Par un malheureux concours de circonstances, la France a choisi le 400e anniversaire de son installation en terre d'Amérique pour larguer le Québec, mais les sentiments et la politique sont des choses différentes.
Un autre que le président Sarkozy, qui n'a aucune affinité personnelle avec le Québec, sinon avec la famille Desmarais, y serait peut-être allé de façon moins brutale, mais la réalité demeure que la France n'a plus intérêt à soutenir un combat auquel les Québécois eux-mêmes semblent avoir renoncé.
Bien avant M. Sarkozy, ce sont eux qui ont choisi le Canada, et ce, deux fois plutôt qu'une. Le PQ a maintenant renoncé à une troisième tentative et le premier ministre le plus fédéraliste de l'histoire du Québec moderne pourrait être investi d'un troisième mandat consécutif, ce qui constituerait une première depuis plus de 50 ans.
À bord du DC-8 qui ramenait le général de Gaulle à Paris après sa visite de 1967, le «directeur d'Amérique» au Quai d'Orsay, Jean-Daniel Jurgensen, lui avait dit: «Mon général, vous avec payé la dette de Louis XV.»
À chacun de ses arrêts sur le chemin du Roy, De Gaulle avait répété: «La France a le devoir de vous aider. Il y a longtemps qu'elle vous doit quelque chose. Eh bien, la France veut vous rendre ce qu'elle vous doit... » Quarante ans plus tard, son successeur estime que la dette est éteinte.
Ces choses-là ne se disent évidemment pas, mais une bonne partie de la classe politique française a été très déçue du manque d'audace des Québécois. Pour les soutenir, la France avait mis entre parenthèses son amitié pour un pays dont les soldats avaient contribué à sa libération. Puisque les Québécois préfèrent habiter une province canadienne, que peut-elle faire de plus? Dans les nombreux défis auxquels elle fait face, le Canada peut lui être beaucoup plus utile.
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Il est clair que le premier ministre Jean Charest n'a pas le beau rôle dans cette histoire, mais quel est ce rôle, exactement? Celui de l'amant négligé ou du cocu content?
L'hypothèse selon laquelle il aurait été pris de court est à exclure totalement. Il y a des mois que les signaux d'un revirement de la politique française se multiplient. La subtilité n'est certainement pas la qualité maîtresse de M. Sarkozy.
En sa qualité de premier ministre, M. Charest est en principe responsable des destinées de la nation québécoise, mais il ne faut pas oublier les circonstances dans lesquelles il s'est amené à Québec en 1998.
Il voyait son avenir à Ottawa, et c'est au nom de ses devoirs envers le Canada qu'on l'a convaincu de venir bloquer la route aux séparatistes. Cela semble difficile à croire aujourd'hui, mais bien des gens croyaient sincèrement que Lucien Bouchard serait en mesure de tenir un référendum gagnant.
Quand il engage le Québec dans la voie de l'énergie éolienne ou tente d'aménager un «nouvel espace de prospérité», M. Charest fait sans aucun doute ce qu'il croit être dans l'intérêt des Québécois, mais il est toujours le vice-président du NON qu'il était en 1995. Du point de vue de l'unité canadienne, le rapprochement entre Paris et Ottawa est une excellente nouvelle.
À la lumière de ses conversations avec M. Sarkozy, M. Charest a pu en arriver à la conclusion que ce rapprochement était inévitable, peu importe ce que lui-même en pensait. S'y opposer publiquement aurait eu pour effet d'accentuer le recul subi par le Québec, tandis que la conclusion d'accords de nature économique l'automne prochain permettra de sauver les apparences.
S'il s'était rendu en France pour assister au lancement du 400e, cela n'aurait rien enlevé à l'éclat avec lequel Michaëlle Jean a été reçue. Au contraire, le rabaissement du Québec, dont le premier ministre serait passé quasi inaperçu, aurait été encore plus humiliant.
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L'appui de la France était déterminant dans la stratégie que Jacques Parizeau avait élaborée pour obtenir la reconnaissance de la communauté internationale au lendemain d'une victoire du OUI en 1995. L'assurance qu'on pourrait compter sur elle constituait déjà un élément rassurant pour les indécis.
Plusieurs se réjouiront sans doute d'un rapprochement qui pourrait rendre problématique une réédition du «grand jeu» si jamais il y avait un autre référendum. À moins de souhaiter au Québec un statut analogue à celui du Manitoba ou de la Nouvelle-Écosse, même un fédéraliste authentique devrait pourtant s'inquiéter.
Le long et difficile combat pour permettre au Québec de se faire une petite place sur la scène internationale, avec la complicité de la France, n'a pas été mené par le PQ mais par des gouvernements qui croyaient sincèrement que le Québec pouvait s'épanouir au sein du Canada.
Il vaut la peine de relire le livre de Claude Morin, L'Art de l'impossible, qui relate les débuts de la diplomatie québécoise dans les années 1960, alors que le moindre mémo déclenchait une véritable tempête à Ottawa. Dans l'esprit de Jean Lesage et de Daniel Johnson, notre relation politique privilégiée avec la France ne visait pas à faire l'indépendance mais à assurer au Québec un minimum d'accès au reste du monde.
Pour démontrer sa propre détermination à affirmer la personnalité internationale, M. Charest donne souvent l'exemple de la mission économique qu'il a dirigée au Mexique en 2004, conjointement avec son vis-à-vis français de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, et qui avait soulevé un tollé au Canada anglais.
Des initiatives comme celle-là risquent d'être compromises par la nouvelle neutralité française. Pour peu que le gouvernement canadien y voie un problème, Paris s'abstiendra de l'indisposer.
Le maire de Québec, Régis Labeaume, nous trouve «colons» avec «ces petites histoires politiques» alors que la beauté de la mer devrait suffire à nous combler. Cet ancien souverainiste aura tout le loisir d'y réfléchir quand il redescendra sur terre.
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mdavid@ledevoir.com
La dette éteinte
la réalité demeure que la France n'a plus intérêt à soutenir un combat auquel les Québécois eux-mêmes semblent avoir renoncé
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