Hier, le 29 mars, marquait le 10e anniversaire de la publication du rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, rapport intitulé Laïcité et religions. Perspectives nouvelles pour l'école québécoise. Ses 17 recommandations ont presque toutes été mises en oeuvre grâce au concours généralement unanime de l'Assemblée nationale et des gouvernements qui se sont succédé depuis 1999. Elles ont permis de modifier de façon significative le portrait du système éducatif québécois qui est devenu depuis la rentrée de septembre 2008, entièrement laïque.
Ainsi:
- L'école québécoise s'est vue refondée de manière à assurer l'égalité de chaque élève au regard de la liberté de religion. Les droits et privilèges consentis historiquement aux seuls catholiques et protestants ont été abrogés.
- Les institutions scolaires, locales et centrales, sont maintenant laïques puisqu'elles n'ont plus de liens organiques avec les confessions.
- Les programmes d'enseignement catholique et protestant ont fait place, en septembre 2008, à un programme d'éthique et de culture religieuse sans visée confessionnelle.
- L'animation pastorale catholique et protestante a été remplacée par un service commun d'animation de la vie religieuse et spirituelle pour les élèves des différentes confessions présentes à l'école et auquel chacun demeure libre d'avoir recours.
- La Charte des droits et libertés de la personne a été modifiée pour la rendre cohérente avec le nouveau régime d'enseignement, mais dans le respect des obligations internationales du Québec.
Une lente évolution
Ces changements se sont préparés bien avant 1999. Deux facteurs principaux ont poussé le Québec vers l'aboutissement d'aujourd'hui. Le premier est de nature linguistique. Après l'adoption de la loi 101 en 1977, les gouvernements successifs ont voulu remplacer les commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques, mais se sont butés au «verrou» constitutionnel de l'article 93 de 1867.
Le second est l'adoption en 1982 de la nouvelle loi constitutionnelle qui a eu un double impact: elle a suscité l'émergence d'une conscience nouvelle touchant le droit à l'égalité; sa nouvelle formule d'amendement a rendu possible l'abrogation du vieil article 93 de 1867.
S'ajoute un troisième facteur, sociologique celui-là, soit la sécularisation de la société québécoise qui a atteint un point de non-retour. Toutes les ambiguïtés n'ont pas disparu pour autant, surtout quand une religion demeure, jusqu'à un certain point, au coeur de l'identité nationale. Le maintien du crucifix de l'Assemblée nationale est là pour nous le rappeler.
Religion à l'école
Après qu'en 1997 on a fait sauter le verrou constitutionnel de l'article 93 se posait plus généralement la place de la religion à l'école. Les établissements eux-mêmes étaient jusque-là presque tous demeurés officiellement catholiques ou protestants grâce un cadre institutionnel et juridique qui favorisait le statu quo. Quant aux parents, généralement soucieux de transmettre à leurs enfants leur héritage religieux, bien qu'eux-mêmes largement sécularisés, ils choisissaient très majoritairement, faute de pouvoir faire autrement, l'enseignement catholique. D'un autre côté, celui-ci cherchait difficilement à s'harmoniser avec cette société sécularisée
C'est de ce contexte qu'hérita le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école, formé en septembre 1997 par la ministre Marois qui a pris en compte, dans sa composition, la diversité de la société. Ses recommandations, dix-huit mois plus tard, ont découlé d'une approche systémique des questions à résoudre. La délibération a en effet pris en compte six éléments centraux:
1- Les principes et les finalités propres à une société libérale, à savoir l'égalité foncière des citoyens, la neutralité de l'État à l'égard des religions et la responsabilité partagée des parents, de la société civile et de l'État en matière d'éducation.
2- Les normes juridiques constitutionnelles incontournables, soit la liberté de religion et le droit à l'égalité et son envers, la règle de non-discrimination, notamment sur la base de la religion.
3- Les choix de société déjà faits en matière sociale et culturelle, en particulier, la recherche d'un meilleur vivre-ensemble, le respect du pluralisme culturel dans le cadre d'un patrimoine culturel et religieux déjà reçu, mais toujours en évolution.
4- Le respect du principe démocratique par la recherche du consensus le plus large possible sur les enjeux débattus.
5- La capacité d'adaptation de la population au changement.
6- La faisabilité au plan de la gestion pédagogique des divers aménagements possibles.
Un long débat s'en est suivi en commission parlementaire à l'automne 1999. Forte de sa lecture du consensus, l'Assemblée nationale abolissait dès lors toutes les structures confessionnelles au printemps suivant. Mais estimant que la population n'était pas encore prête à un changement plus profond, elle maintenait, pour l'essentiel, le statu quo en matière d'enseignement religieux. C'est le gouvernement libéral qui, en 2005, avec l'appui unanime de l'Assemblée nationale, a remplacé ce régime par un programme d'éthique et de culture religieuse non confessionnel.
Les écueils restants
Le nouveau régime demeurera par ailleurs fragile sur le plan pédagogique tant que le défi de formation des enseignants n'aura pas été complètement relevé. En 2005, le gouvernement a fait un pari hasardeux en décidant d'implanter ce programme partout en même temps de la première année à la cinquième secondaire. Le Groupe de travail avait pour sa part souhaité une implantation progressive.
Par ailleurs, sur le terrain scolaire et médiatique, d'aucuns poursuivent la guérilla contre le programme ECR. Surtout, de nos concitoyens ont emprunté la voie judiciaire pour faire valoir ce qu'ils estiment être leur droit. Étonnamment, ils invoquent la liberté de conscience pour se faire exempter d'un cours qui vise à faire comprendre le phénomène religieux, hors de toute visée confessionnelle, et précisément mis en place pour assurer à tous le respect de la liberté de conscience et religion.
La littérature juridique et le récent avis de la Commission des droits et liberté de la personne sur ce sujet précis du cours ECR confirment cette orientation. Mais, en même temps, la Cour suprême du Canada a dans ses arrêts sur les accommodements raisonnables, avalisé la thèse de la «croyance sincère», ouvrant ainsi la porte à des décisions imprévisibles.
D'ici à la fin de la bataille judiciaire, des élèves auront néanmoins enrichi leur culture, appris à connaître et à respecter leurs semblables dans leurs différences et seront sans doute devenus des citoyens plus aptes à délibérer dans l'espace public de questions et de problèmes, qui, malgré la sécularisation, continuent d'habiter, voire de hanter notre monde.
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Jean-Pierre Proulx, Ex-président du Groupe de travail sur la place de la religion à l'école
10e anniversaire du Rapport Proulx
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