De Kebek à Kanata

De Louis Stephen à Stéphane Dion, ou de Stephen Harper à Diefenbaker

Tribune libre 2008

Pour conquérir le pouvoir à Ottawa, il faut inévitablement séduire plus d’un Québécois. Ça semble d’une évidence tout à fait limpide, historique. Et pour raison, le Québec et des Québécois font partie des piliers fondateurs, mythes ou réalités historiques, du Canada. Surtout depuis la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque des Canadiens entreprennent de révolutionner la gouvernance des relations internationales, par l’invention de la diplomatie pacifique.
Dans sa bibliographie, l’ontarien Pearson Bowles Lester, Prix Nobel de la paix et génial géniteur des Casques Bleus, est décrit en ces mots d’une si rare beauté que l’on ne saurait se lasser de les lire : « Bourreau de travail, capable de saisir rapidement les questions les plus complexes, il possède un charme inné qui désarme d’emblée les négociateurs les plus coriaces. Il sait qu’aucun compromis n’est solide si l’amour-propre de toutes les parties n’est pas épargné. C’est là le secret de sa réussite en diplomatie ».
Même si né hors du Québec, Sir Pearson peuplera la belle province, semant à tout vent cette force innée mariant sensibilité, intégrité, intelligence et dignité dans l’âme humaine, pacifiste de cette jeune nation. Sur la scène politique canadienne, Pearson aura défait les Conservateurs de Diefenbaker et rétablit la dynastie libérale québécoise inaugurée par Louis Stephen St-Laurent. Les marques des premiers ministres Éliot Trudeau et Jean Chrétien se situent indéniablement dans la continuité visionnaire de Sir Pearson, et sans nul conteste de son prédécesseur St-Laurent.
Un Québécois montre à l’ONU la voie de la paix et propulse le Canada sur l’orbite des grands amis de l’humanité.
C’est en effet sous le gouvernement du Comptonois (de Compton en banlieue est de Sherbrooke) Louis Stephen que le Canada se sèvre résolument de la Grande-Bretagne et emmène l’ONU sur l’orbite de la détente et de la médiation en matière de prévention et de résolution des conflits. Hélas, son charisme discret, son calme déconcertant, sa logique rationnelle et son dégoût maladroit des ruses politiciennes lui tinrent éloigné de la sympathie populaire qu’on l’eut cru inapte à séduire l’électeur moyen. Malgré qu’il ait confondu les plus sceptiques et se fit valoir l’affable surnom de « Oncle Louis », notre sélective mémoire favorisera le Prix Nobel Pearson au point d’oublier l’artisan, probablement le plus grand, du pacifisme contemporain. Sur lui l’historien écrit : « Lors de la querelle de la conscription, en 1944, la loyauté de St-Laurent sauva le gouvernement et l’effort de guerre de l’écroulement. Tout de suite après la victoire, il prit part à la création des Nations Unies. Non seulement voyait-il le rôle du Canada indépendamment de celui de la Grande-Bretagne et du Commonwealth, mais il croyait aussi qu’en tant que puissance de moyen ordre, le Canada devrait jouer un rôle actif d’intermédiaire dans les affaires internationales »
L’histoire n’est bonne que lorsqu’elle se répète.
Défaits à l’ombre des guerres d’Irak et d’Afghanistan, et à l’aube de grands rassemblements internationaux sur l’avenir de la terre, les libéraux du Canada pouvaient espérer un retour grâce en grande partie à la feuille de route environnementaliste de Stéphane Dion. Monsieur « Vert », dans tous les sens du mot, est hélas aussi perçu et promu « monsieur rationnel » ou « monsieur froid », à l’instar de Louis Stephen Saint-Laurent. Si l’on ne peut douter de la capacité de Dion à se faire aimer, il est certain qu’une victoire aux prochaines élections lui en faciliterait la tâche. Cependant, la victoire semble paradoxalement dépendre de la sympathie populaire. Devant pareil paradoxe, quels obstacles doit vaincre l’élu du compté de Saint-laurent, Stéphane Dion, pour rééditer l’exploit de Pearson sur le conservateur Diefenbaker, un demi siècle plus tôt, et remettre le pays sur la voie tracée par Louis Stephen Saint-Laurent ?
Le dilemme du rationalisme canadien et du pacifisme québécois.
D’aucuns pensent que le Canada est résolument pacifiste. D’aucuns croient également que le Québec est viscéralement nationaliste, anti-impérialiste. Ainsi les débuts du gouvernement Harper auront fait dire à plus d’un que l’enjeu électoral majeur au prochain scrutin allait être la participation canadienne dans la guerre en Afghanistan. Pour des raisons de jugement ou de stratégie, tôt cette année le chef libéral Stéphan Dion confondait parieurs et pronostiqueurs en négociant avec son rival Stephen harper l’appui à la mission armée en Afghanistan. Qui l’eut cru !? Dion est manifestement rationnel, nullement impulsif. Serait-t-il inspiré de ne pas écouter les pacifistes québécois ?
Si depuis Louis Stephen St-Laurent à Jean Chrétien, en passant par Pearson et Trudeau tout le Canada rayonne d’esprit pacifiste, avec le premier ministre Stephen Harper, la vision de la paix et du rôle du Canada dans le monde divise le pays entre « pacifistes » et « rationalistes ». Les premiers sont opposés à la guerre, les seconds savent bien s’en accommoder pour peu qu’elle serve directement ou indirectement leurs intérêts, à l’instar des Américains. Ainsi, la majorité de l’Ouest canadien manifeste une bien large tolérance de l’initiative militariste, belliqueuse, alors que le centre Est semble bien s‘y opposer. Comment servir l’un sans risquer de s’aliéner l’autre ? Si un choix devait s’imposer, logiquement la majorité serait favorite. De plus, le pacifisme québécois serait plutôt épidermique. Les irréductibles pacifistes ne constituent en effet qu’une faible proportion des électeurs, la gauche, et leur rang aurait tendances à dégraisser dès l’annonce de temps difficiles. Dion aurait-il eu le choix de miser sur le Québec ?
A la tête d’un gouvernement minoritaire en 3ème quart de mandat, le premier ministre Harper a tout à gagner d’aller se chercher une majorité parlementaire. Pour y parvenir, il doit séduire les fédéralistes rationalistes du Québec, ceux traditionnellement acquis au parti libéral, et les orphelins nationalistes québécois, autonomistes ou autres qui votent par défaut Bloc. A l’opposée, le chef libéral Dion, se doit à la fois de rassurer les fédéralistes rationalistes du Canada hors Québec, et convaincre les fédéralistes francophones québécois, pacifistes et humanitaristes. Or, pour convaincre militaristes ou pacifistes du Québec, Dion devrait jouer sur des terrains où le Bloc, le NPD voire Harper ont l’un ou l’autre une longueur d’avance significative. Et en misant sur le Québec, il risquerait de perdre des plumes au Canada anglais sans compensation évidente. Sur quels enjeux et avec quel cheval Stéphan Dion saurait-il battre les conservateurs et Harper ?
L’enjeu majeur des prochaines élections
Alors que la participation canadienne dans la guerre américaine en Afghanistan est évacuée des thèmes favoris du débat, les enjeux résiduels majeurs des prochaines élections sont l’économie, la justice sociale, l’environnement et la gouvernance. Le spectre d’une récession économique à nos portes, la détérioration du pouvoir d’achat des consommateurs, la croissance de la richesse d’une minorité privilégiée inversement proportionnelle à la multiplication du nombre de ménages vivant sous le seuil de la pauvreté, le paradoxe de la responsabilité versus comptabilité environnementales et celui de la souveraineté nationale, dessinent dans mon champ visuel les couleurs vives du combat de chefs.
Le défi du débat sera non pas d’être convaincant dans l’un ou l’autre de ces thèmes, plutôt de faire la démonstration que globalement on offre un package visionnaire rassurant quant à l’avenir proche, lointain et durable du niveau de vie des Canadiens. Il s’agira pour Harper, non pas de mettre en contexte l’inapplicabilité de sa propre loi sur les élections à date fixe et son intégrité, plutôt de faire dire aux faiseurs d’opinions que l’alignement inconditionnel d’Ottawa à Washington n’est pas si pire et que le rêve d’un Canada souverain est, depuis le départ de Trudeau, irréaliste et insoutenable comme celui de la séparation du Québec après Lévesque. Il s’agira par contre pour Stéphane Dion, en partie de leur vendre la résurrection de Stephen St-Laurent, Pearson, et Trudeau, en plus de marier la diplomatie, l’environnement et la solidarité à l’économie et à la sécurité. Laborieux et irrationnel, mais pas inimaginable ! Oui, il faudra presque de la magie pour restaurer l’esprit démocratique, la culture de bonne gouvernance et la vision « Canada » à Ottawa. Ce en quoi le professeur Dion pourrait surprendre et prendre de revers le conservateur Harper.
Sommes toutes, qu’en importe l’issue, ce scrutin au fédéral sera le test de l’esprit fédéraliste et souverainiste canadien, et permettra de jauger la capacité de réincarnation des bâtisseurs historiques du pays.

