D'un admirateur déçu

Robert Bourassa - 10e anniversaire


Les amis de Robert Bourassa ne s'entendaient pas sur ce qu'il convenait d'inscrire au bas de la statue de l'ancien premier ministre qui sera dévoilée jeudi sur les parterres de l'Assemblée nationale.




Ceux qui l'avaient côtoyé dans les années 70 estimaient qu'il fallait souligner sa contribution au développement économique du Québec. Ses adjoints des années 80 voulaient plutôt graver dans la pierre les mots qu'il avait prononcés le soir de la mort de l'accord du Lac-Meech : «Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le Québec est et sera toujours une société distincte, libre de ses choix et capable de son développement.»
Devant cette incapacité de trancher, on a finalement décidé de faire l'un et l'autre. Manifestement, M. Bourassa a déteint sur ses vieux compagnons. Là où il se trouve aujourd'hui, il doit se bidonner. Même l'emplacement de la statue aura valeur de symbole : entre celles de Jean Lesage et de René Lévesque, mais plus près du premier que du second, malgré ses hésitations à décider lequel suivre.
Je n'ai pas connu le premier Bourassa, parti sans demander son reste après la défaite du 15 novembre 1976. En revanche, j'ai assidûment «couvert» le second, de sa résurrection, en 1983, à son départ définitif, dix ans plus tard.
Comme bien d'autres avant moi, j'ai découvert un homme extrêmement attachant, dont l'habileté politique forçait d'autant plus l'admiration qu'il avait le bon goût de ne pas se prendre trop au sérieux.
Claude Charron s'est déjà décrit comme un «admirateur déçu» de l'ancien premier ministre. «Il a sous-joué pour être sûr de pouvoir toujours gagner. Il aurait dû risquer plus haut, mettre le défi plus élevé, et je pense qu'il aurait gagné aussi. Mais lui pensait que non, donc il s'en est retenu. C'est bien dommage», disait-il.
Je partage sa déception. Surtout que M. Bourassa a perdu. S'il avait gagné, il n'y aurait jamais eu de référendum en 1995, et Dieu sait ce qui serait advenu du PQ. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, l'échec de Meech demeure une plaie ouverte.

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Entre le souvenir de Meech et celui de la Baie-James, les Québécois n'ont aucune hésitation. C'est à cette dernière que 56 % d'entre eux associent M. Bourassa, selon un récent sondage de Léger Marketing. Seulement 9 % pensent d'abord à sa tentative de réparer la brisure causée par le rapatriement de 1982.
Pourtant, selon un étrange paradoxe, le Bourassa de la grande époque de la construction des barrages a été honni au point de devoir trouver refuge en Europe, alors que le vaincu de Meech et de Charlottetown a quitté la politique avec l'affection de tous.
Certes, la fin de la phase 1 avait été assombrie par le débat sur les tests linguistiques de la loi 22 et les allégations de favoritisme, mais le bilan était largement positif, tandis que celui de la phase 2 paraissait d'une rare minceur. On s'est rendu compte seulement plus tard que la loi 86 avait réussi à établir un équilibre linguistique durable après 30 ans de débat.
On a souvent dit que M. Bourassa incarnait parfaitement l'ambivalence des Québécois sur la question nationale. Il serait plus juste de dire qu'il était le miroir de notre impuissance : comme lui, nous sommes à la fois trop faibles pour forcer la fédération canadienne à se renouveler et trop timorés pour oser en sortir.
Il est le seul à avoir vraiment testé les limites de ce que le reste du Canada était disposé à faire pour que le Québec s'y sente à l'aise. Ses prédécesseurs fédéralistes ne s'étaient jamais retrouvés dans l'obligation de s'interroger sérieusement sur la pertinence de maintenir le lien fédéral. Certes, le changement avait été lent et difficile mais pas impossible.
Quand M. Bourassa a frappé le mur, il a choisi de temporiser. La commission Bélanger-Campeau, la commission Allaire et la loi 150 ont été autant de moyens destinés à gagner du temps en attendant que la colère provoquée par le rejet de Meech s'estompe. Quant à l'entente de Charlottetown, c'est tout juste s'il ne se moquait pas lui-même de cette bouffonnerie.
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Dans un texte publié aujourd'hui dans la page Idées du Devoir, sa vieille amie Lise Bacon explique son attachement au fédéralisme par sa répugnance à mettre en péril les liens économiques entre le Québec et le reste du Canada.
Nous lui avons été reconnaissants de rationaliser nos peurs, comme il avait réussi à rationaliser les siennes. C'était tellement plus réconfortant de penser que nous rejetions la souveraineté à la suite d'une analyse économique réfléchie qu'à cause d'un manque de courage collectif.
Inversement, Jacques Parizeau nous a forcés à nous regarder en face. Le cuistre avait l'air tellement sûr de notre capacité à prendre nos affaires en main que notre hésitation ressemblait dangereusement à de la lâcheté. On ne lui a jamais pardonné. À la première occasion, on lui est tombé dessus.
À voir Benoît Pelletier avancer sur la pointe des pieds dans le dossier constitutionnel, il est manifeste que les fédéralistes québécois demeurent traumatisés par l'échec de Robert Bourassa. Que cherchait le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes en publiant dans Le Devoir d'hier un texte intitulé [«Les Québécois forment une nation»->2326] ?
Il n'apprend rien à personne en disant que s'autoproclamer nation n'a de sens que si le fait est reconnu par le reste du pays. Bien entendu, il n'est pas question d'en faire la demande formelle. M. Pelletier a beau laisser entendre que peut-être, un jour... , il suffit de le voir tourner autour du pot depuis des années pour comprendre que rien n'a changé. «On ne peut qu'encourager les signes d'ouverture», écrit-il. N'y a-t-il vraiment rien d'autre à faire ? Pourquoi élever une statue à Robert Bourassa si on n'en a rien appris ?
mdavid@ledevoir.com


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