyait totalement l'idée de laisser le Québec exprimer sa différence sur la scène internationale, en particulier à l'UNESCO. Il expliquait qu'au Tim Hortons du coin, ça ne dérangeait personne. Imaginez, si même au Tim Hortons de Winnipeg... Il y a sans doute des limites à cette ouverture, mais les Québécois seront sans doute curieux de les mesurer.
Jean-François Simard met les militants péquistes en garde contre les sondages «emballants mais trompeurs». Si le PQ s'entête à les bousculer, les Québécois pourraient finalement décider que Jean Charest constitue un moindre mal. Certaines choses semblent malheureusement trop simples pour être comprises.
mdavid@ledevoir.com


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