Démocratiser l'enseignement privé

Écoles privées - subventions - frais - décrochage



La controverse relative aux contributions d'Hydro-Québec aux fonds de certaines écoles privées a relancé le débat sur la place de ces établissements dans notre système éducatif. C'est tant mieux. Elle fournit l'occasion de redéfinir la problématique de ce débat, axée prioritairement à ce jour sur sa dimension économique. Je propose une autre voie: démocratiser plutôt l'école privée, soit:

- en obligeant les établissements privés subventionnés à recevoir tous les élèves qui demandent à y être admis, y compris les élèves à risque, éprouvant des difficultés d'apprentissage ou handicapés;
- en haussant, le cas échéant, leurs subventions de manière à ce qu'ils puissent rendre les services nécessaires pour répondre aux besoins de tous leurs élèves;
- en continuant à subventionner à 100 % les écoles privées spécialisées vouées exclusivement à l'éducation des élèves en difficultés graves d'apprentissage ou handicapées;
- en donnant aux parents une chance égale d'inscrire leurs enfants dans l'école de leur choix en instaurant pour ce faire un mécanisme de tirage au sort dans le cadre d'un système de coordination analogue au SRAM des collèges,
- en accordant des bourses d'études aux familles à faibles revenus, en contrepartie des bourses accordées par les institutions;
- en subventionnant les écoles visant un but spécifique d'intérêt particulier, telles les écoles vouées à former des élites sportives, artistiques ou pour les surdoués intellectuellement, selon des critères rigoureux fixés par le législateur;
- en n'accordant aucune subvention aux établissements qui n'acceptent pas les termes de ce contrat social.
Élasticité des prix
Cela dit, on fait l'hypothèse que la fin des subventions au privé ramènerait au public des enfants dont les parents n'auraient pas les moyens de se payer l'école privée et, du coup, les subventions qui s'y rattachent. Or, ce gain en faveur du secteur public n'est pas assuré. Il est en effet lié à une variable a priori invérifiable soit l'élasticité des prix, autrement dit, sur ce que les parents seraient disposés à payer en plus de ce qu'il en coûte présentement pour maintenir leurs enfants au privé (Bernard Vermot-Desroche (2007), Le Financement public de l'enseignement privé au Québec, MELS).
La vraie difficulté que pose le régime, c'est son caractère non démocratique. Le privé n'est généralement accessible qu'aux élèves dont on estime probable la réussite scolaire à partir de leurs résultats scolaires antérieurs ou de la réussite à des tests d'admission: 90 % des établissements ont cette pratique même si peu d'entre eux visent à recruter l'élite. Aussi, presque partout, les élèves à risque ou en difficulté sont exclus.
À la sélection méritocratique, s'ajoute la sélection économique: la proportion d'élèves de classes moyennes à l'école privée est plus grande que le poids de cette même classe dans l'ensemble de la population. D'où la suggestion, dans une perspective d'égalité des chances, d'accorder des bourses de contrepartie pour les élèves des familles moins nanties.
Les pratiques de sélection ont au surplus un effet pervers sur l'école publique qui s'est mise elle-même aux pratiques sélectives dans ses projets pédagogiques particuliers. Au total, la concurrence entre l'école privée et l'école publique appauvrit cette dernière en la privant de ses meilleurs éléments qui, s'ils y restaient, ne réussiraient pas moins bien et favoriseraient, comme la recherche l'a montré, la réussite des plus faibles.
Une solution réformiste
La proposition envisagée ici se situe dans une perspective réformiste. Elle est politiquement faisable, moyennant de la vision et du courage. Elle s'appuie tant sur une lecture réaliste de la situation que sur des principes solidement établis.
L'école privée jouit d'une faveur certaine, comme le révèlent tant l'opinion (voir www.opineduq.ca) en général que le comportement des parents en particulier. Et la croissance de la demande est continue. On en connaît les raisons: on choisit l'école privée, d'une part en raison de la qualité (présumée supérieure) de son encadrement pédagogique et surtout disciplinaire, et, d'autre part, parce que l'on croit que son enfant a de meilleures chances d'y réussir.
C'est du reste le message des palmarès annuels qui classe les établissements en fonction du taux de réussite de leurs élèves. Et la classe politique prend acte de ce consensus et ne bouge pas d'autant qu'elle partage en général ces croyances. Aussi, la lutte que mènent les acteurs du secteur public pour l'abolition des subventions au privé n'a guère de chances de réussir. Il faut donc revoir la problématique.
Un droit affirmé
Rappelons d'abord que, sur le plan des principes, le droit des parents de choisir l'école privée est affirmé tant dans les instruments juridiques internationaux auxquels le Québec a souscrit que dans la législation nationale, soit dans le préambule de la Loi sur le ministère de l'Éducation et dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Ce droit ne peut évidemment s'exercer que dans la mesure où existe une offre de service qui relève de l'initiative privée. Mais cette offre existe bel et bien tant en raison d'un consensus social jugé suffisant que du droit. L'État finance l'école privée.
Vu ce financement public, le droit des parents devrait pouvoir s'exercer en pleine égalité. Mais il est pourtant entaché d'un vice important en raison de la sélection opérée par les établissements. Ce droit n'en est plus un; il devient un privilège lié au talent.
Il s'agit là, objectera-t-on, d'un «égalitarisme» qui va mener au nivellement. La réponse est que le premier devoir de tout établissement d'éducation est de tout mettre en oeuvre pour favoriser, sinon assurer, la réussite scolaire et éducative de chacun de ses élèves. Cela dit, il revient à chaque établissement, dans son organisation pédagogique et dans le cadre de son projet éducatif, de prendre les mesures appropriées pour tenir compte de la différence des talents. Et tous les élèves admis doivent avoir la même chance de bénéficier de «l'effet-école» de l'établissement choisi, notamment en matière d'encadrement.
La non-sélection de l'école privée, dira-t-on encore, empêchera la formation d'une élite dont la société a besoin. Ça, c'est le boulot de l'enseignement supérieur. Mais l'accès à l'enseignement obligatoire est un droit universel qui n'est pas fondé sur le mérite, mais sur le droit de tous à une éducation et à une formation de base pour devenir une personne accomplie, individuellement et socialement.
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Jean-Pierre Proulx, Professeur retraité de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal


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