L'inconscience se paie cher en politique

Est-ce que Monsieur Navarro va trouver une autre idéologie que le "séparatisssme" pour qualifier des mouvements naturels avec lesquels il faut déjà composer?

Tribune libre 2008

Existe-t-il au monde un seul individu qui posséderait la sagesse, le sens du propos, la justesse des termes, le vocabulaire et le gros bon sens de [Philippe Navarro, l'homme qui vient de donner ses opinions dans La Presse->11261]? Impossible. Avec tout mon bagage intellectuel et ma charge d'expériences de géographe spécialisé en géopolitique avec vécu sur place dans quatre continents, je n'ose me mesurer avec Monsieur Philippe Navarro. Je m'en tiendrai donc à la question référendaire telle que voulue par Jean Chrétien.

La seule question référendaire que Jean Chrétien eût tolérée est celle-ci: " Voulez-vous vous sépârer du Canadâ".
À cette question, monsieur Navarro affirme qu'à peine 30% des Québécois auraient répondu OUI.

Ce que monsieur Navarro ignore, c'est qu'un gros méchant "séparatisse" de mon espèce, un des pires parmi les pires, aurait répondu NON comme 70% des réponses appréhendées si la question avait été posée comme le voulait Jean Chrétien. Pour la simple raison que cette question n'aurait jamais été posée parce qu'elle ne signifie rien. Telle que voulue par Jean Chrétien, la question était un piège dont l'auteur était pleinement conscient de la malice, de la bassesse et de la petitesse qui la sous-tendaient. On ne peut pas être dépourvu au point de ne pas s'en rendre compte. Non seulement elle était un piège mais un piège profondément vicieux.

D'abord, cette question n'est ni géopolitique ni politique. Une question géopolitique aurait porté sur des statuts à reconnaître. Par exemple:

Reconnaissez-vous le Québec comme une nation et votre foyer national?

Reconnaissez-vous le Québec comme un État à qui vous accordez pleine autorité?

Reconnaissez-vous le Québec comme un État nation?

Reconnaissez-vous pleine autorité du gouvernement d'Ottawa d'imposer ses lois et sa ligne de conduite au Québec?

Êtes-vous conscient du fait qu'Ottawa est un gouvernement centralisateur, post-impérial, unitaire et arbitraire?

Êtes-vous d'accord qu'entre l'État naturel du Québec et l'État arbitraire d'Ottawa, il y a un pouvoir de trop?

Êtes-vous d'accord qu'avec un seul État, l'État du Québec, le vôtre, le gouvernement pourra mieux définir ses objectifs et les atteindre avec un maximum de concentration de l'effort et d'économie d'efforts et de moyens?

Accordez-vous au gouvernement du Québec pleine autorité pour inviter fermement Ottawa à quitter le Québec et ne pas lui permettre de revenir, ni par la force ni par aucun autre moyen?

Permettez-vous au gouvernement du Québec d'inciter les autres provinces à se défaire du gouvernement d'Ottawa dans sa forme actuelle, à se reconnaître et se faire reconnaître comme États nations et à y substituer une Assemblée d'États Souverains?

On peut y ajouter beaucoup d'autres questions, par exemple, concernant l'utilisation des sols dans le territoire, la défense, la diplomatie, la constitution, les finances, les communications, etc. Une authentique démocratie ne laisse aucun pouvoir en place décider arbitrairement de ces questions.

Les questions référendaires purement politiques comprennent celles qui ont été posées aux consultations de 1980 et 1995 au Québec. Ces questions faisaient du sens. Celles de 1992 sous le gouvernement conservateur de M. Brian Mulroney étaient trop confuses pour obtenir une décision politique fermement tournée vers le changement. Si on veut changer quelque chose, on se donne la peine au moins de poser des questions précises, portant sur les statuts de fait et de droit. Bien entendu, tout le monde ne peut pas connaître ce qu'est un STATUT. Raison de plus pour faire l'effort pédagogique nécessaire pour instruire la population avec rigueur. Depuis l'arrivée de l'Internet, qui est en train de provoquer une augmentation exponentielle du niveau d'instruction partout dans le monde, les questions vagues ne passeront plus.

***
La question suggérée par Jean Chrétien: "Vous voulez-tu vous sépârer du Canadâ" est ni politique et encore moins géopolitique. Elle est baveuse, insultante et provocante. Jean Chrétien, qui aime les échauffourées physiques, aurait attrapé mon poing sur la g... si j'avais eu affaire à lui. C'est la seule chose que ce "winner", qui juge les autres comme des "losers" n'aurait jamais respectée. Cette mentalité de "winner vs loser", je l'ai bien connue au Canada anglais et aux États Unis. Elle a donné naissance à de nombreus sociopathes, des gens sans conscience aucune qui disent et font n'importe quoi pourvu qu'ils gagnent. J'en ai rencontré plusieurs au cours de mes 28 années de pérégrinations dans l'armée canadienne. Ces gens ne respectent que ceux qui peuvent leur briser quelque chose, mais habiles manipulateurs, ils savent éviter les situations dangereuses et s'en tirent toujours bien.

