Lisa-Marie Gervais - Conflits d'intérêts ou pas, les contributions d'Hydro-Québec versées à des collèges privés ravivent le débat sur le financement public des écoles privées que le gouvernement et ses prédécesseurs, ont toujours semblé vouloir esquiver. Est-on allé trop loin dans le financement de ces établissements au détriment de l'école publique?
Qu'Hydro-Québec ait contribué pour près d'un demi-million à des projets de collèges privés avec lesquels Thierry Vandal, le président-directeur général, avait certains liens en a choqué plusieurs. Mais, au-delà des apparences de conflits d'intérêts, d'autres ont été outrés par le principe, celui de voir une société d'État verser une partie de ses profits en dons à un établissement d'enseignement privé, déjà financé par l'État à hauteur de 60 %.
Un scandale, sont allées jusqu'à dire la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) et la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), qui, pour sa part, souhaite l'abolition du financement public au privé d'ici cinq ans. Soit. Mais les opposants à cette pratique auraient-ils eu la même réaction si Hydro-Québec avait financé des projets dans des écoles publiques?
Pour Pierre St-Germain, président de la FAE, pas question que l'État finance le privé, un réseau qui est en compétition avec le public. Il n'est par contre pas fermé à l'idée que ce soit le gouvernement qui décide à quels établissements et pour quels projets les sociétés d'État peuvent accorder des dons.
Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), dont quelque 100 000 membres font partie du personnel de l'éducation, éprouve pour sa part un certain malaise avec l'idée de faire «la charité» dans des écoles. «Pourquoi passer par toutes sortes de stratagèmes pour financer les écoles? Je ne pense pas qu'une société d'État doive faire des dons. Il appartient à l'État de financer adéquatement les établissements. Est-ce qu'on va demander à Loto-Québec de financer une partie des écoles, même si c'est au public?»
Le président de la Fédération des établissements privés exprime lui aussi des réserves sur le rôle de «mécène scolaire» d'une société d'État. «Ça détourne l'attention des réels problèmes de l'éducation au Québec», a dit Jean-Marc St-Arnaud.
Pour sa part, le président de la Fédération des comités de parents, François Paquet, ne s'engagerait pas à faire une croix sur le mécénat. «Que la communauté d'affaires s'implique tant dans le public que dans le privé, c'est un créneau à développer. Aucune école ne peut se permettre de refuser de l'argent», a-t-il soutenu. «Je ne pense pas que ça incite l'État à se désengager. Si [les dons] apportent un plus et encourage la réussite, pourquoi pas?», a-t-il ajouté.
Le fossé public-privé
Force est d'admettre que, depuis plusieurs années, le fossé se creuse entre le public et le privé. «Il y a une tendance à survaloriser la qualité de l'enseignement dans le système privé. En revanche, il y a quelque chose qui ne se passe plus dans l'école publique et qu'on doit absolument retrouver, car c'est là qu'existe l'égalité des chances», a reconnu le député péquiste et critique en matière d'éducation, Pierre Curzi. «Il s'agit d'éviter qu'il y ait une espèce de système de classes. Il y a quelque chose qu'on sent dans l'histoire Hydro-Québec, c'est qu'on est en train de recréer des classes qui sont basées sur la réussite financière. Ça va à l'encontre de tous les acquis et de tous les instruments qu'on s'est donnés comme société démocratique», a-t-il poursuivi.
C'est ainsi que certains voudraient voir le débat du financement public des écoles privées se raviver. Que les arguments soient économiques ou purement idéologiques, la prémisse de base est de revaloriser l'école publique, en réduisant progressivement à néant le financement au privé.
Depuis le rapport Parent sur la démocratisation de l'enseignement, le débat sur le financement des écoles privées revient de façon chronique au menu du jour. En 2005, le rapport Gervais sur l'accès à l'éducation avait conclu... de débattre de la question.
C'est ce qui avait mené, en 2007, à un rapport intégrateur sur le financement, qui s'était notamment intéressé à l'impact qu'auraient sur le système divers scénarios, de la diminution à l'élimination du financement public aux établissements privés.
Les conclusions d'une des études du rapport démontraient qu'une réduction du financement, à moins qu'elle ne soit de 100 %, ne se traduirait pas toujours par des gains pour l'État. Pour l'année 2008-2009, les sommes qui servent à subventionner les écoles primaires et secondaires privées ne représentent que 5,6 % d'une partie du budget du ministère de l'Éducation qui y est consacrée, soit 444 millions.
N'empêche, le débat sur le financement des écoles privées n'a guère suscité d'intérêt au cours des dernières années, voire a complètement été esquivé par les différents gouvernements libéraux ou péquistes qui ont pris successivement le pouvoir.
Le président de la CSQ reconnaît que, ces jours-ci, le débat prend parfois des allures de combat contre des moulins à vent. «Il y a une grosse côte politique à remonter, surtout dans un contexte de manque de ressources. Ça prend beaucoup de courage et de conscience sociale pour imaginer une refonte du système», a souligné M. Parent.
Abolir le financement au privé ?
Inscrite au programme du Parti québécois, la proposition de «réduire de façon importante les subventions aux écoles privées» a été battue en brèche par des militants du PQ lors d'un conseil national en 2006. Aujourd'hui, si le PQ croit en l'importance de revaloriser l'école publique, il n'est toujours pas convaincu que cela devrait passer par l'abolition ou même la réduction des subventions aux écoles privées.
Quant au parti de l'Action démocratique du Québec, son équation est simple: si l'école privée n'était plus subventionnée par l'État, il en coûterait plus cher pour envoyer un enfant au privé, ce qui se traduirait par une recrudescence des élèves au public et une plus grosse facture pour l'État.
Ailleurs, certains syndicats, associations et fédérations ne voient pas les choses du même oeil. Selon Pierre St-Germain, président de la Fédération autonome de l'enseignement, exception faite du ministère de l'Éducation, il existerait même une «belle unanimité» dans le milieu scolaire sur la question du financement des écoles privées: l'État n'à rien à y faire. «Ce sont des PME de l'éducation. Même si certaines sont des OSBL, elles génèrent des avantages fiscaux dont certains profitent», croit-il.
Le président de la CSQ voit des avantages à couper les vivres au privé, mais pas nécessairement pour les revenus qui pourraient alors être réinvestis dans le réseau public. «Nous, c'est pas tellement la mine d'or qu'on voit, a indiqué Réjean Parent. Mettre un terme au financement privé, ça ramènerait les élèves dans les établissements publics et ça enverrait un message clair du gouvernement qu'il n'y a qu'un seul système dont il faut faire la promotion, et il est public.»
Pour le député péquiste Pierre Curzi, la «vraie» question demeure: «Comme société, est-on en mesure de faire les deux, c'est-à-dire à la fois réinvestir correctement les sommes dans le réseau public et soutenir un système privé?» Réponse dans le prochain débat.
Le financement des écoles privées - Le débat irrésolu
Des contributions d'Hydro-Québec ont remis sur la place publique des questions depuis longtemps esquivées
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