Écoles juives orthodoxes - Une solution dans les zones grises

Doit-on modifier la réglementation québécoise pour que les orthodoxes renouent avec la légalité?

Écoles privées - subventions - frais - décrochage

Clairandrée Cauchy - Comme l'a révélé cette semaine Le Devoir, une décision administrative de sanctionner, pour non-respect du Régime pédagogique, une école privée juive orthodoxe a été contrecarrée par le cabinet de la ministre de l'Éducation. Au-delà de cette ingérence politique, un problème de fond se pose. Faut-il étirer l'élastique en adaptant en partie la réglementation pour permettre aux écoles juives orthodoxes de s'y conformer plus facilement? Ou encore maintenir la ligne dure, au risque que le débat se déplace devant les tribunaux?
Dans quelle mesure l'enseignement judaïque dispensé dans les écoles juives orthodoxes permet-il d'acquérir les compétences transversales prévues dans le Programme de formation de l'école québécoise et comment les évalue-t-on? Voilà le genre de questions auxquelles on réfléchit présentement au ministère de l'Éducation du Québec, dans l'espoir d'établir un terrain d'entente pour régulariser la situation des écoles juives orthodoxes.
Dans les dossiers des six écoles privées juives fautives, menacées de sanction par la Direction de l'enseignement privé du ministère, consultés par Le Devoir, le principal problème réside dans le nombre d'heures d'enseignement insuffisant. Ces écoles ne dispensent pas les 25 heures obligatoires pour l'enseignement des matières prévues dans le Régime pédagogique québécois. Pourtant, les enfants de ces communautés orthodoxes fréquentent l'école beaucoup plus longtemps que cela. Mais le temps passé à étudier la Torah (les textes fondant le judaïsme) n'est pas pris en considération dans le calcul des 25 heures réglementaires.
Ainsi, dans le cas de l'école première Mesifta, les fonctionnaires du ministère ont calculé que seulement 62 % des 25 heures étaient, dans les faits, dispensées pour les matières du programme québécois et ils ont décidé, en guise de réprimande, de réduire la subvention en conséquence.
Or les écoles juives orthodoxes plaident que le temps consacré aux études juives devrait pouvoir être comptabilisé dans le temps réglementaire. «Ceci pourrait avoir pour conséquence que l'établissement qui consacre seulement 12,5 heures aux matières prévues pour le Régime pédagogique pourrait prétendre que les 12,5 heures consacrées aux études juives lui permettent d'atteindre les 25 heures de services éducatifs prescrites au Régime pédagogique», illustre-t-on dans une analyse interne du ministère dont Le Devoir a obtenu copie.
Michelle Courchesne, ministre de l'Éducation, n'a pas fermé la porte à de tels aménagements, bien au contraire. «Il va falloir que ces connaissances [transmises dans l'enseignement judaïque] soient évaluées au même titre que pour les autres [matières]. C'est gros, ce qu'on essaie de faire avec eux, alors qu'ils sont dans un monde exclusivement religieux», faisait-elle valoir jeudi dans une entrevue donnée au Devoir.
Déjà, dans le protocole signé à l'été 2008 par des écoles orthodoxes fonctionnant sans permis, une porte avait été ouverte. On peut y lire la reconnaissance du fait que «l'enseignement du Talmud fait appel à plusieurs compétences du Programme de formation de l'école québécoise, mais qu'il existe des écarts en matière de connaissances transmises».
Tout en refusant d'expliquer plus avant la piste de solution évoquée, la ministre a précisé qu'une analyse des enseignements dispensés dans les écoles juives était effectuée. «Il faut s'assurer qu'il y ait un nombre d'heures fréquentées et que, dans ce nombre d'heures fréquentées, il y ait enseignement des matières obligatoires, tel que défini par le Régime pédagogique [...]. Dans cette zone, il y a une piste de solution que je ne partagerai pas avec vous», a expliqué Mme Courchesne jeudi.
La subtilité vient du fait que le Régime pédagogique ne dicte pas de façon obligatoire le temps devant être accordé à chacune des matières de base, dans la mesure où la matière est bel et bien enseignée et où les objectifs sont atteints. En exploitant ce flou, qui permet par exemple à certaines écoles de mettre un plus grand accent sur les arts ou encore les sports, on pourrait essayer d'aplanir les irrégularités dans les écoles juives orthodoxes.
Ce genre de négociations fait frémir Pierre Curzi, porte-parole péquiste en matière d'éducation. «On a éradiqué en principe la religion de notre système d'enseignement public, cela ne se peut pas que par la porte d'en arrière on la réintroduise. [...] Il est question de négociations entre un État et une communauté. On ouvre la porte à toutes les négociations et à tous les compromis avec toutes les communautés. C'est une porte qu'on doit fermer», tranche M. Curzi.
Jean-Pierre Proulx, professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal, constate pour sa part que cette voie est «incertaine». «La ministre ne peut faire que ce que la loi l'autorise à faire», note-t-il.
Spécialiste des communautés juives, l'anthropologue Pierre Anctil juge pour sa part pertinente l'idée de considérer que l'enseignement judaïque répond à certaines exigences du programme scolaire québécois. «L'enseignement de la tradition juive ne s'éloigne pas fondamentalement des programmes plus laïques», croit le professeur de l'Université d'Ottawa. Il y voit surtout une solution de compromis acceptable qui permettrait d'éviter le débat devant les tribunaux.
Quadrature du cercle
Cela dit, même si on règle d'un coup de baguette magique la question du temps d'enseignement, l'enjeu du cours d'éthique et culture religieuse demeurera entier. Il s'agit d'une matière obligatoire dans le Régime pédagogique. Pour M. Anctil, il serait fort surprenant que les juifs orthodoxes consentent à traiter ainsi des autres religions. «C'est impensable pour eux d'enseigner Noël ou Pâques. Ils diraient que cela viole leur conscience.»
Le problème équivaut à tenter de résoudre la quadrature du cercle. Comment arriver à un compromis qui ne fera pas vaciller le processus de laïcisation du système scolaire québécois, alors que le nouveau cours d'éthique et culture religieuse est soumis au test des tribunaux?
Si les «négociations» avec les écoles orthodoxes échouent à l'échéance en septembre, il restera donc à voir comment le ministère et sa ministre agiront. Supprimeront-ils les subventions des écoles non conformes? Si tel est le cas, exigeront-ils que les écoles privées non subventionnées respectent le Régime pédagogique, comme le requiert la loi? Quelle que soit l'issue des pourparlers, une chaîne de dominos est susceptible de se mettre en branle.


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