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François Munyabagisha79 articles

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Psycho-pédagogue et économiste, diplômé de l'UQTR
(1990). Au Rwanda en 94, témoin occulaire de la tragédie de «génocides»,

depuis consultant indépendant, observateur avisé et libre penseur.





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2 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    12 septembre 2008

    Pour ma part, j'ai retenu ceci: "...l’ontarien Pearson Bowles Lester, Prix Nobel de la paix et génial géniteur des Casques Bleus, est décrit en ces mots d’une si rare beauté que l’on ne saurait se lasser de les lire : « Bourreau de travail, capable de saisir rapidement les questions les plus complexes, il possède un charme inné qui désarme d’emblée les négociateurs les plus coriaces. Il sait qu’aucun compromis n’est solide si l’amour-propre de toutes les parties n’est pas épargné. C’est là le secret de sa réussite en diplomatie ». (pour que chacun sauve la face...)
    Même Lucien peut en tirer des leçons.
    J'ai soumis cet extrait à Patrick Bourgeois(LeQuébécois) qui semble en avoir de la graine puisqu'il vient d'écrire sur son blogue un beau rappel à l'ordre à ses troupes trop impatientes et qu'il réoriente, même en se freinant lui-même, vers le nécessaire vote en bloc pour le Bloc.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 septembre 2008

    Belle analyse ! Merci. En effet, il faut toujours "séduire" et "conquérir" cette Belle Province, cette nation plus "farouche" que les autres ...
    " Pour conquérir le pouvoir à Ottawa, il faut inévitablement séduire plus d’un Québécois. Ça semble d’une évidence tout à fait limpide, historique. Et pour raison, le Québec et des Québécois font partie des piliers fondateurs, mythes ou réalités historiques, du Canada. Surtout depuis la fin de la seconde guerre mondiale, lorsque des Canadiens entreprennent de révolutionner la gouvernance des relations internationales, par l’invention de la diplomatie pacifique. "
    D'une Conquête à une autre, oui l'Histoire se répète. Merci de le rappeler M. Munyabagisha.
    Sébastien Harvey
    sebastien_harvey1@hotmail.com