Jean Chrétien s'en est bien tiré. Comme les gens de son espèce, il riait de tout le monde. Comme avant lui P.E. Trudeau, qui ne s'est pas gêné pour traiter les Québécois de pleutres, ou andouilles ou quelque chose du genre. Ce genre d'individu sait se hisser en position de force et y rester.
***

Les questions de STATUTS sont les plus sérieuses, les plus graves et les plus explosives qu'on puisse débattre en politique. Ces questions sont géopolitiques longtemps avant de devenir politiques, en ce sens qu'elles se fondent sur des continuités territoriales et sur le contrôle des communications qui confèrent à ceux qui l'exercent un pouvoir certain sur les autres. Tout pouvoir est complètement dans ses communications. Cet axiome est central en géopolitique et en stratégie d'État. Il ne change pas et est demeuré le même depuis les temps les plus reculés. C'est ce qu'on appelle une constante en géopolitique.

Le Canada est un continent distinct au nord des Amériques.Il est aussi étendu que l'Europe et plus étendu que les États Unis. Le Canada manque d'espaces bas, plats, arables et oékoumènes. Les Anglais et les Orangistes le savent mieux que les Québécois. Pour construire leur pouvoir, les Orangistes, qui ont pris peu à peu la relève des Anglais, quelque temps après le traité de Saint Germain en Laye de 1783, lequel reconnaissait les États Unis, n'ont pu réaliser leur projet qu'avec le chemin de fer. Le Canada ne se prête pas au développement en force fondé sur les côtes maritimes comme aux États Unis.

Ce chemin de fer qui a dépassé les canaux, dont la capacité de transport est trop limitée, les Québécois ont largement contribué à le construire et à le payer. Sa construction a néanmoins été avantageuse pour le Québec, en ce sens que, depuis l'ouverture du pont Victoria en 1860, un mouvement migratoire de grande envergure se produisit chez les Orangemen et Loyalistes du Québec, attirés par l'Ontario méridional, plus stratégique et apte à fournir deux et trois récoltes par année, ce qui est impossible au Québec.

Dès 1873, avec la fondation de la première caisse populaire par Mgr Louis Zéphirin Moreau, quatrième évèque de Saint Hyacinthe, les Québécois vivant en Estrie ont pu acheter une à une les terres, terroirs et domaines laissés en arrière par les Anglais, Écossais, Irlandais et Gallois partis pour l'Ontario. Cette conquête territoriale est devenue possible après la construction des chermins de fer. Tout pouvoir est dans ses communications et un déplacement majeur des communications entraîne derechef un déplacement des bases des pouvoirs existants. Un siècle plus tard, à la veille de la Révolution tranquille au Québec, Jean Lesage pouvait parler de l'État du Québec.

Qui ne le reconnait pas cherche la guerre. Qui ne reconnaît pas qu'au moins cinq provinces ont atteint le statut de nations de facto et ont construit les assises de leur propre État cherche le chaos. Ne représentant plus ce qu'il représentait, le gouvernement d'Ottawa ne peut plus poursuivre sa politique de centralisme unitaire et arbitraire sans risquer de graves désordres à long et même à court terme.

L'inconscience se paie cher en politique mais beaucoup de fédéralistes pour qui la politique n'est qu'affaire d'opinions et de remarques grasses et de profits personnels ne s'en rendent pas compte ou ne veulent pas s'en rendre compte. Il y a cinquante ans, cette inconscience comportait un sérieux risque de guerre. Beaucoup moins maintenant que le niveau d'instruction des populations s'est élevé, poussé par l'Internet et les nouvelles communications. Par contre, la détermination d'en finir avec Ottawa augmente, non seulement au Québec mais également au Canada anglais. Est-ce que Monsieur Navarro va trouver une autre idéologie que le "séparatisssme" pour qualifier des mouvements naturels avec lesquels il faut déjà composer? En Scandinavie, l'Union Kalmar s'est effritée. En Europe du Sud, l'empire Austro Hongrois a fini par s'effondrer. Les Empires coloniaux sont tombés. Il y a maintenant 192 États reconnus dans le monde actuel et il y en aura d'autres. Le Québec y trouvera sa place et le Canada restera pour tous une référence continentale sans pouvoirs arbitraires.

***
J. René Marcel Sauvé, géographe, spécialisé en géopolitique et auteur de
Géopolitique et avenir du Québec, et
Le Québec, carrefour des empires.

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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1 commentaire

  • Rodrigue Guimont Répondre

    29 janvier 2008

    Nous avons de par le monde des séparations tranquilles et réussies. Le cas de la Tchécoslovaquie en est un bel exemple. Pays artificiel créé de toute pièce sur les décombres de l'Empire austro-hongrois avec à l'origine deux peuples, deux cultures et deux langues. Les dirigeants de l'ex-Tchécoslovaquie ont été assez intelligents pour briser en 1993 des liens qui n'avaient plus rien d’affectif.
    Il y eu bien sûr des opposants à ce divorce, mais la séparation de velours s'est fait intelligemment sans coup bas, sans partition et dans le respect des territoires. Aucun référendum, mais une simple déclaration commune, sans amertume, venue comme une délivrance.
    Chez nous c’est un peu différent. Nous n’en sommes pas là. Trop de parvenus politiques… Comment expliquer autrement que par une rectitude que j’appellerais d’hyper correctivité cette attitude, tout au long de notre histoire, par laquelle un grand nombre d’hommes politiques québécois francophones et qui firent des pieds et des mains pour prouver qu’ils sont de l’autre peuple.
    Quoi de mieux pour se faire pardonner d’être né du mauvais clan que de s’aplatir mentalement devant ses nouveaux seigneurs afin d’effectuer la tâche qu’ils attendent réellement de nous : soumettre les indomptés!